Par Caroline Galactéros.
Caroline Galactéros poursuit son plaidoyer pour un sursaut d’indépendance nationale et le rejet des coalitions emmenées par d’autres, essentiellement pour la recherche de leur propre profit. Cette tribune brillante publiée le 7 octobre apporte, comme toujours venant de Caroline Galactéros, un éclairage réaliste et solidement documenté. Le tout conduit avec un remarquable courage intellectuel. Et sur un sujet où les intérêts de la France et de la paix sont évidemment dangereusement engagés. Une analyse sérieuse de plus au dossier de la guerre d’Ukraine constitué par Je Suis Français au fil des huit derniers mois que ce conflit à haut risque a déjà duré.
« Le long processus de dévalorisation et d’affaissement des États, engagé dès les années 90, nous coupe de tout instinct de survie. »
« A quelque chose malheur est bon ». Le conflit ukrainien a permis de lâcher les chiens. Depuis huit mois, la meute des néo-conservateurs bellicistes européens qui peuplent médias et think tanks français fond sur tout individu osant appeler à la raison pour stopper l’escalade militaire qui met l’Europe (et non l’Amérique) en danger vital. Le téméraire est immédiatement traité de « munichois », injure suprême, synonyme de pacifisme pleutre. Le Pape François, qui vient d’appeler la Russie mais aussi l’Ukraine à cesser le feu est-il munichois ? La guerre jusqu’au dernier Ukrainien est-elle inévitable pour ne pas perdre son âme ? Le prix en est-il le plongeon de nos peuples et États dans une crise économique, financière et sociale gravissime qui affaiblira la France et l’Europe entière, les plaçant sous la dépendance définitive du maitre américain ? Soyons sérieux !
« Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre » avait lancé en 1938 Winston Churchill à Neuville Chamberlain de retour de Munich où ce dernier et Daladier avaient abandonné les Sudètes à Hitler, croyant ainsi échapper à la guerre. Il n’y a aucun rapport avec l’Ukraine. Vladimir Poutine n’est pas Hitler. Il n’est pas fou non plus. Il considère juste qu’il a trop longtemps laissé grignoter son glacis sécuritaire et que la présence de l’OTAN à sa frontière est une menace existentielle pour la Russie et son peuple.
Nous formons depuis 2015, via l’OTAN, les forces ukrainiennes pour bouter la Russie hors d’Europe et la couper de l’Allemagne. Depuis le 24 février, nous inondons Kiev d’armements et sommes devenus cobelligérants de fait. Nous sommes déjà en guerre contre la Russie et pour le compte de l’Amérique ; simplement nous ne le disons pas pour ne pas devoir demander leur avis à nos peuples, et nous faisons cette guerre par Ukrainiens interposés et à leurs dépens ultimes, comme semble commencer à le comprendre le président Zelenski qui craint que Washington ne le lâche et implore désormais l’OTAN de risquer rien moins qu’une guerre nucléaire pour sauver sa peau et pas celle de son peuple. Heureusement, J. Stoltenberg n’est pas fou non plus… Personne en Europe ou aux Etats-Unis n’entend mourir pour le Donbass. En revanche, sacrifier les Ukrainiens en les armant sans cesse pour espérer épuiser la Russie et la mettre à terre économiquement et stratégiquement…
Contrairement à ce que dit E. Macron, « le prix de la liberté » – le massacre de l’économie européenne – ne sauvera pas la « démocratie » ukrainienne. Ce sera la guerre directe si rien n’est fait pour casser l’engrenage et restabiliser la sécurité européenne, ce qui est illusoire sans la Russie. Ceux qui poussent à la roue prolongent les souffrances du peuple ukrainien et ne défendent aucunement les « valeurs » européennes. L’Europe a été pensée contre la guerre. Ils la défigurent. Cette rhétorique masque leur allégeance à un hégémonisme occidental discrédité qui croit encore pouvoir se rétablir sur le dos de la Russie. Les vrais Munichois sont ceux qui condamnent aujourd’hui l’Europe au déclassement stratégique, à l’aventurisme militaire et à la soumission, non à la Russie mais aux Etats-Unis. Les stratèges de plateaux, stipendiés ou juste vaniteux, portent une responsabilité lourde en véhiculant d’énormes mensonges sur la réalité des combats, des forces et des pertes. La désinformation fait rage dans chaque camp. La guerre va se poursuivre et l’Ukraine est mal partie. Toute la propagande et les mensonges du monde n’y changeront rien.
Le discours du président russe du 30 septembre a marqué un tournant dont nous n’avons pas à nous réjouir. Il a exprimé son rejet durable de l’Europe et de « l’Occident collectif » pour des raisons sécuritaires et existentielles, mais aussi culturelles et spirituelles. Poussé par la surenchère otanienne qui le met en danger au plan intérieur face à des courants qui n’ont pas gouté sa « retenue » durant les premiers mois du conflit et demandent un engagement de forces décisif, il vient de s’y résoudre, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Après une probable pause opérationnelle russe, on peut craindre une phase plus violente avec destruction des infrastructures civiles et bombardements lourds. Mais les Munichois s’en moquent.
Avec le sabotage de North Stream 1 et 2, l’Amérique (qui d’autre ?) vient carrément de couper le gaz à l’Europe et de décider de la marginalisation de l’Allemagne au profit de la Pologne ! C’est un acte de guerre de la part de notre protecteur chéri. Donc, nous faisons mine de l’ignorer, comme la chute de l’euro et la mise en panne imminente de l’industrie allemande qui préfigure notre propre affaissement économique. Le chancelier Scholz n’était pas assez docile, il rechignait à livrer des chars de combat modernes à Kiev ? L’Empire ne tolère aucune indépendance de ses vassaux, même verbale. Les gazoducs sont coupés, le « Baltic pipe » qui relie la Norvège à la Pologne, ennemie héréditaire de l’Allemagne, est entré en service. Varsovie jubile et Berlin va payer par une lourde crise sa faute géostratégique majeure consistant à obéir à Washington en renonçant à l’énergie bon marché russe. Les Etats-Unis eux, voient s’éloigner leur terreur géopolitique cardinale – l’alliance germano-russe- et imposent leur mainmise énergétique durable sur l’Europe. Quand on pense que d’aucuns chantent « la souveraineté européenne » …
Les Munichois sont en fait ceux qui ne disent rien, qui n’ont jamais rien dit d’ailleurs, qui n’osent ni défendre nos intérêts nationaux ni même ceux de l’Europe que l’on vient très brutalement de remettre à leur place. Marginale. Nos « élites » ne pensent plus le réel, encore moins la dimension nationale comme pertinente. Le long processus de dévalorisation et d’affaissement des États, engagé dès les années 90, nous coupe de tout instinct de survie. C’est ça l’esprit de Munich. C’est donc le prix de la guerre que nous commençons déjà à payer. Les Ukrainiens dans le sang, les Européens dans le froid et la décroissance. Pour l’instant. Il devient inadmissible que nos dirigeants, somnambules indifférents, nous entrainent dans un tel marasme sans devoir en rendre compte à leurs mandants. Il est grand temps que les Français soient consultés sur cette guerre qui ne dit pas son nom et met leur survie en jeu.
Cet affrontement est une impasse militaire. Il faut arrêter le massacre et rétablir le dialogue. La sécurité et la prospérité de l’Europe n’en valent-elles pas la peine ? La France peut encore et doit porter une telle initiative. Elle sortirait peut-être ainsi du mépris croissant dans lequel la Russie mais aussi la Chine, comme une partie de l’Afrique et de l’Amérique latine, la tiennent désormais. Échapper au déshonneur et stopper la guerre n’est pas être munichois, c’est juste recouvrer la raison et défendre l’intérêt de notre peuple et de la France. ■
Docteur en science politique et colonel au sein de la réserve opérationnelle des Armées, Caroline Galactéros est présidente du think tank Geopragma. Auteur du blog Bouger Les Lignes, elle a notamment publié Guerre, Technologie et société (éd. Nuvis, 2014).
Source : Le Courrier des stratèges
Mois après mois, semaines après semaines depuis le déclenchement de l’agression russe contre l’Ukraine, je déplore que tous les articles publiés dans JSF sont à sens unique, à la seule gloire de la Russie de Poutine tout à sa détestation radicale de l’Occident, des Etats-Unis, de l’Europe et de la démocratie en général. Poutine déforme les réalités qui le dérangent. Ainsi les Ukrainiens qui aspirent depuis longtemps à la liberté (inexistante dans la Russie actuelle) et veulent s’intégrer à l’Union Européenne sont qualifiés sans rire de néo-nazis par Poutine dont les soldats se comportent comme des barbares dans les zones qu’ils occupent en Ukraine (après la Tchétchénie, la Syrie et bientôt les pays d’Afrique anciennement soutenus par la France – Mali, Mauritanie, Burkina-Fasso, etc. -, rappelant les exactions des soldats nazis dans les mêmes régions d’Europe centrale durant la seconde guerre mondiale.
Les points de vue pro-Poutine de la rédaction de JSF sont-ils faits pour plaire au maître du Kremlin et en ce cas dans quel but? Est-ce pour satisfaire les besoins de sa propagande comme la faisaient naguère ses maîtres communistes au temps de l’empire soviétique où les KGB était passé maître dans l’art de désinformer, déformer, mentir, renverser cul par dessus tête les vérités les plus admises dans le monde libre?
Je m’interroge et suis en tous cas très déçu qu’un magazine royaliste dont je devrais me sentir proche s’enferre dans des points de vue qui me choque comme Français (les Français ont une culture qui les incite à douter mais qui les font aussi adhérer à des causes qu’ils estiment justes), comme Européen car l’Europe est une réalité qui profite à tous les Européens quand ils veulent bien faire l’effort de surmonter leurs désaccords passagers et s’unir (ce qui est largement le cas à l’occasion de la guerre en Ukraine lancée par Poutine de son propre chef), et enfin comme me sentant plus comme appartenant au camp occidental plutôt qu’à je ne sais quel concept illusoire d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural qui n’a jamais existé sauf dans une certaine mesure au XVIIIème siècle sur la plan culturel par le rayonnement de la France de l’époque. Et je ne fais aucune confiance à un Vladimir Poutine pour créer une Europe harmonieuse, unie et prospère qui serait avec lui et ses idées de dominations impériale inévitablement soumise à sa botte brutale et sans nuance.
J’avoue ne pas comprendre votre propos. Vous pouvez avoir des positions atlantistes, qu’il vous appartient de justifier. Mais vous ne pouvez nous accuser d’être « poutinolâtres », ni de calquer nos positions sur la propagande de Poutine. En effet, il a été publié à plusieurs reprises des analyses historiques sur l’Ukraine, qui ne reprenaient nullement ses accusations à l’égard des nationalistes ukrainiens, ni pour les accuser ni pour les approuver, encore moins pour appeler de nos vœux une occupation russe de l’Europe. Accessoirement, il me semble étrange de nous fustiger pour avoir exprimé une « détestation radicale de l’Occident, des Etats-Unis, de l’Europe et de la démocratie en général. » Notre scepticisme vis-à vis des USA, de l’Union européenne, de la démocratie idéologique, ainsi que notre méfiance pour ce que recouvre aujourd’hui le mot d’occident » ne sont pas des nouveautés et sont un thème d’AF depuis un siècle. Cela dit, le seul et unique critère que l’AF reconnaît pour une politique étrangère, y compris dans le domaine militaire, est l’intérêt national. La question de savoir si une guerre est « juste » est une question impolitique, la réponse changeant au gré de préférences futiles. Nous estimons qu’elle est hors-sujet. Ce que les maurrassiens doivent rechercher, c’est de savoir si la défaite de la Russie que vous souhaitez est favorable à la puissance politique, économique, militaire de la France, ou si elle favorise sa soumission, sa dépendance, son implication dans un ensemble dominé et la perpétuation de toutes les gangrènes de décadence que nous subissons et que l’Union européenne sanctuarise. Et quand vous attribuez au seul Poutine « l’art de désinformer, déformer, mentir, renverser cul par-dessus tête les vérités les plus admises », ne pensez-vous pas que les USA se sont montrés des maîtres cyniques sur ce point depuis cent-cinquante ans? Pour conclure, si vous trouvez des arguments pour justifier notre participation à ce conflit qui ne nous concerne en rien, je veux dire des seuls arguments répondant au seul intérêt national de notre pays, nous serons prêts à vous écouter, mais à cette condition seulement.
Il ne sagit tout simplment de ne pas être idolâtre et de chercher la paix.. Il y a du pain sur la planche .
Pour ma part, je ne suis pas maurrassien, tout juste royaliste ; pour cette raison, je ne crois pas que la morale soit complètement séparée de la politique. Néanmoins, en se plaçant sur le terrain maurrassien (donc en séparant la politique de la morale), il n’est pas du tout certain qu’une alliance russe soit plus favorable à nos intérêts qu’une alliance américaine ; cette dernière nous est nocive, mais la première n’est pas forcément la plus avantageuse. Du reste, aujourd’hui, une telle alliance est inenvisageable : la Russie méprise la France et ne voudrait pas d’une alliée comme elle (la preuve avec le mépris de Poutine pour M. Macron).
Qu’il faille être prudent sur une alliance avec la Russie, cela ne fait de doute pour personne ; mais il y a une énorme différence entre la Russie et les USA, c’est que la domination US. est quotidienne et chaque jour un peu plus lourde, humiliante, mesquine, dégradante, alors que la domination russe n’est qu’éventuelle, et qu’on peut se prémunir contre la brutalité de l’ours moscovite.
Je trouve que votre preuve – en conclusion de votre commentaire – a quelque chose de drôle. « Le mépris de Poutine pour M. Macron », mais c’est celui des Français eux-mêmes ! Tout bonnement.
Je vous l’accorde, mais c’est précisément parce que Poutine et le peuple français partagent le même mépris pour l’actuel occupant de l’Elysée qu’une alliance avec la Russie relève aujourd’hui du rêve.
Il faudrait se souvenir des paroles de Talleyrand au Tsar Alexandre auxquelles votre commentaire m’a fait penser. C’était, je crois à Erfurt en 1808, un an après Tilsit :
« Le peuple français est civilisé et son souverain ne l’est pas ; le souverain de Russie est civilisé et son peuple ne l’est pas, C’est donc au peuple français et au Tsar de Russie qu’il revient de s’entendre pour le bien de leur Etat et la paix de l’Europe ».
Comparaison n’est pas raison. Et les termes d’une comparaison ne sont évidemment pas égaux entre la situation de 1808 évoquée ici et la nôtre. Poutine n’est pas Alexandre, Macron pas Napoléon et les deux peuples ont bien changé, en partie en mal, d’ailleurs. Mais je trouve des points communs.
Vous parlez d' »alliance » avec la Russie et présentement avec la Russie de Poutine.
Je me demande s’il ne faudrait pas répudier ce substantif dans le champ géopolitique ou stratégique. Il est trop chargé de ce que Boutang appelait une « Philée », amitié au sens fort, globale, sensible, totale, radicale, automatique et contraignante.
Les nations, on devrait le savoir depuis qu’on le dit, n’ont pas d’amitiés; elles n’ont que des intérêts. (On l’a vu en 14 et en 39).
Mieux vaudrait parler de « rapprochement » avec la Russie, de coopérations, d’accords pragmatiques précis.
Nous sommes les seuls dans le monde à croire à la validité d’alliances « à la vie, à la mort ». En ce sens, les EU n’ont été des alliées à la vie à la mort ni en 1914 ni en 1939, ni en Indochine, ni à Suez, ni en Algérie, ni nulle part ailleurs, pour qui que ce soit d’ailleurs sur cette planète. A bien y regarder, il ne fait pas bon, en général, d’être les alliés des EU. Si vous l’êtes, si vous y croyez, vous serez surpris le jour où l’on vous laissera tomber. Saïgon, Budapest, Téhéran au temps du Shah, Kaboul s’en souviennent encore…
Défions nous de toute « alliance » au sens naïf qu’on donne aujourd’hui à ce mot. Méfions nous des coalitions faites pour nous entraîner vers les guerres que d’autres ont intérêt à mener.
Mais cela vaut pour tous : Russie, Etats-Unis, Allemagne (Ah ! Le couple franco-allemand !) et toutes autres nations étrangères du monde. On ne peut, dans la vie des hommes comme des nations, compter que sur soi-même pour se défendre « à la vie à la mort ».