PAR RÉMI HUGUES.
C’est en cela que la Révolution de 1789 marqua une rupture. Une fraction non négligeable du peuple se mit à éprouver de la haine à l’égard de son roi, à cause du manque de pain. Ce qui donna notamment, le 20 juin 1792, l’émeute des Brissotins, soutenue par le maire de Paris Pétion, où la foule en colère marche sur les Tuileries, force le roi à porter le bonnet phrygien et de trinquer à la santé de ses sujets. Tancé, insulté, bousculé, la figure royale fut ce jour désacralisée.
Au fond la Révolution correspond à la première fois où la symbiose entre l’Un et le Commun fut très gravement mise à mal. Roche-Noël devrait s’intéresser à l’œuvre de Fustel de Coulanges qui tira cette leçon de ses vastes travaux de recherche : « la démocratie s’accommode aisément de la Monarchie. »[1]
Page 35 il admet la nature démocratique de l’Ancien régime, lorsqu’il souligne que les principes de « la libre administration des communautés locales, la souveraineté populaire, l’égalité devant l’impôt, le service public, les biens communs, la libération du travail, etc. – ne sont pas d’hier, mais remontent près de mille ans en arrière, constituant en quelque sorte nos plus anciens souvenirs démocratiques ». Aussi devrait-il méditer cette lumineuse remarque de Benny Lévy – alias Pierre Victor, chef de la Gauche prolétarienne, pas un affreux « royco » – sur La Boétie : « Car cʼest le peuple qui fait le roi et non le roi qui se fait régner lui-même. […] La Boétie avait senti cela, lorsquʼil butait sur lʼassentiment donné au Maître : comment est-il possible quʼune multitude donne du pouvoir à lʼUn, au prix de sa liberté ? Pourquoi la servitude volontaire ? Il lui manqua de méditer sur le oui, sur lʼassentiment, sur le fait de donner-du-pouvoir-au-pouvoir. Fait incontournable, dans lʼexpérience politique. »[2]
Pas d’Un sans Commun. Pas de Commun sans Un. Telle sera la formule que nous retirerons de la lecture de La France contre le monarque.
Concernant cette dyade Commun/Un, le cas des Lumières en révèle la faille. Comme l’auteur les définit ? Comme le refus de l’arbitraire, du despotisme, de l’obscurantisme, dont l’Un serait responsable, au détriment du Commun. Or les Lumières sont une émanation des forces de l’argent, de la raison capitaliste : pour obtenir la légalisation pleine et entière de l’usure, l’alliance du trône et de l’autel devait être abolie.
Jean de La Fontaine avait senti sourdre ce mouvement à la fois pro-business et anticlérical : c’est manifeste quand on lit sa fable « Le financier et le savetier » (1678) :
« Le mal est que dans l’an s’entremêlent des jours
Qu’il faut chômer ; on nous ruine en fêtes
L’une fait tort à l’autre ; et monsieur le Curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône
Le Financier, riant de sa naïveté,
Lui dit : Je vous veux mettre aujourd’hui sur le trône. »
Roche-Noël en convient d’ailleurs, que le régime républicain c’est la Bancocratie, et donc l’écrasement du Commun, qui dépourvu de de l’Un qui pourrait le protéger, se retrouve totalement livré à lui-même. À propos de l’illusion lyrique de 1848, il note : « La coopération prônée par une révolution qui se veut fraternelle, teintée de religiosité, se heurte à la réalité des antagonismes de classe. » (p. 226) Et a bien raison, page 233 d’indiquer que le Second Empire continua cette tendance : « Le moteur du régime est l’affairisme ; son œuvre, la concentration des richesses. » ■ (À suivre).
[1]Paul Guiraud, Fustel de Coulanges, Marseille, Belle-de-Mai Éditions, 2022, p. 38
[2]Le Logos et la lettre, Paris, Verdier, 1988, pp. 135-6.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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