Par Philippe Mesnard.
Reprenant sa formule de 1917, une année qui a changé le monde, J.-C. Buisson livre une chronologie détaillée de l’essor et de la chute du fascisme et du nazisme.
Ne se bornant pas à l’Italie et à l’Allemagne (on sait qu’il y eut des fascistes anglais et des nazis américains – encore aujourd’hui), l’auteur distingue en trois gros chapitre l’épiphanie, l’apogée et l’apocalypse de cette idéologie générationnelle née de la Première Guerre mondiale et morte avec la Seconde.
On peut suivre pas à pas cette parabole et goûter l’effet de marée montante, jauger les mille faits qui s’accumulent, s’étonner en conséquence des opinions des démocraties d’alors, qui ne virent pas le danger et même s’offusquèrent que des nationalistes français dénonçassent l’étatisme italien et le racisme allemand : nous sommes toujours clairvoyants quand l’histoire est connue. À ceux qui choisissent cette sage lecture, le livre réserve non seulement la surprise de projets, de paroles et d’actions ignorées ou méconnues, comme la grande admiration qu’Hitler voue à Ford depuis que l’industriel a dénoncé « l’emprise des Juifs sur la finance mondiale et dans la révolution bolchévique » (décembre 1921 : le New York Times consacre une enquête à Hitler dont le bureau est orné d’un grand portrait d’Henry Ford), mais encore celle d’une riche iconographie où les images célèbres côtoient les documents peu connus, comme cette photo d’Ernest Schäfer, parti pour le Tibet le 19 avril 1938 chercher des Aryens de pur sang, et qui a accroché au-dessus de lui, minuscule et incongru, un fanion SS, ou celle du grand mufti de Jérusalem, défilant bras tendu devant les volontaires de la 13e division SS bosniaque.
On peut aussi lire successivement toutes les biographies des acteurs du fascisme : c’est là que se révèle la stupéfiante fortune de cette exaltation du conflit, de cet antagonisme élevé au rang de principe politique : l’américaine Mary Elizabeth Tyler, qui ressuscita le Ku Klux Klan dans les années 1910, Henry Ford, Adrien Arcand, fondateur du Parti national social-chrétien canadien, Konstantin Rodzaevski, qui unifie les exilés russes sous la bannière du Parti fasciste russe, le Belge Degrelle, le Brésilien Salgado, les sœurs Mitford en Angleterre (on aurait aimé une bio d’Édouard VIII), Ante Pavelić en Croatie, l’ex-communiste Doriot… C’est la partie intitulée « Épiphanie » qui est la plus surprenante, avec cette floraison mondiale de fascismes locaux et cette marche somnambulique vers le conflit des démocraties pacifistes européennes. La méthode Buisson, qui aligne et décrit de manière presque neutre chaque petit événement, est en fait redoutable quand il s’agit de comprendre un aveuglement volontaire, qu’il s’agisse au début des démocraties ou des dictatures à la fin. Et chaque paragraphe fait naître l’envie d’en savoir plus, sur les Loups d’acier lituaniens, la Société des fleurs de cerisier et le Tribunal de Nuremberg. ■
Jean-Christophe Buisson, Le Noir et le Brun. Une histoire illustrée du fascisme et du nazisme. 1919-1946. Perrin, 2022, 384 p., 27 €.
Article paru dans Politique magazine.
Je suis toute à fait d’accord avec vous.