Par Philippe Mesnard.
Quand Manuel Valls nous a expliqué qu’il fallait apprendre à vivre avec le terrorisme, il lançait la mode de la sobriété. C’est-à-dire la mode d’un style de gouvernement assez inédit qui consiste à simultanément abdiquer et enjoindre.
D’un côté ceux qui gouvernent constatent le mal, se rendent compte qu’ils sont impuissants, abdiquent en fait toute volonté d’action ; de l’autre ils réclament que le peuple s’ajuste au nouvel état qu’ils n’entendent pas corriger et font porter tous leurs efforts non sur la disparition des maux mais sur leur acceptation – et, là, la puissance de l’État s’affirme ; il est vrai qu’il ne s’agit plus de réformer mais de conformer, et la République a toujours été plus habile à mettre au pas les citoyens qu’à leur garantir un avenir heureux. Voilà trois ans que Macron et sa clique nous parlent de résilience : opération Résilience lancée en mars 2020 contre l’épidémie de Covid-19, loi Climat et résilience de 2021, mission parlementaire sur la résilience nationale, avec son admirable rapport « Renforcer notre résilience pour une France libre, unie et prospère dans un monde incertain » (sic).
Quand Macron et ses pitoyables ministres nous parlent de sobriété, ils nous disent : nous avons été nuls sur la politique énergétique de la France, et nous n’avons ni les moyens financiers ni la volonté politique de changer le cours des choses. Vous devez apprendre à avoir faim et froid et vous devez considérer que notre incapacité à vous garantir ce que nous vous promettions à travers la promotion du marché et de l’Union européenne est en fait l’occasion de vous mobiliser : les désastres étant inéluctables puisque nous avons décidé que nous ne pouvions rien faire, il est désormais de votre responsabilité, et non plus de la nôtre, de gérer les risques. Mieux, nous allons désormais vous expliquer que c’est une vertu ! Nous allons vous gourmander sur vos appétits, que nous avions encouragés, et vos habitudes, que nous avons formées.
Nous refusons de nous attaquer aux causes des maux, quels qu’ils soient. L’Union européenne est un frein à notre politique énergétique ? Soyez sobres, soyez résilients, mais nous ne quitterons pas l’Union ni ne lui imposerons les intérêts français. L’immigration musulmane menace, dans les faits, nos institutions, votre sécurité, notre culture ? Nous ne ferons pratiquement rien pour la diminuer. Le progrès technologique ruine l’environnement, laisse la France à la traîne du reste du monde et isole chacun ? Nous continuerons à vanter l’électrification et la numérisation massives de l’appareil industriel, des transports et de l’organisation sociale. Et tout à l’avenant : l’État nous force à nous adapter en nous faisant nous sentir coupables d’une situation qu’il nous a imposée.
Non pas que la sobriété ne soit en soi une bonne chose : le consumérisme détruit, surtout dans une France qui a fait le choix de détruire son industrie et son agriculture. Mais la sobriété à laquelle on nous enjoint est un leurre : nous devons consentir, en fait, à ce que le marché continue d’imposer sa loi. La résilience, c’est la prolongation de toutes les conditions désastreuses qui ont conduit aux impasses actuelles. L’injonction à travailler chez soi, par exemple, bien loin de nous rendre la liberté d’organiser notre travail, est surtout l’occasion d’externaliser une partie des coûts de production, désormais à la charge des salariés. Ne plus gaspiller l’énergie, c’est surtout faire en sorte que la part des dépenses contraintes diminue, libérant ainsi du pouvoir d’achat pour continuer à consommer puisque l’injonction à la sobriété se double d’une volonté politique marquée de forcer tous et chacun à rénover les bâtiments, à changer de systèmes énergétiques : on ouvre des marchés, en fait.
Une vraie sobriété consisterait à renoncer : voyager moins, manger moins, ou meilleur, produire moins, ou plus français, ce qui coûterait plus cher, refaire de la famille une cellule, plutôt que de traiter la dépendance par l’euthanasie afin de préserver le pouvoir d’achat des enfants… Pas promettre que de nouvelles technologies permettront de consommer toujours autant des biens toujours plus produits à l’étranger, y compris les biens agricoles (l’agneau néo-zélandais voulu par l’UE va achever notre production ovine française), quand bien même les usages auraient changé. La sobriété vantée par le gouvernement consiste à prolonger un système de production sans en changer les fins : on reste toujours sur le vieux logiciel qui fait de l’abondance le ressort premier et ultime de la bonne société, celle où on jouit de la paix parce que chacun peut satisfaire ses appétits. Puisque l’État français ne peut nous apporter la richesse promise, promesse sur laquelle il a bâti tout son discours d’abandon national, l’État nous enjoint désormais de consommer malin. Voilà le fin mot de la sobriété résiliente. Voilà le projet politique de Macron. ■
Excellente synthèse, rigoureuse et complète, de l’imposture du pouvoir.
Très perspicace et détaillé . Le « Macronisme » est bien disséqué .
Ajoutons à cet excellente peinture la multiplication des panels de citoyens « tirés au sort », de conseils d’experts poussés au piston (ou à la pompe à fric), de comités de copains théodules, chacun, à sa façon, minant, dénaturant, à grand coût, les déjà coûteuses Institutions et autres bourgeonnantes bureaucraties. Pas de sobriété pour eux, ni responsabilité. L’Ancien Régime a péri de telles dérives.