PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro du 1er octobre. Nous n’y ajouterons pas grand chose. Y sont opposées les deux conceptions possibles de la paix et de la guerre : celle qui relève d’une sorte de morale, de droit, d’idéologie prétendue supérieure, que Maurras nommait nuées, et qui se parent des couleurs de l’absolu, donc de la radicalité, celle qui se fonde sur l’équilibre des réalités sociales et humaines, c’est à dire politiques, et sur le compromis auquel elles doivent en fin de compte se résoudre pour survivre et assurer entre elles une paix toujours précaire. Nullement « perpétuelle », bien-sûr. La première conception tend à s’afficher comme suprême tandis que la seconde, du simple fait des nécessités, finit toujours par s’imposer. Bien entendu, ces deux conceptions sont toujours entremêlées. Ni l’une ni l’autre n’exclut le risque de la « montée aux extrêmes », qui, à l’heure de l’arme nucléaire, est synonyme d’apocalypse. Derrière la première des deux conceptions, largement fondée sur l’hypocrisie et le mensonge, se dissimulent, bien-sûr, les ambitions et la volonté de puissance. Les observateurs un tant soit peu lucides n’en seront pas dupes.
CHRONIQUE – La paix prend plus souvent le visage du compromis que de la réconciliation autour d’une commune vision du monde, et exige des sacrifices de part et d’autre. Elle relève de l’équilibre.
Il est bien vu, depuis quelques jours, de tourner en dérision les menaces de Vladimir Poutine, qui envisage ouvertement de faire usage de l’arme nucléaire. Poutine bluffe, dit-on, et sera entravé, s’il le faut, par les grandes figures de son régime, qui ne seraient en rien hypnotisées par la possibilité d’un dénouement apocalyptique de la guerre en Ukraine. Les malins ajoutent qu’il s’agirait «seulement» d’armes nucléaires tactiques, croyant par là se faire rassurants, sans voir qu’une fois la porte des enfers ouverte, on ne sait jamais ce qui en sortira, et comment on la refermera.
D’autres nous expliquent que la doctrine stratégique russe circonscrit l’usage de l’arme nucléaire à la défense du territoire national, en feignant d’oublier que Poutine considère désormais que les territoires annexés d’Ukraine y participent. Les Occidentaux peuvent bien ne pas reconnaître ces référendums, si Poutine les reconnaît, et considère qu’on attaque désormais la Russie en cherchant à reconquérir ces régions, il pourrait réagir selon ce que sa doctrine lui prescrit et permet. S’il juge qu’on l’attaque chez lui, et traite ceux qui s’associent à cette offensive comme des cobelligérants actifs, nous serons en guerre ouverte contre la Russie.
Mais l’appel à la prudence passe désormais pour le masque de la lâcheté. Peut-être faut-il y voir le souvenir de Munich, qui continue de nous hanter à près d’un siècle de distance. Ce souvenir en est peut-être venu à déformer notre lecture des relations internationales, en disqualifiant la paix de compromis, pour nous convaincre que la seule paix possible, et surtout légitime, repose sur la neutralisation des régimes toxiques, entreprise qui vire souvent au désastre. Surtout, à l’échelle de l’histoire, la paix prend plus souvent le visage du compromis que de la réconciliation autour d’une commune vision du monde, et exige des sacrifices de part et d’autre. Elle est souvent faite de concessions territoriales, d’ailleurs. Elle relève de l’équilibre.
On a certainement abusé, depuis six mois, du concept de montée aux extrêmes, associé à Clausewitz. Il n’en demeure pas moins essentiel. Hobbes faisait de la peur de la mort violente la passion politique première, commandant toutes les autres. Elle s’applique aussi aux autocrates et aux États. Les premiers, s’ils se sentent fragilisés, et se croient condamnés à la potence si leur régime s’effondre, peuvent se jeter dans l’abîme, en pariant sur leur capacité à surprendre leurs ennemis par un ultime sursaut déstabilisant. Les seconds ne supportent pas l’humiliation, surtout s’ils sont habités par la nostalgie ou l’orgueil de la puissance et peuvent, l’histoire nous l’apprend, se radicaliser dans l’espoir d’éviter l’effondrement.
Chimère de la paix perpétuelle
On revient alors à l’idée d’une paix d’équilibre, tenant compte de la représentation que chaque État se fait de lui-même. L’empire occidental, qui ne se reconnaît pas comme tel, est habité par la tentation de la souveraineté universelle: les mêmes normes, règles et valeurs devraient commander la marche du monde. L’empire russe est un empire territorial, ancré dans une définition «multipolaire» du système international. Il n’entend pas s’étendre sur toute la planète mais être le souverain incontesté dans le coin du monde sur lequel il a des prétentions. Par définition, ces deux aspirations peuvent être appelées à se confronter.
Il ne faudrait pas toutefois que la compréhension de la psychologie de tous les protagonistes du présent conflit vire à une forme de sympathie larvée pour Poutine. Qu’il faille comprendre la psychologie politico-historique des Russes pour faire la paix avec eux est indéniable. On aimerait toutefois les voir aussi compréhensifs envers les Baltes ou les Polonais qui ont connu la domination russe, et qui ne se sont pas joints à l’Otan pour encercler la Russie mais pour se protéger d’elle. Ce n’est pas pour servir de tête de pont à une invasion occidentale de la Russie que les pays autrefois soumis au pacte de Varsovie ont tout fait pour rejoindre la protection américaine mais pour garantir leur souveraineté. C’est le réalisme des petites nations.
Il n’est pas interdit non plus de comprendre les Ukrainiens, qui se sont crus dans une situation analogue, même si les Occidentaux, par souci d’équilibre, n’avaient pas intérêt à répondre à cette aspiration. Aujourd’hui, l’Ukraine, pour préserver et restaurer sa souveraineté, fait tout pour mondialiser la guerre qu’elle subit, ce qui serait une catastrophe pour l’humanité. On y verra, pour utiliser un terme dont on abuse, une autre manifestation du tragique dans l’histoire. Nous avons besoin d’hommes politiques capables de voir le monde dans cette perspective, en se tenant loin tout à la fois du pur cynisme et de la chimère de la paix perpétuelle. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Merci à Mathieu Bock-Côté, prendre du recul est vital, condition de survie.! . Mais n’est-ce pas contraire à l’essence même du mondialisme qui empêche tout figure d’interlocuteur véritable d’émerger dans son empire, donc de penser le retour à la paix par son refus de l’hubris? . La fuite en avant engendre la fuite en avant par mimétisme. (ce fameux double! ) Qui peut casser ce processus? A notre niveau au moins le refuser de toutes nos forces , comme le choc des propagandes. .
Analyse intéressante de Mathieu Bock-Côté mais permettez-moi de lui préférer celles de François Asselineau, de Jacques Baud, d’Eric Denécé, d’Idriss Aberkane, du site Le courrier des stratèges, sans oublier les discours de Vladimir Poutine traduits par Romain Bessonnet pour le Cercle Aristote.
Le dernier discours de Vladimir Poutine, prononcé le 30 Septembre, éclaire parfaitement la psychologie politico-historique des Russes. Ce n’est pas montrer une sympathie larvée que de comprendre le sens profond de ce discours.
On ne peux résoudre un conflit que si on l’a bien analysé.