Par Sébastien Lapaque.
Cet article – une recension – est paru dans Le Point du 17 septembre. Érudit, roboratif, sensible et non-conformiste, à la manière de Lapaque, il est censé traiter du style et, nécessairement du fond, poétique, religieux et, finalement, politique, de la droite littéraire. Avec Lapaque, quelques grands noms des lettres et des arts ne sont jamais très loin. Et leur galaxie tourne en quelque façon, comme toujours, autour de Maurras auquel, on le sait, depuis sa jeunesse turbulente à l’Action Française,, pour simplifier beaucoup, Lapaque préfère Bernanos. Et ce, quoique selon Massis, l’un de ses plus proches, en esprit et en amitié, Bernanos soit, dans le fond, toujours resté un camelot du roi. La querelle – s’il est encore une – tient à ce que Barrès appelait les « puissances du sentiment ». Et, en l’espèce, sans-doute, du sentiment religieux. C’est à lire, bien sûr.
Sébastien Lapaque a lu « Le Style réactionnaire », de Vincent Berthelier, qui analyse la langue des écrivains classés à droite et à l’extrême droite. Sans être convaincu.
« Existe-t-il un style de droite ? » se demandait la revue La Parisienne, joyeusement animée par Jacques Laurent, en juin 1955. Rappelons le contexte. Staline était mort depuis deux ans. À Paris, les barricades qui séparaient les rives de la Seine n’étaient pas imaginaires. Seul Marcel Aymé avait le don d’y grimper pour jouer à chat perché. Dans Les Temps modernes, sous un titre apparemment inoffensif, « La pensée de droite, aujourd’hui », Simone de Beauvoir venait d’établir une liste de suspects, mêlant sans distinction libéraux et fascistes, chrétiens et païens, modernistes et conservateurs, Raymond Aron et Oswald Spengler, Roger Caillois et Maurice Barrès, Jean Giono et Pierre Drieu la Rochelle, André Malraux et Roger Nimier. « Des parasites bourgeois, une simple émanation des puissances capitalistes, un épiphénomène, un néant. » N’en jetez plus.
Longtemps après que le mur de Berlin a disparu, rares sont les critiques littéraires qui invoquent le bilatéralisme droite-gauche en usage à l’époque de la guerre froide pour présenter les têtes de gondole de la rentrée littéraire. Sinon à gauche de la gauche, où l’on a gardé le goût du « rappel à l’ordre », depuis l’Enquête sur les nouveaux réactionnaires publiée par Daniel Lindenberg (chez Seuil) en 2002, un essai qui s’en prenait aux romanciers Maurice G. Dantec, Michel Houellebecq et Philippe Muray et accusait les juifs d’avoir « viré à droite ». Quand on saura qu’Alain Minc a été agrafé dans cette enquête brouillonne, on aura compris que les méthodes accusatoires sont restées les mêmes qu’à l’époque de Simone de Beauvoir.
Le catholicisme comme décor
Vingt ans plus tard, Vincent Berthelier met ses pas dans ceux de Daniel Lindenberg et publie Le Style réactionnaire, de Maurras à Houellebecq. L’effet d’amalgame apparaît dès le titre. Car s’il est une clause qui sépare l’auteur d’Anthinéa et celui de Plateforme, c’est bien celle du style. Maurras croit à la poésie « sérieuse », celle du grand vers tragique, quitte à donner un côté faux marbre à ses variations sur un thème de Sophocle ; en quête de « quelque chose de religieux intégrant l’existence des parkings souterrains », Houellebecq défend la poésie comme une parole sans servitude, trash et sentimentale, et veut la faire triompher à l’intérieur même du roman, ainsi qu’il l’écrit à Bernard-Henri Lévy dans Ennemis publics. Davantage que le style, ce sont les idées qui rapprochent Maurras et Houellebecq quand l’un et l’autre, à la suite de leur maître Auguste Comte, célèbrent le catholicisme comme une hiérarchie spirituelle et un décor structurant, parfois avec les mêmes concepts, jamais avec les mêmes mots. Houellebecq poursuit le bonheur davantage que l’ordre. Et il quitte Maurras par un chemin perpendiculaire face aux « larmes de joie » de Pascal, obstinément « puni » par le Martégal.
Pour mener son enquête sur le tempérament et la langue des écrivains classés à droite et à l’extrême droite, de l’entre-deux-guerres à nos jours, Vincent Berthelier a lu beaucoup de livres et a eu le mérite d’aller aux sources. Mais il a fait craquer le cadre pour y coincer ses sujets : Barrès et Maurras, Céline et Bernanos, Morand et Chardonne, Nimier et Blondin, Jouhandeau et Cioran, Renaud Camus et Richard Millet, Michel Houellebecq et celui qu’on prend pour Michel Houellebecq. Au même moment, il a eu l’art d’écarter les œuvres et les hommes qui contrariaient sa démonstration. À propos de la maîtrise des rythmes rhétoriques du français classique qu’il pointe chez Renaud Camus et Richard Millet, il aurait pu évoquer Roger Vailland, Marguerite Yourcenar, Julien Gracq et Guy Debord. Ou quelques pages bien sonnantes de La Paille et le Grain de François Mitterrand. Et que fait-il du cas Dominique de Roux, le fondateur des « Cahiers de L’Herne », se disant « déjà pendu à Nuremberg » et moquant les Hussards comme des « chevau-légers du ressentiment bourgeois » ? De Guy Dupré et de ses manœuvres d’automne ? De Marc-Édouard Nabe, rarement classé à gauche, criant : « Mort aux hussards morts et vivants » ?
Examiné comme une suite de vignettes composées par un universitaire revendiquant « le point de vue modeste du stylisticien » et non celui de l’historien des idées, Le Style réactionnaire se lit aussi agréablement que les grands essais littéraires d’Albert Thibaudet. Envisagé comme une thèse, ce livre ne parvient pas à convaincre.
Gauche généreuse vs droite mesquine
Vincent Berthelier n’est pas fair-play lorsqu’il s’attarde sur des seconds couteaux, tels qu’Abel Hermant ou André Thérive, pour ringardiser les manies des écrivains réactionnaires à l’âge d’or du purisme. « D’une façon générale, si on veut servir la justice et cette part de vérité qui est la nôtre, on ne doit pas juger d’une doctrine par ses sous-produits, mais par ses sommets », écrivait Albert Camus à Francis Ponge. Les sommets du retour au classicisme méditerranéen prôné par Charles Maurras, ce sont les contrerimes de Paul-Jean Toulet, les bas-reliefs d’Antoine Bourdelle et les poèmes symphoniques de Déodat de Séverac. Quant aux contrariétés et aux insuffisances de cette esthétique en défaut, il faut relire Le Purgatoire de Pierre Boutang pour se souvenir que ce roman publié en 1976 les attribue à une « erreur pseudo-classique sur le langage » due à « des rimeurs d’arrière-garde à forme fixe, des peintres de salon, des architectes de bonbonnière ».
Dans leur rapport à la France, au peuple, à la monarchie, à la République, à l’Église, aux juifs, à Dieu, au Christ, à Napoléon, au général de Gaulle, à la modernité, à la raison ou aux homosexuels, les papillons épinglés par Vincent Berthelier affectent des points de vue trop divers pour être rangés dans la même boîte. Sinon pour perpétuer l’image confortable d’une gauche généreuse et d’une droite mesquine.
Lieux communs judéophobes
Écrire que l’antisémitisme de Céline « suffit à le classer à l’extrême droite », c’est oublier facilement le glissement sinistrogyre des lieux communs judéophobes dans la littérature française depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Dès cette époque, un orientalisme aux relents sulfureux qu’on ne nommait pas encore l’islamo-gauchisme s’est bricolé un corpus et s’est trouvé un style. Éclatant de lucidité, le jeune Nimier l’a pointé dès juin 1956 dans La Nation française. « [La gauche] renie ses principes. Pour l’amour du monde arabe, elle piétine sa famille spirituelle. Ce qu’elle appelait hier l’obscurantisme religieux, elle le respecte à Rabat ou au Caire. Elle approuve la barbarie antisémite avec un entrain qui laisse rêveur. » L’invocation d’une « rupture générationnelle entre anciens et nouveaux réactionnaires » au tournant des années 1970 atténue certaines contradictions. Elle ne permet cependant pas de distinguer la parenté génétique et la parenté mythique chez les aïeuls et les petits-fils de la famille sur laquelle s’est penché Vincent Berthelier. À gauche comme à droite, il y a eu trop de parricides, trop de remariages, trop de fratricides, trop d’adoptions, trop d’héritages morcelés, de propriétés dispersées. ■
Le Style réactionnaire, de Maurras à Houellebecq, de Vincent Berthelier (Éditions Amsterdam, 384 p., 22 euros).
À lire dans JSF
De Louis-Joseph Delanglade : L’Immonde à propos de Ce monde est tellement beau, de Sébastien Lapaque (Actes Sud)
Merci à Rémi Hugues de sa transmission.
La GRANDE littérature est de droite ; le reste … virago-che.
Voilà bien longtemps, taillant l’bout de gras littéraire avec le très excellent Hubert Juin (expédié dans sa jeunesse par le Parti communiste français en Bulgarie, pour «formation»), je lui disais : «Les grands écrivains sont tous de droite, à part Victor Hugo et Émile Verhaeren…» Il me répliquait : «Tu as raison, sauf sur Victor Hugo : tu te trompes, il était de droite. Et dans tes exceptions, tu oublies Chateaubriand, qui était évidemment de gauche.» Une précision : Hubert Juin s’est converti au catholicisme très peu de temps avant de mourir.
«Le style c’est l’homme», avançait je ne sais plus quel «classique»… Pas tout à fait, en vérité. Si l’on compare Laurent Tailhade et Léon Bloy, apparemment aussi pharamineusement (d’après Pharamond, roi de France originel et d’après la Bête Pharamine issue des plus grandes profondeurs du mythe français) , aussi pharamineusement corruscants l’un que l’autre, lorsque nous allons les comparer, donc, eh bien voilà : superficiellement, ils paraîtront «autant», «aussi», sauf que, voilà, l’un est un «entrepreneur de démolition» catholique et royal, l’autre un moralisateur anarchiste et, tout compte fait, l’écart «stylistique» étincelle au profit de Léon Bloy, en raison du fait que le «style» vaut encore plus pour le service auquel il se soumet… (Entre parenthèses et sauf erreur, Tailhade commença plus ou moins à l’Action française naissante – à revérifier.)
Je semble ici avoir contredit Sébastien Lapaque, qui paraît avancer que Houellebec et Maurras seraient au service d’un même fond, mais, si l’on observe un peu plus longtemps l’intervalle doctrinal entre «bonheur» et «ordre», sauf à savoir les confondre dans un concept de nature supérieure, c’est-à-dire l’«idée» SPIRITUELLE unificatrice et/ou CENTRALE, sauf données métaphysiques, donc, la poursuite individuelle d’un revendiqué bonheur se sépare radicalement de la soumission à un ordre et, au fond, voilà tout ce qui séparera le beau style de la ringarde besogne, la droiture «droite» du gauchissement «gauche».
La volonté du «bonheur», c’est le «Paradise Now» salacement gigoté par le Living Theatre déculotté, vers 68 ; le souci d’«ordre», c’est «Le Paradis perdu» de Milton – différence de «styles» ou non ?
sébastien lapaque est toujours aussi pertinent!
si vous venez à Marseille vous aurez le gite et le couvert!
amitiés
Il y a des styles réactionnaires, en revanche je n’en vois plus apparaître dans l’intelligenzia progressiste. J’ai le sentiment qu’au milieu du XXe siècle, tous les styles se sont épuisés : réduction de l’architecture au fonctionalisem Bohaus, nouveau roman minimatiste, peinture monochrome, déconstruction musicale et symphonie silencieuse.
Une fois épuisée la course à l’originalité, (cf. l’art du procédé » qu’évoque Oswald Spengler) il n’y a plus d’aventure formelle collective.
Quel patrimoine de notre époque laisserons nous à nos arrières petits enfants dans quelques siècles ? Seuls les antimodernes pourront-ils témoigner par leur « réactions » formelles de la décadence de la modernité.