PAR RÉMI HUGUES.
En face, le Hezbollah – ce « quasi-État »[1], rare élément à rester solide au sein d’un pays du Cèdre qui s’effondre sous les coups de boutoir de l’hyperinflation et des vagues migratoires – se tient prêt.
Son armée, forte d’environ 50 000 soldats, est connue pour « son aptitude à résister efficacement à l’État d’Israël »[2]. Elle entend réitérer son exploit de 2006, qui avait lavé l’affront des défaites arabes de 1967 et 1973.
L’existence du Hezbollah (ce qui signifie « parti de Dieu »), constitué en 1985, soit trois ans après l’intervention israélienne durant la guerre civile intercommunautaire, est ontologiquement fondée sur l’hostilité à ce qu’il appelle l’entité sioniste, poursuivant au fond le combat des rabbins orthodoxes contre Zvi Hirsch Kalischer, qui au XIXe siècle tenait le discours suivant : « les temps messianiques approchent, le Messie est en route, lʼémancipation en est un signe flagrant, la rédemption est imminente, et il faut accélérer sa venue par lʼaction de lʼhomme. Il doit y avoir dʼabord la rédemption ʽʽnaturelleʼʼ par le retour des Juifs à Sion pour y construire une société solide, basée sur le travail agricole, et cette première étape entraînera ensuite la rédemption ʽʽsurnaturelleʼʼ, cʼest-à-dire lʼintervention de Dieu lui-même. […] [C]ʼest à des Juifs de premier plan comme les Rothschild, quʼil appartient dʼagir au plus haut niveau pour que les Nations autorisent le repeuplement, au moins partiel, dʼEretz Israël[3] »
Depuis sa création, le Hezbollah à changé de nature, délaissant son projet initial de rassemblant de la Oumma (la communauté des croyants, des fidèles de l’islam) – qui est utopique eu égard à la fitna (division) qui fait rage entre sunnites et chiites – au profit du nationalisme. Il est effectivement devenu le fer de lance du nationalisme libanais, s’alignant ainsi sur ses grands alliés, la Syrie des Assad et son nationalisme baasiste et l’Iran et son Velayat e faqih[4], qui, tel le nationalisme intégral de Maurras, mêle sentiment nationaliste et attachement au principe de la royauté, avec néanmoins une coloration nettement plus religieuse, dont le corollaire est la substitution de la monarchie par la théocratie.
Cette tendance résulte directement de la politique des États-Unis dans la région, qui ont œuvré, explique Éric Branca dans son passionnant essai L’ami américain, « depuis le second mandat Reagan (1984-1988) et spécialement depuis son successeur George Bush père (1989-1993), en faveur d’une balkanisation des structures politiques existantes, conformément à la doctrine des néoconservateurs Bernard Lewis et Richard Perle, qui inspireront la deuxième guerre du Golfe déclenchée par George Bush Jr (2001-2009) »[5].
Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, commente ainsi cette rupture : « Le Hezbollah a changé, ses priorités ont changé en raison des circonstances […]. Il y avait un temps où nous considérions le Liban comme une construction coloniale qui faisait partie de l’oumma. […] C’était au début, lors de notre fondation, dans les premiers jours et le pays connaissait la guerre civile. Tous les partis demandaient une nation à leur convenance. […] Aujourd’hui, les conditions ont changé. Nous croyons que ce pays est notre pays et que le drapeau du cèdre est notre drapeau que nous devons aussi protéger. À cette étape, notre priorité est de protéger l’État du Liban et de le construire »[6].
Entre le Hezbollah prêt à en découdre et Israël qui voit un partenaire majeur – l’U.E. – lâcher du lest sur son exigence de respect des droit des Palestiniens, acculé qu’il est par la pénurie énergétique qu’il subit, la situation est par conséquent explosive au Proche-Orient. Quand l’État sioniste sent qu’il a les mains libres vis-à-vis de l’Occident, il n’hésite jamais à choisir l’option militaire.
Si l’on peut espérer que c’est malgré tout la voie de la diplomatie qui triomphera, force est de constater qu’en ce moment c’est le langage des armes qui prime. En atteste ce propos tenu à Birmingham le dimanche 2 octobre dernier lors du congrès annuel du Parti conservateur par James Johnson, patron de l’institut de sondages JL-Partners : « Les électeurs ont perdu confiance dans les compétences économiques de ce gouvernement. Il faudrait vraiment un événement considérable pour qu’il remonte la pente. Une guerre, peut-être ? »[7]
Lundi 3 octobre un responsable libanais chargé des négociations a annoncé que la réponse du Liban à la proposition américaine de démarcation de la frontière maritime avec Israël est imminente. Elle comporterait des « remarques », ce qui suggère que le règlement définitif du litige n’est lui pas imminent. ■
[1]Joseph Daher, Le Hezbollah : un fondamentalisme religieux à l’épreuve du néolibéralisme, Paris, Syllepse, 2019, p. 182
[2]Ibid., p. 9.
[3]Ilan Greilsammer, Le sionisme, Paris, PUF, 2005, p. 18.
[4]Ce « n’est rien d’autre que l’ancienne idéologie royale des souverains Qadjar, dans laquelle la fonction royale a été remplacée par le Guide religieux. Le Velayat e faqih, que l’on traduit généralement par « la Régence du Vicaire », est une forme politique destinée à sacraliser le pouvoir temporel, celui-ci n’étant que l’expression du pouvoir spirituel. », Pierre de Meuse, Idées et doctrines de la Contre-révolution, Poitiers, DMM, p. 199.
[5]Éric Branca, op. cit., p. 432.
[6]Cité par Jospeh Daher, op. cit., p. 195-6.
[7]Cécile Ducourtieux, « Royaume-Uni : Liz Truss affronte les conservateurs », Le Monde, 4 octobre 2022.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)