Par Philippe Mesnard.
Elisabeth Borne porte des doudounes, Bruno Le Maire conseille les cols roulés et Gilles Le Gendre, député Renaissance, ex-président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, déclare étendre son linge lui-même À LA MAIN !
Rappelez-vous, Gilles Le Gendre, c’est celui qui déclarait en décembre 2018 qu’il regrettait « le fait d’avoir probablement été trop intelligents, trop subtils, trop techniques dans les mesures de pouvoir d’achat » et que la responsabilité du parti, du gouvernement et du président, « c’est d’expliquer, expliquer, expliquer la complexité du monde ». Ben, là, je crois qu’on y est. Ou pas. Je ne suis pas certain, en fait, que nous dire d’étendre son linge à la main, comme si la France entière avait déjà basculé depuis longtemps dans le sèche-linge électrique, nous fait comprendre la complexité de la fixation du prix de l’électricité dans l’Union européenne ou nous fait saisir le décalage complet des élites et du peuple. Mais on a bien perdu en technicité, c’est clair, même si ce n’est pas si simple d’étendre son linge sur un tancarville (je dis tancarville mais d’autres disent étendoir ou séchoir, ça dépend de son pays) ; pour ma part, j’étends les ticheurtes en leur faisant enjamber deux tiges, ça augmente la surface d’exposition à l’air, c’est fractal. Vous me direz, ça n’a pas forcément sa place dans un éditorial politique, ce genre de détails, même si c’est intéressant. Je réponds que si Gilles cause sèche-linge pour causer aux Français, ça devient politique, et ne voulant pas être en reste vis-à-vis de mes concitoyens, je partage mes tuyaux avec mon édito. On a aussi perdu en subtilité, et en intelligence aussi, hein, parce que là on est plutôt dans le bon sens, et d’ailleurs on espère que Gilles, ou Bruno, ou Elisabeth vont bientôt nous dire qu’ils marchent AVEC LEURS PIEDS (quand ils ne pensent pas avec), bref qu’ils vont se mettre à notre niveau de ballots modèle caniveau, au ras du sol, au plat de l’intelligence, avec des solutions toutes simples, hop, on t’explique, tu chauffes pas, tu manges plus, tu dis rien, alors, on n’est pas bien ?
L’économie française est sauvée, les gars !
Le 14 septembre 2022, Bruno Le Maire revoyait la croissance à la hausse à 2,7 % pour 2022 et 1 % pour 2023. « C’est crédible et volontariste », a-t-il expliqué, réussissant à démontrer qu’il pensait pouvoir à la fois prétendre ne dire que des choses exactes, régulièrement et exactement réajustées, et que sa parole est performative, comme on dit dans les cabinets, c’est-à-dire qu’elle crée la réalité qu’elle est supposée décrire. En janvier 2022, il avait dit « Je maintiens notre prévision de croissance de 4% pour 2022 ». Il est comme ça, Bruno, il dit des choses, cash, et il dit autre chose, cash, et il entend bien être crédible, un peu comme Olivier Véran qui déclare le 22 septembre : « On agit pour casser cette spirale spéculative. Selon Bercy, 2023 pourrait être l’année où on verrait les prix baisser. » Olivier, c’est de la crédibilité en barre. Il l’a forgée tout au long du Covid, où il n’a cessé de démontrer à quel point il était crédible, du début à la fin. Pour le moment, Bruno est très ennuyé pour l’Angleterre, qui ne va pas bien, contrairement à la France, peu endettée et sans aucun déficit de commerce extérieur (ou c’est le contraire mais ça va bien quand même, c’est complexe). « Je suis inquiet de la situation britannique », a-t-il dit, le 30 septembre. Mais pas pour la France. « La zone euro nous a protégés pendant la crise du Covid-19 », ce qui « a sauvé notre économie ». « Sans l’euro et sans l’Europe, nous n’aurions pas pu sauver notre économie comme nous l’avons fait ». L’économie française est sauvée, les gars ! À la force des petits bras de Bruno, Babeth et Manu ! Félicité ! Saint-Denis ! Et dire qu’il y a des Français qui sont encore inquiets, c’est à vous dégoûter d’être ministre.
On aimerait finir sur d’autres bonnes nouvelles mais ça paraît compliqué. Dans cette France sauvée, Sandrine Rousseau réussit par la seule force de son poids médiatique, qu’elle n’a conquis que par ses outrances (pour sa science, rappelons qu’elle enseigne que Darwin a influencé Ricardo et Malthus, morts avant même que Darwin n’ait fini son expédition sur le Beagle), à éliminer un adversaire politique qui avait pourtant loyalement triomphé d’elle dans les urnes. Les partis protestent à peine, la Justice ne s’émeut pas. On a atteint un point de méchante sottise qui laisse craindre que la gauche, avant de se déchiqueter elle-même, ne s’emploie à dévorer tous ceux qui s’opposent à elle, avec l’assentiment béat des Français, qui se croient au spectacle et se satisfont de disparaître pourvu qu’ils aient quelques martyrs à contempler. ■
Article paru dans Politique magazine.