Par Michel Franceschetti.
J’ai été intéressé par un article de « Corse-Matin » (28.10) qui raconte la difficulté de création des cimetières communaux en Corse, institués le 12 juin 1804.
Les Corses, du moins ceux qui en avaient les moyens, préféraient se faire enterrer où ils voulaient. Vers la fin de l’article, il est écrit : « Le «champ des morts » napoléonien et « les voisinages fâcheux » évoqués par Charles Maurras sont laissés « à une caste populaire sans bien au soleil ». Les hiérarchies sociales sont parfois éternelles ».
J’ai cherché où Maurras avait écrit cela et j’ai trouvé, grâce à Maurras.net, que ces expressions se trouvaient en conclusion du 3e livre d’Anthinéa.
Voici l’extrait en entier. Maurras considère les tombes privées comme une opposition à l’égalitarisme révolutionnaire (il écrit « consulaire », par référence au Premier Consul, mais, le 12 juin 1804, l’Empire existait depuis un mois). En cette période de Toussaint, ce récit de Maurras – d’ailleurs superbe – ne peut que servir à nourrir nos réflexions. ■
…l’un des derniers forts de notre race et le meilleur refuge qu’elle se fût donné contre l’administration de l’Égalité…
La dernière promenade que je fis à Ajaccio m’amena dans la nécropole.
Une petite route en corniche part du pied de la citadelle. Bordée à droite d’un faubourg, elle suit la mer. Peu à peu cessent les maisons, le penchant des collines apparaît tapissé de petits enclos réguliers. Étroits jardinets d’herbe folle, sans autre plantation qu’un ou deux cyprès fort anciens qui balancent leur plume noire, ils s’étendent comme un parvis au devant de chapelles toutes pareilles, humbles, nues, marquées de la croix.
Autant d’enclos, autant de sépultures particulières. Les Corses ont réussi à garder le droit d’acheter un peu de terre solitaire, de la fermer d’un mur et de s’y coucher au milieu des morts de leur sang. C’est le plus noble endroit qu’on puisse visiter ici. Tous ces tombeaux privés couvrent une demi-lieue de campagne, dans un paysage composé de vieux arbres et de rocs fracassés où règne l’idée de la mort.
Chez nous, qui sommes condamnés jusque dans notre cendre à des voisinages fâcheux, le cimetière a renversé ce bel et humain usage des sépultures domestiques. Je ne vois aucune raison pour qu’un jour la fosse commune ne succède à nos tombes privées. Ce sera dans l’esprit du siècle et de ses lois. Quand, au détour des Sanguinaires, sur le bateau qui m’emportait, les points blancs de la nécropole ont cessé de m’être visibles, il m’a semblé que l’un des derniers forts de notre race et le meilleur refuge qu’elle se fût donné contre l’administration de l’Égalité consulaire s’évanouissaient de mes yeux.
J’aurai quitté sur ce regret la patrie de Napoléon.
Anthinéa (1901)