Cet entretien réalisé – avec intelligence et talent – par a été publié dans le Figaro du 30 septembre. Nous avons souvent pensé que Le Puy du Fou est ce que Philippe de Villiers a fait de mieux au fil d’une carrière politique dont il a dressé lui-même la critique et le bilan. Et avec assez de sévérité pour que l’on n’ait pas à en rajouter. Ces propos au Figaro tout emplis du souci de la France, la vraie France, la seule France, nous confirme dans cette opinion. À l’heure de la redécouverte de leur nation par des peuples européens effrayés à la perspective d’en être dépossédés, le sujet prend toute son importance. Et, dans ce registre, de Villiers est à lire et entendre.
GRAND ENTRETIEN – Soutien d’Éric Zemmour, l’écrivain et fondateur du Puy du Fou signe La Valse de l’adieu, un roman historique plein de souffle où l’on croise notamment Napoléon. L’occasion d’échanger avec lui sur sa passion inépuisable pour l’histoire de France, mais aussi de dresser le bilan de la campagne présidentielle et d’évoquer son avenir et celui du pays.
« Une nation, c’est un lien amoureux. Il faut refaire un peuple amoureux »
LE FIGARO MAGAZINE. – Avec La Valse de l’adieu, vous revenez au roman historique. Du Roman de Saint-Louis au Mystère Clovis en passant par Le Roman de Jeanne d’Arc, êtes-vous en train d’écrire votre roman national ?
Philippe de VILLIERS. – Oui. À ma manière. Et à la première personne, pour donner à mes personnages du relief et de l’humanité. Mes succès éditoriaux m’encouragent à poursuivre la saga française. Mon roman national à moi est un roman d’amour, d’amour de nos patries charnelles. Pourquoi Ernest Lavisse a-t-il, en son temps, écrit le roman national? Parce qu’il avait compris, après la défaite de 1870, que l’évangile des droits de l’homme ne suffirait plus à étancher la soif des mémoires en manque et des âmes appelantes, palpitantes. Tous les grands historiens républicains étaient à la recherche d’une figure métaphorique inédite d’une France à aimer qui fût fédératrice.
L’«instituteur national» résumait ainsi les inquiétudes: «L’ancienne unité est morte, il faut à tout prix en trouver une autre.» Hélas, le roman national fut atteint en plein cœur en Mai 68 par un cocktail Molotov, qui venait de la Sorbonne occupée. Depuis cette période de torpeur, l’Histoire a quitté ses voisinages de prestige avec la littérature ; elle a été livrée aux sciences sociales jargonnantes et mortifères. Les historiens sont devenus des médecins légistes. On a tué l’épopée. Et on s’apprête à halaliser le livre d’heures. Il est urgent d’inventer une mise en images allégorique pour déposer dans le sillage de chaque petit Français un peu de nos tendresses enfouies. Je veux consacrer le reste de mes jours à cette œuvre de réhabilitation de l’histoire de France.
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de déformer l’Histoire, notamment à travers le Puy du Fou?
Vous parlez là d’une poignée d’aigris dont la circonscription électorale ne dépasse guère un abri à trottinettes. Toute la France populaire accourt au Puy du Fou. Elle vient y chercher ce qui lui manque: le frisson de l’âme, une ancre de tendresse, des rêves fulgurants, de l’émotion. C’est la quête insondable des humilités oblatives, de la grandeur sacrificielle, de l’appartenance passionnelle, de l’incandescence du feu intérieur. Le Puy du Fou est devenu un haut lieu de la mémoire vivante du dépôt millénaire.
Plus encore que de raconter l’histoire de France, vous exaltez notre mythologie et notre imaginaire national… Comme Alexandre Dumas, pensez-vous qu’on peut violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants ?
Je ne le crois pas. La France est un acte d’amour. Ce n’est pas un hasard si une miniature du XVe siècle présente notre pays sous la figure idéale d’un jardin de paradis. Nul besoin de violer l’Histoire pour aller cueillir en ses parterres de tempérance les plus belles fleurs de sapience et de chevalerie. Dans les replis de son âme, par les sonorités intimes de sa langue, la France est un long poème. C’est une pluie de perles sur un plateau de cristal. Rien de plus exquis, rien de plus fragile. La marqueterie sublime peut se défaire à tout moment.
N’oublions jamais que notre vieux pays n’est pas né de la nature ou d’un coup de force ou d’un trait de plume de robin. Il est né d’un acte littéraire, avec La Chanson de Roland: France-la-Douce. La France, c’est cette dame de haut port et de seigneurie qui essuie et console les larmes d’un peuple où l’imaginaire réchauffe les affections. Quand la France s’éloigne du sublime, elle se vautre. Quand elle perd son verbe, elle finit en jurons.
Pour faire une nation, il faut du liant. Le liant, c’est cette enluminure d’allégresses et de souvenirs communs qu’on loge dans le petit cœur à panache des enfants. Une nation, c’est un lien amoureux. Il faut refaire un peuple amoureux.
Votre œuvre, aussi bien éditoriale que scénaristique au Puy du Fou, est-elle un antidote face à ceux qui entendent déconstruire notre histoire ?
Cette œuvre n’est pas un règlement de comptes. C’est au contraire une réponse harmonieuse et en altitude aux humeurs grinçantes. Tous les régimes barbares établissent leur forfait sur la violence et l’amnésie. On veut liquider le passé et en disperser les cendres. Pour qu’il ne revienne plus et qu’il ne soit plus jamais une tentation des âmes. Il y a plusieurs manières de le tuer. La nôtre – la plus policée, la postidentitaire -, c’est le mémoricide. Il suffit de ne plus parler aux enfants de nos grands hommes, de nos œuvres d’art, de nos légendes, pour éteindre en eux la petite flamme des ferveurs naissantes. Ainsi fait-on grandir des plantes d’hébétude qui promènent leurs étourdissements dans l’air du temps. Ou qui se tournent vers d’autres héros, d’autres saints, d’autres bravoures, d’autres légendes…
Il faut refaire un hymne à la France, la chair de notre chair, le sang de notre sang. La France est une œuvre d’art. C’est beaucoup plus qu’un programme scolaire, c’est un monument de civilisation qui nous élève vers une romance lyrique et tient en suspens nos jardins, nos jardins secrets.
C’est pourquoi, il faut inventer un nouveau roman national pour franciser nos songes. Il ne sera pas un récit de puissance, de grandeur. Mais il est nécessaire de l’établir sur les beautés françaises. Il faut proposer aux jeunes Français, de souche ou de désir, un roman d’amour.
À cet égard, que pensez-vous de l’offensive woke et de son influence grandissante, notamment à l’école ?
La France devient un campus américain, nos élites embrassent une nouvelle religion où le ciel est racisé, intersectionnel, sexualisé et où se bousculent aux portes de l’enfer les «hommes blancs», occidentaux, condamnés pour leur «virilisme», leur «masculinité toxique» et leur «racisme systémique». Jusqu’où descendra-t-on? Le pauvre Bainville doit se retourner dans sa tombe : « La France, c’est mieux qu’une race. C’est une nation.»
Pour la première fois dans l’un de vos livres, vous évoquez Napoléon. Quel regard portez-vous sur cette figure de notre histoire ?
Il y a beaucoup de gloire et beaucoup trop de morts. Mais la gloire est un bien vital pour épanouir le souffle lyrique des rêves de tous les peuples. L’historien Thierry Lentz souligne avec courage que Napoléon a bien compris la Vendée. Dans mon livre, je raconte une histoire incroyable et authentique: nous sommes le 8 août 1808. L’Empereur s’arrête aux Quatre Chemins de l’Oie. Il passe en revue les Vendéens. À chacun, il pose la question:
– Que faisiez-vous pendant la Grand’Guerre?
– Sire, j’étais neutre, lui répond le maire, Jean Rogronille, qui est aussi un luthier réputé.
L’Empereur le foudroie:
– Vous n’étiez qu’un jean-foutre !
Alors le destin de celui qu’on n’appelle plus désormais que le «Jean-Foutre» bascule dans l’errance d’un grognard. La suite, stupéfiante et pourtant authentique, est racontée dans La Valse de l’adieu.
Votre livre évoque également la campagne de Russie. Pourquoi avoir choisi de revenir sur cet épisode maintenant alors que la Russie vient d’envahir l’Ukraine? Cette fois, ce n’est pas l’Europe qui a déclaré la guerre à la Russie, mais la Russie qui a déclaré la guerre, si ce n’est à l’Europe où à l’Occident, du moins à l’Ukraine…
Alexandre Soljenitsyne m’avait confié, le 24 septembre 1993, chez moi: «Une guerre entre Slaves serait fratricide.» Nous y sommes. La Valse de l’adieu est un récit historique qui n’a rien à voir et que j’ai écrit bien avant les événements récents. Je ne comprends pas ce que fait Poutine. Et, en même temps, je suis estomaqué par l’esprit de soumission de toute la sphère bruxelloise aux commandements de l’Otan. Au nom d’un atlantisme d’un autre âge, les dirigeants européens punissent leurs peuples pour enrichir l’Oncle Sam qui tire du conflit toutes les prospérités de ses schistes bitumeux. Il est de plus en plus clair que l’Union européenne n’est que l’annexe de l’Otan. La France ne se comporte pas en grande puissance. Le rôle de médiateur que devrait jouer la France, c’est la Turquie qui le joue. Les commissaires de Bruxelles sont les chevau-légers de l’Amérique.
Vous êtes souverainiste et fervent défenseur des nations. Nous célébrons le 30e anniversaire du référendum de Maastricht. Quel bilan tirez-vous de ces trente ans ?
L’utopie maastrichtienne recelait une tentative inouïe, inédite dans l’histoire des peuples européens, d’anéantissement du politique. La construction européenne n’était qu’un affichage. En réalité, c’était une déconstruction. Le but n’était pas de faire émerger une nouvelle entité politique, mais d’en finir avec la politique. Derrière cette construction apolitique, il y avait bien l’idée de faire disparaître les nations. Mais il n’y avait aucunement l’idée d’en faire naître une nouvelle. Aujourd’hui, nous voilà avec une Europe sans corps, sans âme ni racines. Une Europe orpheline, idéologique, et qui prétend mater la révolte de l’autre Europe, l’Europe charnelle des Polonais, des Hongrois et des Italiens.
Vous revenez avec un livre historique alors qu’on vous attendait plutôt sur un terrain politique. Que retenez-vous de la campagne? Le phénomène Zemmour n’était-il qu’une illusion ?
Vous connaissez l’aphorisme de Schopenhauer ? «Toute vérité franchit trois étapes. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence.» Nous en sommes déjà à la troisième étape. Grâce à Macron qui vient d’annoncer le «grand remplacement» des populations en zone rurale par des vagues d’immigrés. Zemmour l’a dit, Macron l’a fait. La France est à l’encan, en voie de désaffiliation. Voici qu’on supprime le corps préfectoral et le corps diplomatique qui tiennent les deux souverainetés, interne et externe. Éric Zemmour restera dans l’Histoire. Il a tout vu avant tout le monde.
Comment expliquez-vous sa chute après son ascension spectaculaire ?
Sa campagne a été percutée de plein fouet par la guerre en Ukraine et la question des réfugiés. À partir de ce moment-là – le 24 février 2022 -, il n’était plus sur son sujet. Les Français, distraits par les histrions, regardaient ailleurs. Les politiciens les attendaient à la pompe à essence. L’instant régalien mourut dans les cabas du supermarché. Zemmour ne sera jamais Édouard Leclerc…
Le Puy du Fou va coproduire un film, lancer un train qui va sillonner toute la France. Personnellement, allez-vous abandonner définitivement le combat politique pour vous consacrer à la métapolitique ? Est-ce la culture, la littérature, le beau qui sauveront la France ?
Je suis fier de ce que fait Nicolas, mon fils, le président du Puy du Fou. C’est lui qui tient les rênes avec talent. Moi, je laisse courir ma plume qui confesse, sur la crête de mon Aventin, mes exaltations et mes indignations. Vous parlez du beau? La France s’enlaidit tous les jours. Elle va devenir inhabitable: nos paysages seront balafrés par les éoliennes géantes. Comme le prédit Saint-Exupéry: «La termitière future m’épouvante.» C’est par la porte du beau que les petits Français retrouveront nos grandeurs. La politique est première, c’est elle qui façonne la société ou en corrode les tissus conjonctifs, par exemple quand nos élites dévoyées décident de tuer les plus petits et les anciens. Mais la politique ne va pas sans la métapolitique.
J’irai là où je me sentirai le plus utile à mon pays, jusqu’à mon dernier souffle. La politique, sans la culture, surplombe le vide. La culture, sans la politique, ne jouit pas des fruits du temps long.
Il paraît sage de méditer chaque jour le fameux dialogue bernanosien entre la jeune Blanche de la Force et sa supérieure. La jeune novice assène: «Mais c’est nous qui tenons la Règle!» Et la mère supérieure de répliquer: «Non, ma fille, c’est la Règle qui nous tient!»
C’est la culture qui tient la Règle, qui l’épanouit en un acte de civilisation intime, mais c’est la politique qui en assure la pérennité. Ma vie m’a donné à faire les deux pour ne jamais succomber à l’exil intérieur. Une société se sauve non pas seulement par des mises en garde, mais aussi par des réalisations qu’on accroche à contre-pente. ■