PAR RÉMI HUGUES.
Cette engeance que Karl Marx appelait l’aristocratie financière dans son livre portant sur cette période – Les luttes de classe en France – laquelle n’a en fait rien d’aristocratique, l’auteur de La France contre le monarque en est le dupe, comme l’atteste ce qui suit.
Dans l’introduction de son essai, à la page 17, en bon universitaire républicain, Roche-Noël cite Jules Michelet. Plus précisément une phrase de sa préface du tome V de l’Histoire de la Révolution, qui mentionne un personnage méconnu, Anarchasis Cloots : « Nous comprenons à la longue l’avis qu’Anarchasis Cloots nous a laissé en mourant : France, guéris tes individus ».
Cloots ne mourut pas dans son lit, mais à l’échafaud. Le 4 germinal de l’an II. D’où sa rancœur contre les individus de la France, qu’il voudrait qu’elle soigne.
Exclu le 2 janvier 1794 de la Convention car étranger, il fut exécuté le 24 mars de la même année, victime de la théorie des comploteurs étrangers qui s’était alors emparée de l’esprit des révolutionnaires, Robespierre et Saint-Just en tête, qui subirent le même sort quatre mois plus tard.
Anarchasis Cloots représente la Révolution dans ce qu’elle a de pire : le règne de l’Étranger, de l’anti-France, au détriment du Pays réel. Cette Xénocratie ayant pour corollaires la Bancocratie et l’« Antichristocratie », si l’on nous concède ce néologisme.
Cloots était l’incarnation des trois. Sa famille, les de Cloots, n’est pas de souche française : elle est prussienne d’origine néerlandaise. Il remplace son vrai prénom Jean-Baptiste par un pseudonyme. De même qu’il est favorable à la « suppression du nom de Français à l’instar de Bourguignon, de Normand ou de Gascon »[1]. Son esprit est irrémédiablement hors-sol. Très actif dès le départ de la Révolution, il appelle de ses vœux que la Fédération du 14 juillet 1790 soit « une fête qui ne soit pas seulement celle des Français, mais encore celle du Genre humain. »[2] C’est un globaliste avant l’heure, comme le montre son essai la République universelle ou Adresse aux tyrannicides (1795).
« Athée déclaré, sans conteste »[3], il est l’auteur du pamphlet La certitude des preuves du mahométisme (1780), qui, contrairement à ce que son titre suggère, n’est pas une apologie de l’islam mais une réfutation de l’ensemble des religions. Il défend le remplacement du christianisme par le culte civique du Genre humain. L’historien Guy Ikni rapproche sa pensée de celle du philosophe David Hume[4] et son homologue Serge Bianchi soutient qu’il appartenait à « un cortège de déchristianisateurs »[5] dirigé par l’évêque Jean-Baptiste Gobel, qui « déposa ses insignes et ses lettres de prêtrise à la barre de l’Assemblée et se coiffa du bonnet rouge. »[6]
La Révolution de 1789 permit la formation d’un Pays nouveau sur le sol français, la finance cosmopolite, – ou Pays légal – véritable race parasite dressée contre la France qui se fait appeler « République ». Outre Cloots, cette coterie était composée d’Eulogius Schneider, d’origine germanique, d’extraction plus modeste que celui-là. Les deux hommes furent condamnés à mort en même temps. Y figuraient en outre le Belge Proly, l’Espagnol Gusman, le Portugais Pereyra et le baron Jean de Batz, proche du « milieu de la finance genevoise et de la grande spéculation »[7], qui lança la « première compagnie d’assurances sur la vie. »[8]
Sans oublier les frères Frey, des banquiers venus d’Autriche, dont le plus connu des deux s’appelle Junius. C’est en fait sa troisième identité : « issu de la haute bourgeoisie juive »[9], Moïse Dubrouchka est baptisé en 1775, ce qui lui permet d’être anobli. Il devient alors Franz Thomas von Schœnfeld. Gershom Scholem écrit : « Lorsque éclata la Révolution française, il se rendit à Strasbourg et devint un des jacobins dominants. […] Membre du parti de Danton, il monta avec ce dernier sur l’échafaud sous le nom de Junius Frey. »[10] ■ (À suivre).
[1]Jean-René Suratteau, « Cosmopolitisme/universalisme », in Albert Soboul (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989, p. 299.
[2]Guy Ikni, « Anarchis Cloots », ibid., p. 233.
[3]Michel Vovelle, « Athéisme » in ibid., p. 55.
[4]Guy Ikni, ibid., p. 234.
[5]Serge Bianchi, « Jean-Baptiste Gobel », ibid., p. 508.
[6]Idem.
[7]Roger Dupuy, « Jean de Batz », ibid., p. 96.
[8]Idem
[9]Gershom Scholem, Aux origines religieuses du judaïsme laïque. De la mystique aux Lumières, Paris, Calmann-Lévy, 2000, p. 242.
[10]Idem.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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