Cet entretien est paru dans Le Figaro de ce matin même, 21 septembre. Nous n’ajouterons rien aux analyses de l’universitaire suédois interrogé ici par Eugénie Bastié. Il sait manifestement de quoi il parle. Pour la France, droite et gauche confondues, populistes, souverainistes, royalistes inclus, il nous confirme que ceux qui craindront, pour diverses raisons, morales ou autres, d’aborder de front les dangers de l’immigration massive, non seulement trahiront leur patrie (terre des pères, n’est-ce pas ? et non pas terre de qui entend s’y installer) mais aussi se couperont de la grande majorité de nos concitoyens et dès lors n’auront que de faibles chances de les attirer vers eux. La question migratoire est bien, selon nous, un possible facteur d’éclatement des systèmes dominants européens et de l’U.E. elle-même. Elle touche à la fois à notre devoir de patriotes français et à notre souci stratégique.
Entretien par Eugénie Bastié
ENTRETIEN – En Suède, une coalition réunissant la droite traditionnelle et les Démocrates de Suède (populistes) a remporté de justesse les législatives. Pour le chercheur suédois Tino Sanandaji, la politique d’immigration qu’avaient menée les partis traditionnels au nom du multiculturalisme n’avait jamais été soutenue par les électeurs.
LE FIGARO.- Comment expliquer le succès des Démocrates de Suède ?
Tino SANANDAJI.- Le succès des Démocrates de Suède est presque entièrement dû au mécontentement de la population à l’égard de la politique d’immigration dans le pays et au politiquement correct qui entoure ce sujet. Pendant longtemps, la Suède a été le pays européen qui a accueilli le plus de demandeurs d’asile par rapport à sa population. De nombreuses années, le taux d’immigration a été plus rapide que le record américain lors de l’immigration transatlantique des années 1890. La Suède était un pays homogène et, quand on y accueillait des migrants, ceux-ci venaient principalement d’autres pays européens. Mais, en raison d’une politique excessive, la part des migrants non occidentaux de première et de deuxième génération est passée de 2 % en 1980 à environ 20 % aujourd’hui. Le taux d’immigration a un peu diminué à l’heure actuelle, mais il reste très élevé.
Or, cette politique qui a transformé le pays n’a jamais eu le soutien d’une majorité ou même d’une grande part de l’opinion publique suédoise. Les sondages annuels réalisés depuis les années 1980 en science politique montrent que l’opinion suédoise, dans chaque enquête, était favorable à la réduction du nombre de réfugiés. Dans le même temps, des enquêtes ont montré que l’élite politique de gauche et de droite a soutenu cette politique migratoire laxiste et l’a aggravée.
Les Démocrates de Suède (DS) ont commencé à se développer dans un climat politique où 60 % à 70 % des électeurs qui se sont exprimés préfèrent réduire l’immigration des réfugiés alors que 0 % des partis traditionnels proposait ce choix aux électeurs. Ils poussaient plutôt à encore plus d’immigration, motivés par une ferveur idéologique pour le multiculturalisme. Lorsque les DS ont été élus au Parlement, en 2010, le premier ministre de centre droit s’est joint au parti Vert de gauche pour encore augmenter le niveau d’immigration, affirmant qu’il avait fait cela pour montrer aux électeurs que voter pour les DS conduirait à l’effet opposé. Alors que les DS ne cessaient de monter en 2014, les partis traditionnels ont créé un cartel afin de les exclure du pouvoir et de maintenir les politiques migratoires laxistes du pays, malgré l’opposition populaire.
Ignorer la volonté populaire s’est cependant avéré insensé, à mesure que les problèmes causés par l’immigration devenaient plus évidents, et le seul parti qui proposait la politique exigée par la majorité de la population n’a cessé de progresser. Les DS passent de 0,1 % en 1991 à plus de 20 % aujourd’hui – comme en symétrie de la progression de la part de la population d’origine non européenne. Si les DS n’avaient pas eu une histoire sordide avec plusieurs membres qui avaient des sympathies néonazies, ils seraient montés encore plus rapidement.
Est-ce le retour de bâton du politiquement correct ?
Pendant longtemps, toute personne normale qui critiquait les politiques migratoires risquait d’être traitée de nazi ou de raciste. Cela a provoqué du ressentiment et une perte de confiance dans les médias et les élites politiques, perçus comme ayant menti à l’opinion et intimidé la dissidence. Pour cette raison, même si les sociaux-démocrates et les partis de droite traditionnels promettent maintenant de réduire l’immigration et d’être durs envers la criminalité, de nombreux électeurs récompensent les DS. Beaucoup de leurs électeurs sont d’anciens sociaux-démocrates, et la stratégie de les qualifier de nazis s’est avérée contre-productive, car les électeurs protestataires, qui ne voulaient peut-être qu’envoyer un signal, quittent définitivement le parti social-démocrate.
Oui. D’une part, eux et leurs électeurs critiquent souvent les élites. D’autre part, les DS, contrairement aux partis de centre droit, soutiennent l’État-providence et séduisent les électeurs de la classe ouvrière. C’est aussi pourquoi ils sont tant montés. La Suède est un pays où l’identité de classe reste importante pour voter. Les partis politiques suédois de droite sont tous des partis bourgeois dans leur culture et leur histoire, et suscitent un attrait limité des classes ouvrières.
La Suède se distingue par le recours aux statistiques ethniques. Celles-ci ont-elles permis de lever le tabou sur l’immigration ?
En Suède, il était devenu tabou de simplement mentionner les statistiques sur l’immigration, alors même que la Suède a été le pays qui a inventé les statistiques démographiques modernes en 1749 et possède donc la plus longue série de statistiques démographiques du monde. Le tabou de la compilation de données ou de leur disposition en libre accès s’est renforcé en 2010, lorsque les DS sont entrés au Parlement. Bien sûr, la raison pour laquelle les données sont devenues taboues est qu’elles ont montré les effets économiques et sociaux négatifs de l’immigration, alors que l’opinion politiquement correcte exprimée par gouvernement et médias était que l’immigration des réfugiés était bénéfique pour la Suède et n’affectait pas la délinquance. Les statistiques ne sont jamais devenues illégales, mais un langage orwellien a été utilisé pour décourager ou réprimer leur usage. Par exemple, le ministre social-démocrate de la Justice a affirmé que des statistiques actualisées sur la délinquance des immigrés n’étaient «pas nécessaires» puisque la recherche avait déjà prouvé que celle-ci était causée par la pauvreté et que l’immigration n’avait rien à voir. Les chercheurs qui ont analysé des données ou fait des recherches sur des questions telles que le viol et l’immigration encouraient le risque d’être licenciés ou harcelés, avec l’argument selon lequel ils faisaient le lit du racisme.
La Suède, cœur de la social-démocratie, se déplace vers la droite. Est-ce un symbole pour d’autres pays européens ?
Le fait que la Suède suive le Danemark et se déplace vers la droite sur les questions migratoires peut avoir un effet symbolique pour d’autres pays européens. La Suède a une influence disproportionnée par rapport à sa taille puisqu’elle a longtemps été considérée comme un modèle par la gauche internationale. En outre, la Suède a mené la politique migratoire la plus excessive d’Europe, et l’augmentation de la criminalité et de la pauvreté dans les zones d’immigration a été observée au niveau international, de sorte que, en Norvège, par exemple, la droite utilise l’expression «conditions suédoises» pour désigner un contre-exemple à fuir. Alors que la Suède a été un modèle positif du point de vue de ses politiques sociales et de son État-providence, elle est devenue un repoussoir en raison de ses politiques migratoires et de son modèle multiculturaliste. ■
Tino Sanandaji est un économiste irano- suédois, docteur de l’université de Chicago. Il est l’auteur de la note «Les Suédois et l’immigration» (Fondapol, 2018).
C’est le même mode opératoire de l’invasion migratoire extra européenne dans tous les pays de l’UE par tous les partis politiques dont la bave de la démocratie leur coule de la bouche en permanence.
Article particulièrement intéressant par sa rétrospective. Et si nous effectuons nous aussi une plongée dans le passé de l’AF, nous voyons que nous ne sommes pas indemnes de cet aveuglement. Rappelons aux vieux militants les discours de Michel Giraud, Gérard Leclerc et Arnaud Fabre de Rieunègre dans le début des années 1970. Michel Giraud affirmait, au nom de l’inexistence de l’inné, qu’on pouvait faire des français avec n’importe quel peuple, car la France « était le seul peuple au monde à être véritablement et exclusivement humain. Gérard Leclerc reprenait inlassablement en les étendant à l’infini les théories de Marie de Roux sur la France, naturellement « ouverte » car « ayant développé ce qu’elle avait de commun avec toute l’humanité » au lieu de maximiser ses particularismes comme (bien sûr) l’Allemagne. Quant à Arnaud Fabre, il expliquait que l’acceptation sans réserve de l’immigration était le propre des « grands pays », qui n’ont pas besoin de « se crisper sur un provincialisme étriqué » pour survivre, comme les petites nations. Et que dire de Pierre Pujo, qui interdisait tout débat à l’intérieur de l’AF sur ce sujet de l’immigration, en expliquant qu’après avoir lutté pour l’intégration en Algérie, il n’allait pas demander le « dégagement » des immigrés, d’où qu’ils vinssent ». Le même Pujo au nom de « la plus grande France », proclamait dans un discours au congrès souverainiste « le droit, pour tout homme désireux d’accéder au génie français, de venir sur notre terre et de communier dans ses valeurs ». Et dans cet invraisemblable aveuglement, il avait été précédé par l’Abbé de Nantes, qui soutenait qu’il était irréaliste et impie de s’opposer à l’immigration, qui était la conséquence directe de nos péchés (la limitation des naissances) , car, disait-il, « mécaniquement, le vide attire le plein. »
Donc c’est bien de mettre le nez de nos adversaires dans leurs erreurs, mais il convient de voir que nous ne sommes pas tout à fait exempts de ces mêmes divagations. Bien sûr, la Gauche a été aveugle au nom de l' »humanisme », et l’AF a été aveugle au nom de l’exception française. À. tout le moins, il convient de ne pas retomber, d’ailleurs pour les mêmes raisons.
A cet excellent commentaire d’Antiquus, j’ajouterai que ces combats (que je n’ai personnellement pas connus) me paraissent s’inscrire dans une sorte de continuation du combat pour l’Algérie française (c’est notamment le cas chez Pujo semble-t-il) ; combat que l’on peut approuver ou pas, peu importe, mais qui paraît totalement anachronique.