PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro d’hier samedi 12 novembre. Nous n’ajouterons rien de plus, cette fois-ci, laissant ce soin, s’il y a lieu, aux lecteurs parfaitement compétents et talentueux de JSF.
CHRONIQUE – Les sociétés occidentales sont prisonnières d’une structure juridique et d’un discours idéologique sur leurs «valeurs» en complet décalage avec l’époque.
« Les peuples occidentaux n’en peuvent plus. Ils subissent l’immigration massive qui crée chez eux une forme de misère nouvelle, en plus de les condamner aux affres de la dépossession existentielle »
L’affaire de l’Ocean Viking donne à tous le sentiment de revoir un film connu, dont on connaît déjà la fin, et qui aura une suite, car cette scène est appelée à se répéter au fil des années à venir. Elle ne met pas seulement en scène 230 migrants cherchant refuge en Europe, mais une entreprise planifiée de violation des frontières européennes, menée tout à la fois par des passeurs criminels et des ONG qui ont pour fonction de jouer la carte du chantage humanitaire dès lors que les sociétés occidentales ne consentent pas immédiatement à l’ouverture de leurs frontières. Les deux s’inscrivent dans un même dispositif, et sont devenus inséparables. On ne saurait évidemment être indifférent au sort des malheureux errant sur un navire en Méditerranée, et leurs secours en mer n’est remis en question par personne. Mais le sens commun exige aussi le retour de ces migrants illégaux qui cherchent à entrer en Europe sans en avoir le droit vers leur port d’origine.
Ce n’est pourtant pas ce qui arrive. Le problème est fondamental: nous sommes témoins d’un détournement du droit d’asile à grande échelle, au point où celui-ci est devenu une filière migratoire à part entière. Le droit d’asile, à l’origine, servait à accueillir des individus persécutés, des dissidents, cherchant refuge sous une souveraineté protectrice, appelés ensuite à rentrer chez eux, une fois leur sécurité garantie. Il sert désormais à permettre la migration des peuples et des communautés d’un pays à l’autre, d’une civilisation à l’autre, d’un continent à l’autre. C’est la trame de fond de notre temps: le Sud remonte vers le Nord, moins à la recherche de sécurité que d’une prospérité fantasmée, sans se rendre compte que les sociétés occidentales risquent de s’affaisser sous l’effet d’une pression démographique qui les déstructure et fracture leur cohésion sociale. Cette poussée est bien antérieure à la crise des migrants de 2015 et remonte aux années 1980.
Les sociétés occidentales ne savent pas empêcher ce mouvement. Elles sont prisonnières d’une structure juridique et d’un discours idéologique sur leurs «valeurs» en complet décalage avec l’époque. Un imaginaire sans-frontiériste entend neutraliser autant que possible la différence entre le citoyen et celui qui ne l’est pas. Un humanitarisme inédit substitue au principe de la diversité des peuples celui de l’interchangeabilité intégrale des populations. Dès lors, la défense des frontières devient non seulement impossible, mais illégitime, car un ordre nouveau, post-politique et post-étatique, devrait émerger sur les ruines des souverainetés nationales. Les ONG immigrationnistes qui se prennent souvent pour l’avant-garde éclairée de l’humanité trouvent à l’intérieur de nos pays un relais chez les associations de «défense des droits» des migrants à l’intérieur même des sociétés occidentales, qui multiplient les actions spectaculaires pour les contraindre à la naturalisation des clandestins.
C’est au nom de leur «tradition d’accueil» que les sociétés occidentales sont censées consentir à ce qui prend la forme, objectivement, d’une submersion démographique. C’est d’ailleurs la seule tradition qu’on leur concède et dont elles sont en droit de se réclamer: les autres traditions sont appelées à s’effilocher et sont jugées réactionnaires. C’est aussi au nom de leurs «engagements internationaux» que les États occidentaux sont sommés d’accueillir ceux qui veulent y entrer de force. On oublie pourtant que ces «engagements internationaux» sont moins le fruit de la délibération démocratique et de la souveraineté populaire que d’une forme de nomenklatura mondialiste et d’apparatchiks progressistes évoluant dans les mille et une associations entrelacées de la gouvernance globale, qu’elle soit européenne ou onusienne. Il ne devrait pas être interdit de questionner la légitimité de ce «droit international» qui relève surtout du coup de force idéologique.
Les peuples occidentaux n’en peuvent plus. Ils subissent l’immigration massive qui crée chez eux une forme de misère nouvelle, en plus de les condamner aux affres de la dépossession existentielle. Les peuples, traités à la manière d’un résidu venu des temps sombres des souverainetés nationales, doivent non seulement consentir à ce nouvel empire humanitariste, mais aussi l’applaudir, sans quoi on les accusera d’être en défaut d’humanité. Ils ne peuvent qu’ouvrir leurs frontières et leurs ports, lever leurs barrières et faire tomber leurs remparts, pour prouver aux inquisiteurs nouveaux leur ouverture, leur générosité. La logique de la repentance qui hypnotise et contamine les esprits arrive à son point culminant: un peuple désirant maîtriser ses frontières est un peuple coupable, un peuple désirant demeurer lui-même est un peuple nauséabond. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.