Par Philippe Mesnard.
Comment ne pas aimer Bernanos ? C’est une Conscience. Il a pour lui de vitupérer sans cesse contre les lâches et les faibles. Certes, il le fait en exil, de loin, protégé de la guerre par la grande distance qu’il a mise entre elle et lui.
Mais il a honte, nous dit-il, pour bien nous faire comprendre que ses souffrances sont plus sublimes et plus terribles que celles de ceux qui se contentent de crever de faim, de froid, de coups ou de balles. Lui, il a la souffrance distinguée de l’intellectuel qui a choisi une fois pour toutes le parti de l’honneur ; et s’en est élu président, et veille soigneusement à n’accepter que de très rares partisans : c’est normal, il faut être du niveau de Bernanos pour y entrer, alors, vous pensez bien, ni Maurras, ni le Prince, ni De Gaulle n’en étaient dignes.
Surtout pas Maurras, qui a deux énormes défauts : il ne veut pas désespérer, ce qui est quand même un comble car comment rugir de beaux anathèmes, comme Bernanos, sans un peu de désespoir bien dosé ? et il ne veut considérer que la réalité, ce qui est quand même sordide et bien propre à décourager les esprits élevés comme Bernanos. Or donc, Bernanos est aujourd’hui célébré et Maurras vilipendé, et vilipendé en s’appuyant sur l’avis de Bernanos, l’autre Bernanos, le dernier Bernanos, celui qui décida de ne plus être maurrassien après avoir passionnément embrassé son maître et sa pensée.
Mais que vaut l’avis de Bernanos ? Comment s’est-il formé, est-il juste, est-il cohérent ? Les reproches que Bernanos fait à Maurras, les insultes dont il l’accable, les procès qu’il lui intente (lui reprochant par exemple d’avoir moins aimé la France que l’idéologie, d’avoir désarmé les esprits devant le nazisme, d’être responsable de la défaite de 40, etc.), tout cela a-t-il un peu de substance ? Ou ce combat acharné contre Maurras n’est-il pas celui d’un idéaliste qui préfère sa France rêvée à la France réelle, celui d’un déserteur qui veut justifier son exil, celui d’un ancien disciple qui se hait lui-même d’avoir, quelques années durant, mis les doigts dans la vraie politique au lieu de se consacrer à vaticiner, ce qui lui réussit mieux, commercialement au moins ? Axel Tisserand, qui a entre autres mérites celui d’avoir tout lu, ouvre le dossier et examine les pièces. Il fait surgir l’idéalisme de Bernanos, cette préférence de plus en plus marquée pour l’idée qu’il se fait des choses au mépris de l’examen des choses elles-mêmes, cette volonté farouche d’être seul sur son rocher à exhorter ou abominer la foule plutôt que d’être dans la bataille. Non seulement il fait litière des absurdes reproches adressés à Maurras mais il dresse le portrait d’un écrivain, Bernanos, prisonnier de Drumont, de sa pensée raciale, prisonnier de son pessimisme, prisonnier des amis démocrate-chrétiens qu’il s’était attiré malgré lui, talentueux mais égaré, vociférant mais peu écouté. Ce petit livre est rapide, dense et passionnant, et ce n’est pas son moindre mérite que, pour avoir voulu rétablir Maurras, son auteur n’ait pas voulu accabler outre mesure Bernanos, témoignant par là de la même magnanimité que Maurras lui-même, et Boutang. ■
Axel Tisserand, Un tragique malentendu. La querelle entre Bernanos et Maurras. Éditions de Flore, 2022, 140 p., 10 €.
À lire aussi dans JSF
Textes extraits du Maurras et notre temps d’Henri Massis, témoin capital s’agissant aussi bien de Maurras que de Bernanos et de leur relation. (Édité en volume signalé en page d’accueil)
un grand merci pour ces articles si complets, l’Action Française a suivi le cours inversé, de l’aval à l’amont.., que suivent inéluctablement les associations humaines. A propos de guerre je vous signale que N. Dupont-Aignan a émis un superbe point de vue, I24News, sur un tas de sujets, mais surtout relatifs à l’opération Z en fin d’émission. Ne citeriez-vous pas?
Comme c’est bien ce regard lucide et intelligent ! Bernanos a infiniment de qualités – c’est un grand romancier, ce qui n’est pas si fréquent – et un bien médiocre essayiste…
C’est toujours édifiant de voir ironiser sur le comportement de ceux qui , de fait , se tinrent loin des combats lors du dernier conflit mondial ; hommes déjà à l’automne de leur vie , que pouvaient ils faire ?
A mon avis, il faut pondérer nos avis. En 1939, Bernanos n’avait que 51 ans. C’est plutôt à cause de sa blessure à la jambe lors des combats de la Grande Guerre – blessure qui l’a handicapé le restant de sa vie – qu’il n’a pas pris part à la deuxième guerre mondiale.
Néanmoins, la tentation du grand départ l’a tenaillé dès sa jeunesse et il y a constamment cédé.
Dans son « Maurras et notre temps », Henri MASSIS qui fut l’un de ses plus proches, explique cela très bien.
Après avoir beaucoup aimé Bernanos (grâce à ma mère qui m’avait donner à lire «La Joie»), après avoir considéré «Monsieur Ouine» comme un des plus grands romans, il est arrivé que, vers 1985, je n’ai plus lu Bernanos… Et puis, voilà peut-être une petite trentaine d’années, je me suis mis à «La France contre les robots» (paru en 1946)… J’ai été fort surpris par une certaine «superficialité» dans le propos, par le beaucoup de «retenue» et, surtout, tout à fait frappé par ce que ce texte avait de commun, quoique radicalement diminuée, avec «La Crise du monde moderne» (paru en 1927) de René Guénon. Si l’on compare les deux volumes, il saute aux yeux que le plus tardif paraît tout à fait terne, «sans odeur, sans saveur», selon la formule consacrée. Du coup, on se pose une première question : Bernanos avait-il lu «La Crise du monde moderne» ? La réponse est : plus que vraisemblablement… C’est Gonzague Truc, très proche de l’Action française et de Maurras qui en avait passé commande à Guénon pour les éditions Bossard ; peu de temps auparavant, Léon Daudet avait publié dans «L’Action française» une critique très remarquable et plus qu’élogieuse d’un livre de Guénon (je ne sais plus lequel au juste) ; Henri Massis rompait des lances avec Guénon ; Jacques Maritain brûlait le jeune Guénon qu’il avait un peu adoré ; etc. Bref, nul «intellectuel» proche de l’AF et des milieux nationalistes ne pouvait ignorer Guénon… J’incline donc à être persuadé que Bernanos avait lu «La Crise du monde moderne». Alors une seconde question se pose : comment a-t-il pu avoir l’idée de pondre vingt ans après un pendant à ce point édulcoré ?
Depuis ces réflexions qui me sont alors venues, j’ai définitivement cessé de m’intéresser à Bernanos, tout simplement. Cependant, au détour de telle ou telle autre lecture, j’en suis arrivé à me dire, en passant, que Bernanos s’était décidément montré d’une impudente ingratitude intellectuelle envers Maurras, sans parler du reste de sa vindicte… Si bien que Bernanos m’est apparu sous un jour de plus en plus trouble. Cependant, parmi nous, je me sentais bien seul à réfléchir ainsi. Et voilà que je tombe à l’instant sur ce que nous dit Philippe Mesnard, qui me tranquilise le cœur et que j’apprends au passage que l’excellent Axel Tisserand pourrait bien avoir légèrement abondé dans un dernier livre… Je vais devoir me pencher sur ce «Tragique malentendu»… Cependant, je pense qu’il n’y avait aucun «malentendu» chez Bernanos, mais quelque chose de plus bassement psychologique, égocentrique, bref, j’imagine tout de go une vulgaire jalousie intellectuelle.
Pour finir, lorsque, voilà plus de trente ans, j’ai lu, pour la troisième fois, «Monsieur Ouine», je n’ai plus rien retrouvé de ce qui m’avait enthousiasmé au temps de mes vingt ans et, pour dire la vérité, ce que je n’avais déjà plus retrouvé intact, en 1984, très exactement, lorsque je m’y étais remis à l’occasion d’une communication à faire pour le Colloque Bernanos, organisé par «La Place royale» ; colloque dont le souvenir m’émeut lorsque je repense au remarquable Jean-Marc Ohnet – qui a connu un si tragiquement malheureux épisode physiologique voilà peut-être bien 20 ans – ; ce jour-là, Jean-Marc avait lancé à la tribune – conclusion à sa docte et circonstanciée ouverture du colloque – un furieux : «Quant à nous… nous sommes Manants du Roi !»
Que oui, que nous le sommes encore un peu ! Si cher Jean-Marc…
Je partage assez votre avis, David, sur « Monsieur Ouine », qui au fur et à mesure qu’on le relit, montre ses limites et commence à sérieusement ennuyer…
C’est tout de même curieux : « La Grande Peur des bien-pensants » n’est pas cité .
Lu cet essai , un peu par hasard , il y a prés d’ un demi-siècle vers 1973 (presque un « livre de chevet » alors et encore conservé) . C’est le « tableau » de la Droite et ce qui l’accompagne après Sedan et pour la période allant jusqu’à 1917 qui fascine (et peut encore instruire lorsqu’on retrouve un peu les mêmes , de nos jours) .
Peut être est ce « hors sujet » voire , propos de béotien , mais Bernanos ne mérite -t-il d’être considéré en tant que tel ?
Cher Richard, je pense que Bernanos est largement traité «en tant que tel», du moins, le plus généralement… Dans ces dernières colonnes, c’est la première fois que, «entre nous», je ne me sens pas seul à exprimer un point de vue critique à l’égard de son œuvre… Vous avez raison quant à votre appréciation de «La Grande Peur des bien-pensants», mais, le plus souvent, citer cette “apologie d’Édouard Drumont” renvoie à l’antisémitisme de Bernanos, fatalement… De nos jours, cet antisémitisme (d’ailleurs assez ferme et durable chez lui) n’est plus très bien porté… Alors, on s’abstient d’y trop faire allusion, et ce, d’autant plus que ce serait un peu facile d’avoir recours à cette critique-là, qui ne peut valoir que ce qu’elle vaut, d’autant plus inélégant que ce serait profiter du climat, justement, si bien-pensant qui nous opprime et qui, somme toute, n’a cette fois plus peur de rien et encore moins de Drumont. Sans compter que ce recueil d’articles aurait durablement pu le «droitiser» (selon le néologisme de rigueur aujourd’hui) sans que «Les Grands Cimetières sous la lune» n’interviennent pour y apporter le correctif que l’on sait (et que, outre toute littérature, je déplore, pour ma part), prélude à la posture qui, politiquement, va suivre…