Par Pierre Builly.
Les Célibataires de Jean Prat (1962).
Quand la télévision avait du talent.
Quand la télévision avait du talent – à tout le moins de l’ambition – elle pouvait être une alternative très intéressante au cinéma et présenter des œuvres (qui n’auraient peut-être pas pu autrement trouver un producteur, forcément inquiet pour ses sous) avec modestie et mesure, sans dépenses excessives, sans stars de premier plan.
On va essayer de ne pas faire trop dans la nostalgie, d’évoquer les grandes ombres de »La caméra explore le temps » ou du »Petit théâtre de la jeunesse » – œuvres originales pour l’une, adaptations littéraires pour l’autre – mais on voudrait revenir sur une des plus exceptionnelles réussites qu’on ait jamais vu – et revu, parce qu’on a la chance d’avoir ce trésor de qualité en cassette VHS -, qui est, donc, Les Célibataires, adapté par Jean Prat de l’œuvre d’Henry de Montherlant.
Il est de bon ton, aujourd’hui, de se gausser de l’auteur des Jeunes filles, tétralogie misogyne qui rencontra un succès immense (et qui fut admirablement porté à l’écran à la télé aussi par Lazare Iglesis, avec Jean Piat, Yolande Folliot, Emmanuelle Riva). Montherlant connaît son purgatoire et, compte tenu des valeurs qu’il défend – stoïcisme et rigueur, courage physique et lucidité -, n’est pas près d’en sortir. C’est bien dommage, parce qu’on n’a guère écrit, au XXème siècle, dans une langue plus pure et plus haute et avec un tel tempérament.
Cela étant, revenons à ces Célibataires, roman – et adaptation – de l’inadaptation au monde et de la cruauté de ce monde aux inadaptés.
Au lendemain de la Grande Guerre, qu’ils n’ont pas faite, l’un étant trop âgé, l’autre sans doute réformé, cohabitent, dans une petite maison du boulevard Arago, Élie de Coëtquidan (Fernand Ledoux) et son neveu, Léon de Coantré (Jean-Paul Moulinot) qui n’ont jamais rien fait de leur vie mais ont vivoté médiocrement auprès de Mme de Coantré, sœur de l’un et mère de l’autre.
Mme de Coantré vient de mourir ; on ouvre le testament ; il n’y a plus rien que des dettes ; et pis encore, il n’y a plus de férule, de direction, de conduite de la maison. Il va falloir quitter le boulevard Arago, trouver une situation, travailler… Un abîme pour ces deux infirmes sociaux, incapables de prendre une décision, puérils et pathétiques, ni bons, ni méchants par la même sclérose de la volonté, à peine sexués, totalement hors du monde. Le récit est celui de la lente dégringolade de Léon. Quelle que soit l’infinie médiocrité du personnage, il est assez poignant.
Un peu comme dans Milou en mai de Louis Malle, on peut trouver une certaine parenté de destin, plus rose ici, plus noire là entre ces personnages hors du temps et de la vie. Plus j’y songe, plus la comparaison me semble exacte. Êtres immatures, nullement prêts à affronter les difficultés, à peine capables d’approcher les autres, Milou, Élie et Léon sont des paumés intégraux.
Le téléfilm de Jean Prat est une splendeur de sensibilité et d’intelligence. Il rend à merveille, jusque dans la musique de piano parcimonieuse et bien élevée qui en accompagne la fin, l’aigre mesquinerie de la vie de parasites éberlués, ahuris par la violence du Monde… ■
Sans doute pour des raisons de droits, il n’y a pas le moindre DVD. Mais on peut trouver le téléfilm sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=hEOfPNoewKg).
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