Par Frédéric Rouvillois.
Cet intéressant article de Frédéric Rouvillois est paru dans la livraison du Figaro de ce matin du 10 septembre. Quelle est la nature et l’équilibre profond des institutions britanniques et de la société qu’elles couronnent et qu’elles gouvernent, , c’est un sujet dont les Français parlent souvent et, au fond, que nous connaissons insuffisamment, nous contentant tout aussi souvent d’une idée superficielle des choses ou de jugements péremptoires. Un sujet à creuser, donc, notamment du côté des royalistes français.
TRIBUNE – Elizabeth II «sans jamais jouer les Jupiter ni, à l’inverse, s’abaisser à la posture humiliante du “monarque citoyen”», s’est imposée «comme un modèle discret de conservatisme spontané», fidèle au legs de grands esprits et d’hommes d’État éminents du Royaume-Uni, souligne Frédéric Rouvillois, professeur de droit constitutionnel et écrivain .
« Comme l’emblématique bobby de la police britannique, la reine a su montrer que la présence est déjà une puissance. Et peut-être une puissance supérieure »
C’est une chose singulière que de perdre une personne très chère et très âgée dont on avait toujours senti la présence bienveillante et qui avait fini par devenir une partie de nous-mêmes – au point de nous sentir perdus sans elle, et un peu orphelins.
Quelques mois avant d’être fauché par la mitraille au tout début de la guerre de 14, c’est ainsi que Charles Péguy consacre quelques-uns de ses plus beaux vers à la mort de sainte Geneviève, patronne et protectrice de Paris:
«Tout un peuple assemblé la regardait mourir
Le bourgeois, le manant, le pâtre et le bouvier,
Pleuraient et se taisaient et la voyaient partir (…)
Et les durs villageois et les durs paysans
La regardant vieillir l’avaient crue éternelle (…)
L’amour de tout un peuple était tout son cortège».
Et au fond, c’est à ces vers dorés que fait penser la disparition de la reine, Elizabeth – leur reine, celle des Britanniques, mais qui, à force, avait fini par nous devenir si familière, qu’elle était aussi un peu la nôtre. La nôtre, parce qu’elle avait toujours été là, avec ses tailleurs pastel et ses chapeaux invraisemblables, son regard malicieux et son demi-sourire indulgent. Mais la nôtre aussi, parce que sans jamais jouer les Jupiter ni, à l’inverse, s’abaisser à la posture humiliante du «monarque citoyen», Elizabeth a toujours suivi sa voie et assumé son rôle, s’imposant ainsi comme un modèle discret mais convaincant de conservatisme spontané – ce qui, au pays de Burke, de Disraëli, de Chesterton ou de Churchill, était au fond la moindre des choses.
Après soixante-dix ans de règne, la reine Elizabeth apparaît pourtant d’abord, dans les souvenirs de chacun, comme une mère de famille. Lorsqu’elle monte sur le trône à l’âge de 25 ans, elle a déjà deux enfants, un garçon et une fille, le choix de la reine en quelque sorte. Et c’est à cette aventure-là que s’intéressent surtout, à l’époque, les chaînes télévisées encore rudimentaires du monde entier: à la vie quotidienne d’une toute jeune reine qui est aussi une jeune maman et dont l’un des enfants sera roi lorsque le temps sera venu. Dans d’innombrables reportages en noir et blanc, on la voit donc au jardin qui s’occupe d’Ann et de Charles, comme on la verra quelques années plus tard, en couleur cette fois, être enceinte à nouveau, puis accoucher comme n’importe quelle autre mère.
Or, la curiosité des spectateurs coïncide avec ce qui constitue le mystère et la clé du régime monarchique: car derrière la délicieuse banalité de la scène familiale, il y a le fait que ce qui caractérise d’abord une reine (ou un roi), c’est d’être, en un sens, des gens comme tout le monde. Au fond, Elizabeth aurait pu être infirmière ou agricultrice, mais le hasard ou la providence ont décidé qu’elle serait reine, ce qu’elle a assumé avec autant de bonne volonté, de sérieux et de simplicité que si elle s’était occupée de malades dans un hôpital ou de vaches dans une exploitation laitière. La reine est une personne comme tout le monde: et c’est en faisant comme tout le monde – c’est-à-dire, en donnant naissance à ses enfants et en essayant de les élever du mieux qu’elle le pouvait -, qu’elle a assumé du même coup la fonction politique capitale qui était la sienne: préparer sa propre succession au trône afin de garantir la stabilité du système et la continuité de l’État.
Dans une monarchie, le personnel ne se dissocie pas du politique, et ces deux rôles inextricablement liés, la reine Elizabeth les a assumés de façon exemplaire: en tant que mère, puis grand-mère et arrière-grand-mère (et même, quoique la chose fut plus difficile, en tant que belle-mère), elle a su incarner charnellement la nation dont elle était symboliquement le chef: et au-delà, personnifier un système, la monarchie, où le chef, parce qu’il échappe aux hasards de l’élection, est véritablement celui de tous – de même qu’une mère, n’ayant pas été choisie par une majorité
de ses enfants, est réellement celle de chacun d’entre eux.
La reine de tous, sans distinctions et sans discontinuité: là encore, Elizabeth a incarné l’un des traits spécifiques de la royauté, sa projection dans la longue durée. Et ce faisant, sa capacité à représenter, pour tous ses sujets, un point de repère commun et immuable, un élément unificateur, stable et rassurant, particulièrement utile en temps de crise ou de mutations majeures.
Sur ce plan, on l’a souvent comparée à son aïeule Victoria. Devenues reines, l’une à 18 ans, en 1838, l’autre à 25 ans en 1952, toutes deux vont connaître des périodes troublées assombries par des révolutions profondes dans tous les domaines. Toutes deux seront amenées à régner sans gouverner, ce qui est le propre d’une monarchie parlementaire, mais l’une et l’autre parviendront à accompagner le mouvement sans se laisser dépasser par sa violence, et ce faisant, contribueront avec une efficacité discrète à canaliser son potentiel explosif. De Churchill à Liz Truss, du processus de décolonisation à l’intégration européenne puis au Brexit, de la guerre civile en Irlande du Nord au référendum écossais, des Malouines à l’Afghanistan, du terrorisme de l’IRA à celui des islamistes, la reine Elizabeth II, par ce qu’elle incarnait, n’a même pas eu besoin d’intervenir pour désamorcer les conflits, ni de décider pour favoriser la résilience.
Comme l’emblématique bobby de la police britannique, qui traditionnellement n’était armé que de son sifflet et d’un bâton blanc, la reine a su montrer que la présence est déjà une puissance. Et peut-être une puissance supérieure. La chose n’a jamais paru aussi évident qu’en ce soir du 5 avril 2020, au tout début de l’épidémie de Covid, lorsque, vêtue d’un tailleur vert gazon, elle vient prononcer à la télévision quelques mots simples appelant les Britanniques à l’union, à l’espoir et à la résistance. Des mots que seule une reine et une mère pouvait prononcer sans qu’on les soupçonne d’hypocrisie ou d’arrière-pensées électoralistes.
Une reine et une mère qui s’est demandé chaque jour, durant sept décennies, quelle serait la meilleure solution pour ses enfants et ses sujets: ce qu’il fallait maintenir coûte que coûte, et à quoi l’on pouvait renoncer sans se perdre. Sans doute est-ce pour cela qu’elle est parvenue, malgré les risques, les obstacles et les tragédies, à maintenir, c’est-à-dire à conserver l’essentiel.
Et sans doute est-ce pour cela qu’elle demeurera dans les cœurs à la place singulière qui restera la sienne: «l’amour de tout un peuple était tout son cortège». ■
Délégué général de la Fondation du Pont-Neuf (think-tank) et auteur de nombreux ouvrages remarqués, Frédéric Rouvillois a notamment publié Histoire de la politesse de la Révolution à nos jours (Flammarion, 2006), Histoire du snobisme (Flammarion, 2008), L’Invention du progrès, 1680-1730. Aux origines de la pensée totalitaire (Éditions du CNRS, 2011) et Liquidation. Emmanuel Macron et le saint-simonisme. (Éditions du Cerf, 2020). Pour s’informer de ses travaux et publications, suivre le lien ci-dessous.
Frédéric Rouvillois
Je constate avec une profonde tristesse que la monarchie anglaise ( je salue respectueusement Sa Majesté Charles III) n’a pas pu endiguer le mouvement de fond qui défigure la plupart des pays européens, subissant une invasion migratoire sans précédent modifiant en profondeur la nature des populations. En Angleterre sévit un politiquement correct encore pire qu’en France, comme on a pu le constater en observant le silence assourdissant des pouvoirs publics devant les agissements de prédateurs sexuels pakistanais de nationalité britannique qui pendant plusieurs décennies ont exploités, torturés et violés des mineures, essentiellement des jeunes filles de la classe ouvrière anglaise. Tout le monde savait, la police en premier lieu, mais personne ne disait rien, sous prétexte de ne pas alimenter le racisme. C’est en Angleterre que dans les plus prestigieuses universités, la tyrannie woke fait que l’on enlève les bustes de Platon et de Descartes sous prétexte que ce sont des mâles blancs. C’est en Angleterre que dans des villes comme Bedford, on voit les rues envahies de femmes en burqa et de gamines de 10 portant le même sac poubelle se rendant dans les écoles coraniques, que l’on voit dans des manifestations de rue à Londres même des musulmans beuglant leur haine de l’occident et prévenant qu’un jour l’islam dominera etc. etc. Sur quel peuple « anglais » Charles III va-t-il régner alors que nous ne sommes qu’au début d’un processus de fond, voulu par le Système (l’ONU disant dans un rapport que l’Europe devait accueillir 40 millions d’africains à l’horizon 2040 – le pacte de Marrakech) ?
A la limite , l’article du Figaro réduirait la feue Reine , à l’ exemple de la ménagère de moins de 50 ans , puis de la ménagère de plus de 50 ans !
Ne vaudrait il mieux s’en remettre aux paroles de l’hymne britannique « God save the Queen » ?
« Ce que la France pourrait faire pour récolter les bénéfices politiques d’une Reine sans rétablir la monarchie » titre la quotidien Atlantico.
L’article ne répond pas à la prétention de son titre… La seule façon n’est-elle pas de restaurer la Royauté en France ?
Néanmoins la distinction faite dans l’article entre « dignité » et « efficacité » est intéressante. Certes, la monarchie française et ses lois fondamentales ne correspondent pas au système britannique. Comme l’expliquait Joseph de Maistre, c’est l’Histoire propre à chaque peuple qui lui donne sa « constitution ».
Néanmoins, même réduite à sa fonction symbolique, la royauté contribue à incarner la continuité et l’unité du pays, elle permet enfin de limiter les intérêts particuliers et les ambitions partisanes en les décourageant de pouvoir investir le sommet de la hiérarchie. L’absence de Roi héréditaire en France contribue à entretenir le climat de guerre civile qui caractérise la politique française depuis qu’elle s’est coupée de « l’Ancien Régime ». Ce sont ces fonctions que « le monarque républicain » ne parviendra jamais à remplir.
Le roi Charles III, puisque c’est son nom, désormais, est un pilier du Nouvel Ordre Mondial, Forum de Davos, Trilatérale, etc..
Il va d’ailleurs commencer son règne par le licenciement de tout le personnel de Buckingham Palace, puisqu’il veut en faire un musée : une centaine de personnes au chômage, au moins..
Je n’aime pas les ragots, l’esprit qui toujours nie (Nietzsche), l’ingérence universelle, l’omniscience à deux ronds, l’hôpital qui se fout de la charité, l’arrogance des modernes, le morbus democraticus qui fait d’un quidam un « sachant » dispensateur d’information vraie ou fausse et donneur de leçon, les redresseurs de tort sans bagage. Comme le voyageur. Et les Messes sans qualité. Missa sine nomine. Désolé. Good luck – pour faire bonne mesure.
Je suis étonné qu’il ne soit fait aucune allusion au rôle de chef de l’église anglicane qu’assume le monarque britanique. Cette responsabilité, une foi sincère et souvent confessée, contribuaient à son rayonnement. Le sompteux après-midi de recueillement torganisé hier à la cathédrale Saint-Paul de Londres illustrait cet aspect du lien entre le peuple et sa reine. Il était de même frappant d’entendre Charles III, lors de sa première allocution, invoquer sa propre foi. Et, non moins surprenant, parler de morale!
Un « fatras » que nos élites et nos gouvernants ont bien tort de mépriser et de nous priver.