Nous ne redirons pas tout le bien que nous pensons des écrits de Didier Desrimais. Cet article est paru dans Causeur, le 27 septembre. Nul doute qu’on le savourera parmi nos lecteurs. Anciens et – heureusement ! – beaucoup de nouveaux.
Par Didier Desrimais*.
La présidente de la Commission européenne n’hésite pas à se faire menaçante envers les pays qui ont l’outrecuidance de porter au pouvoir des dirigeants populistes ou nationalistes.
Lors d’un discours prononcé à l’Université de Princeton l’avant-veille des élections italiennes, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déclaré, menaçante: « Nous verrons le résultat du vote en Italie, il y a eu aussi les élections en Suède. Si les choses vont dans une direction difficile, j’ai évoqué la Pologne et la Hongrie, nous avons des outils. » Mme von der Leyen a de la démocratie une idée assez proche de celle de son prédécesseur, Jean-Claude Juncker : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens » [1]. Cette idée repose sur une vision mondialiste, immigrationniste, wokiste et multiculturaliste d’une Europe devant se plier aux desiderata de l’Allemagne devenue elle-même une vassale des États-Unis. Les peuples qui s’éloignent de cette vision doivent être punis. Les Hongrois, les Polonais, maintenant les Suédois et les Italiens sont prévenus: s’ils ne veulent pas voir bloquer les subsides dûs par l’UE à leur pays il leur faut rentrer dans le rang, accepter les idéologies « sociétales » et « progressistes », ne pas contrarier les décisions américano-européistes à propos de la guerre russo-ukrainienne, courber l’échine devant l’Impératrice Ursula.
Une technocrate qui pense qu’elle a tout d’une grande
Mme von der Leyen, rappelons-le, n’a pas été élue par les peuples européens. Elle n’est qu’une fonctionnaire propulsée à la présidence de la Commission européenne suite au choix d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron; elle n’a par conséquent aucune légitimité politique. Avant de rejoindre Bruxelles, Ursula von der Leyen a été la ministre de la Défense d’Angela Merkel. Considérée en 2019 comme un des deux ministres les moins compétents du gouvernement (sondage d’opinion pour le journal Bild), les Allemands n’ont retenu de son passage à ce ministère que l’affaire des contrats de plusieurs dizaines de millions d’euros obtenus de façon trouble par des consultants et des cabinets-conseils – ce qui pourrait relever de la connivence entre hauts fonctionnaires et lobbyistes privés, selon le rapport de la commission d’enquête parlementaire qui a suivi ladite affaire. Ursula von der Leyen a plaidé l’ignorance tout en expurgeant ses deux téléphones portables professionnels de tout message avant de les remettre à la commission parlementaire [2]. Apparemment, Mme von der Leyen n’aime pas qu’on vienne chercher des poux dans ses messageries professionnelles…
… En avril 2021, le New York Times révèle l’existence de SMS échangés pendant au moins un mois entre la présidente de la Commission européenne et Albert Bourla, le PDG de la firme Pfizer, en plein pendant les négociations sur un énorme contrat d’achat de doses du vaccin contre le Covid. Malgré l’insistance de la médiatrice de l’Union européenne, Emily O’Reilly, la Commission n’a pas cru bon de chercher à savoir ce que contenaient les messages entre sa présidente et le directeur du laboratoire Pfizer au moment où se négociaient les quantités et le prix du vaccin en question [3]. Ceci est d’autant plus étrange que, comme l’a rappelé Julien Dray dans l’émission “ça se dispute” sur CNews le 25 septembre, un possible conflit d’intérêts d’envergure traîne dans l’air. Julien Dray faisait bien sûr allusion à la nomination de Heiko von der Leyen, époux d’Ursula von der Leyen, à l’éminent et lucratif poste de directeur médical au conseil d’administration d’Orgenesis (société américaine de biotechnologie étroitement liée à Pfizer) en décembre 2020, à peine un mois après l’annonce officielle par la Commission européenne de l’accord entre cette dernière et Pfizer.
« Il faut que Poutine perde cette guerre et réponde de ses actes, c’est important pour moi », a déclaré Ursula von der Leyen à la chaîne de télévision du quotidien Bild. Elle promet que l’UE soutiendra l’Ukraine « aussi longtemps que possible ». Pour qui se prend cette technocrate qui s’invite à la table des représentants des pays du G7 où elle n’a rien à faire, qui décide du soutien de tous les pays de l’UE à l’Ukraine et des sanctions qui doivent être appliquées aux Russes, qui détermine ce que doit être la politique de « sobriété énergétique » de chaque pays de l’UE, qui a passé avec Joe Biden, le 25 mars, un accord en catimini afin de rendre possible le transfert des données numériques personnelles entre l’Europe et les États-Unis en contrepartie de la livraison du très onéreux gaz naturel liquéfié américain issu de la catastrophique exploitation du gaz de schiste [4] ? Au nom de qui parle la présidente de la Commission ? Au nom des Allemands et des Américains. Emmanuel Macron, sujet de l’Empire, suit le mouvement et donne des coups de menton dans le vide à l’ONU.
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Il a tenu, devant une assemblée amorphe, un discours creux qui n’était qu’une déclaration de soumission à la politique américaine. Macron et von der Leyen sont aux ordres de Biden. Le premier joue de la flûte à l’ONU. La seconde animait le 8 avril dernier une espèce d’Ukrainethon intitulé “Stand up for Ukraine” et appelant les « citoyens à travers le monde » à se mobiliser pour encourager les donateurs pour l’Ukraine. Une vidéo circule sur les réseaux sociaux. Elle montre une Ursula von der Leyen animant, hilare, cette récolte de fonds. On croit d’abord à un montage. Ou à un pastiche du film de Kubrick, “Docteur Folamour”. Mme von der Leyen est morte de rire, elle a l’air dans un état second, elle gesticule en faisant les comptes devant un Justin Trudeau, l’air toujours aussi inspiré, applaudissant derrière elle sur un écran. Elle prend son temps, elle goûte visiblement les réactions amusées du public et de ses assesseurs, elle s’applaudit. Si on ne savait pas que c’est d’une guerre qu’il s’agit on pourrait croire voir une émission débile de jeu télévisé. Mais là, puisque nous savons de quoi il retourne, seuls des mots grossiers nous viennent à la bouche pour qualifier cette éminente représentante européenne qui se croit à la fête à Neuneu et semble oublier les conséquences désastreuses d’une guerre qui aurait pu être évitée si les Américains et, à leur traîne, les Européens n’avaient pas agité le chiffon rouge d’une intégration accélérée de l’Ukraine à l’UE et, surtout, à l’OTAN.
Ursula et Emmanuel étaient faits pour s’entendre
Va-t-on laisser encore longtemps cette eurocrate donner ses ordres aux gouvernements élus par les peuples européens ? Quelle est sa légitimité ? Qui représente-t-elle réellement ? Ursula et Emmanuel étaient faits pour s’entendre. Ils se fichent des peuples européens comme de leur premier contrat avec un cabinet-conseil. Leurs intérêts sont ceux de la caste mondialiste. Toute entrave à leur marche en avant vers le désastre d’une Europe sansfrontiériste et « progressiste » les rend plus hargneux et décidés à ruiner les populations qui résistent.
Emmanuel Macron n’aime pas particulièrement la France, il ne parle d’ailleurs avec conviction que de la « souveraineté européenne » ; il fait partie du plan maastrichtien de destruction des nations. Bienheureux les Hongrois qui ont élu un président qui croit, lui, en la culture de son pays et qui défend les intérêts de ses concitoyens sans se laisser intimider par les menaces américaines ou les rodomontades de Bruxelles. Nous n’avons pas cette chance, nous autres Français. En plus d’un président assujetti à l’UE et aux États-Unis, nous avons des intellectuels et des journalistes petits-bourgeois et belliqueux qui gesticulent dans des revues mondaines et des journaux de gauche et se refont une conscience en tirant sans discernement sur la Russie « impérialiste », la Suède « ultra-droitisée », l’Italie « postfasciste » et « l’extrême-droite » française. Parmi eux, un philosophe globe-trotter représentant en chemiserie intachable, spécialiste des combats perdus d’avance, expert dans les catastrophes qu’il provoque, continue de donner des leçons à la terre entière. Pourtant, tout ce qu’a diagnostiqué, annoncé ou prédit Bernard-Henri Lévy, s’est avéré faux et systématiquement contredit par la réalité. Dans un tweet du 25 septembre, BHL approuve, un genou en terre, l’Impératrice Ursula: « von der Leyen a raison. L’UE a été créée comme un rempart contre le colonialisme (sic), le communisme (resic) et le fascisme (et sic de der). Si les postfascistes Meloni et Salvini l’emportent en Italie, son rôle sera de veiller, en effet, au respect des traités et de l’État de droit ». La présidente inquisitoriale de la Commission européenne menace de se servir « d’outils » pour travailler au corps les nations récalcitrantes. BHL, en Bernard Gui d’opérette, est prêt à se rendre sur place et à faire endurer le supplice de sa seule présence aux hérétiques souverainistes – il est prévu des photos éblouissantes dans Paris-Match.
Mme von der Leyen a été un soutien inattendu pour les droites italiennes et Giorgia Meloni. Il n’est pas impossible que certains Italiens hésitants aient fait leur choix – le choix d’une Italie souveraine et qui n’entend pas se voir dicter sa politique par une oligarque technocratique – après sa déclaration comminatoire. La coalition conservatrice italienne a largement gagné les élections. Ursula farfouille en bleu de chauffe dans sa caisse à outils. Choisira-t-elle la manière douce, les fameux « traités européens » en bandoulière, pour tenter de redresser ce pays réfractaire ? Ou bien la manière forte – les menaces financières, entre autres – pour le forcer à rentrer dans le cadre rigide d’une « Europe souveraine » américanisée ? Nous l’ignorons. Une chose est sûre : les Hongrois, les Suédois et les Italiens ont décidé, eux, de reprendre leur destin en main. Et pour cela ils ont choisi le seul outil que Mme von der Leyen semble ignorer : la démocratie. ■
[1] Entretien donné au Figaro le 28 janvier 2015.
[2] Les Échos, article paru le 14 janvier 2020.
France Culture, édito de Camille Magnard du mercredi 24 juin 2020.
[3] Marianne, article paru le 28 janvier 2022.
L’Express, article paru le 29 janvier 2022.
[4] Édito de Natacha Polony sur la Web TV de Marianne le 19 septembre 2022.
* Amateur de livres et de musique, scrutateur des mouvements du monde.