Ce n’est pas nous qui allons morigéner Élisabeth Lévy. Elle mène à sa façon et selon ses talents qui ne sont pas minces, avec franchise, courage et parler net, avec ses mots, des combats qui sont, parfois clairement, parfois avec des nuances, aussi les nôtres. « Dans l’ordre du réel », selon l’expression de Maurras, l’accord total sur la vérité pure, ne nous semble pas exister. Au double titre de l’improbable accord à 100%, comme de la vérité pure.
Globalement et sommairement parlant, Élisabeth Lévy et ses amis, défendent la France et les Français dans des circonstances où pèsent sur la France comme sur les Français, de sombres menaces. Cela est beaucoup. Nous nous souvenons à Je Suis Français, qu’à la création de Causeur, il y a déjà un temps certain, c’est le regretté vrai et grand philosophe, disciple de Boutang, Jean-François Mattéi, qui nous en avait signalé l’intérêt et prédit le bel avenir. Nous y avons des amis proches, y compris géographiquement, et nous nous en félicitons.
Cela dit, sur l’échange entre Élisabeth Lévy et Laurent Obertone, à propos de Maurras et l’Église catholique, au détour d’un entretien dans Causeur de ce mois de novembre sur un tout autre sujet, Axel Tisserand a raison de se saisir d’une interprétation – en incidente de l’entretien – que tout maurrassien informé ne manquera pas de relever et de récuser aussitôt.
De quoi s’agit-t-il ? Axel Tisserand le dit ainsi et y apporte sur le fond de justes commentaires* :
(…) » abordant la question des religions, et alors qu’Obertone note qu’il est « probable que l’islam joue dans certains quartiers un rôle pacificateur », Elisabeth Lévy remarque : « C’est ce que pensait Maurras qui attribuait à la religion un rôle de contrôle social », avant qu’Obertone n’ajoute à son tour : « Oui, les conservateurs de toutes les religions peuvent se retrouver. »
Passons sur la réduction de Maurras au conservatisme — il aimait à rappeler ce mot du duc d’Orléans : « Conservateur est un mot qui commence mal » —, voire sur cet amalgame entre « toutes les religions ». Un spécialiste à la fois du christianisme et de l’islam, Rémi Brague, ne cesse au contraire à travers ses livres et ses articles de montrer en quoi cet amalgame trompeur nous interdit de penser avec rigueur la question de la présence sur notre sol d’une forte communauté musulmane. Comme il le déclarait par exemple à Vincent Tremolet de Villers dans un entretien pour Le Figaro le 19 juillet 2016 : « L’erreur de l’Europe est de penser l’islam sur le modèle du christianisme. » Mais peut-être une certaine conception « républicaine » de la laïcité est-elle à ce regrettable prix…
Nous nous contenterons de relever la remarque d’Élisabeth Lévy. Non, Maurras n’a jamais conçu son « Église de l’ordre » au sens étroitement policier de « contrôle social ». Comme il le précise dès l’introduction de son Bienheureux Pie X : « Notre ordre n’était pas seulement forain, ne ressemblait en rien à celui dont les Russes avaient déjà couronné Varsovie. » Ce que souhaite Maurras c’est rejoindre par une autre voie, laïque, à coup sûr, comme le veut l’empirisme organisateur, qu’il définit comme un « compromis laïc », l’anthropologie enseignée par l’Église, de la conception de l’homme lui-même à celle du peuple ou de la nation, autrement dit la définition catholique des fondements de la société. Une voie qui est, en bonne théologie, celle de la lumière naturelle, laquelle est, selon saint Thomas, « une sorte de participation de la loi éternelle en nous » [Somme théologique, Ia, IIae q. 96 a2] : tel est le sens non instrumental de l’Église de l’ordre chez Maurras. L’ordre au sens maurrassien du terme n’a rien à voir avec celui de Foutriquet (M. Thiers).
Du reste, Maurras met les choses au point dès le début du Dilemme de Marc Sangnier : « On se trompe souvent sur le sens et sur la nature des raisons pour lesquelles certains esprits irréligieux ou sans croyance religieuse ont voué au Catholicisme un grand respect mêlé d’une sourde tendresse et d’une profonde affection. — C’est de la politique, dit-on souvent. Et l’on ajoute : — Simple goût de l’autorité. On poursuit quelquefois : — Vous désirez une religion pour le peuple… Sans souscrire à d’aussi sommaires inepties, les plus modérés se souviennent d’un propos de M. Brunetière : “L’Église catholique est un gouvernement”, et concluent : vous aimez ce gouvernement fort.
Tout cela est frivole, pour ne pas dire plus. Quelque étendue que l’on accorde au terme de gouvernement, en quelque sens extrême qu’on le reçoive, il sera toujours débordé par la plénitude du grand être moral auquel s’élève la pensée quand la bouche prononce le nom de l’Église de Rome. […] Sans consister toujours en une obédience, le Catholicisme est partout un ordre. C’est à la notion la plus générale de l’ordre que cette essence religieuse correspond pour ses admirateurs du dehors. […] La conscience humaine, dont le plus grand malheur est peut-être l’incertitude, salue ici le temple des définitions du devoir. »
On comprend pourquoi Maurras précise lui-même dans Mes Idées politiques, visant évidemment Voltaire : « Celui qui a dit qu’il fallait une religion pour le peuple a dit une épaisse sottise. » Et d’ajouter : « Il faut une religion, il faut une éducation, il faut un jeu de freins puissants pour les meneurs du peuple, pour ses conseillers, pour ses chefs, en raison même du rôle de direction et de réfrènement qu’ils sont appelés à tenir auprès de lui : si les fureurs de la bête humaine sont à craindre pour tous, il convient de les redouter à proportion que la bête jouira de pouvoirs plus forts et pourra ravager un champ d’action plus étendu. » Ainsi, loin d’être pour le peuple, l’Église comme temple des définitions du devoir, lequel, d’ailleurs, ne saurait être confondu avec le « contrôle social », est avant tout pour les dirigeants et, évidemment, dans l’esprit de Maurras, pour le premier d’entre eux : le roi.
Maurras s’attaque donc bien de front à la vision utilitariste d’une religion permettant de contrôler le peuple. Elle ne sera jamais la sienne, mais était, en revanche, bien celle de Voltaire : « Je veux que mon procureur, mon tailleur, mes valets, ma femme même croient en Dieu ; et je m’imagine que j’en serais moins volé et moins cocu. » [1]
Cela étant dit, et fort justement, il nous a paru utile – à destination d’Élisabeth Lévy, éventuellement de ses lecteurs et aussi des nôtres, surtout des plus jeunes, s’ils en ressentent, pour eux, le besoin, de republier non plus de courtes citations, mais un assez long texte de Maurras, superbe réflexion de grande et haute portée. Classé, d’ailleurs parmi nos grands textes.
On y trouvera posée en préambule la question d’aujourd’hui : la délicate question de la pertinence de la perception maurrassienne du catholicisme – forgée en grande partie sous le pontificat de Pie X (1903 – 1914) – à l’heure de l’Église postconciliaire et, notamment, du pontificat du pape François, est-elle encore l’Église de l’Ordre, au sens maurrassien ? Et que peut-on imaginer que Mauuras lui-même pourrait bien en dire ?
* Source : www.actionfrancaise.net
[1] Voltaire, Dialogues, ABC (1768), 17e entretien, (cité in Launay & Mailhos, Introduction à la Vie littéraire du XVIIIe siècle, éd. PUF, pp. 52 – 53).
Axel Tisserand a récemment publié aux éditions de Flore : Un Tragique malentendu – La querelle entre Maurras et Bernanos et La Voie capétienne – Les enseignements politiques des rois et des princes de France.
bravo!
on ne pouvait mieux dire!
Critiquer ses amies de pensée est très Français . Voltaire voulait que tout son monde pense de même; c’est la définition d’une Nation.
Tous les humains , (je n’ose dire les hommes puisqu’il y a des femmes) n’ont pas vécu le même développement de civilisation, mais ils ont en général une seule pensée que l’on appelle religion, qui les réunit. Ce qui permet de dire que certaines religions ou pensées sont solubles ou s’additionnent , quant d’autres s’opposent. Même Poutin s’en sert.
La France est unique en son genre puisqu’elle a décidé d’être la RAISON. Depuis la révolution bourgeoise ( anti chrétienne et plus anti catholique) l’esprit Français se considère supérieur à toute autre pensée structurée et les extrêmes cajolent les islamistes comme des protecteurs d’une pensée qu’ils ne connaissent pas et qui ne peut pas répondre à leurs racines civilisationnelles.
La laïcité ne s’impose qu’à elle même Et comme les pays sont sans cesse en recréation, nous voici de nouveau à imposer notre RAISON à tous, à l’Italie et à l’Allemagne et à L’Angleterre. Nous imposons et nous reculons, Elisabeth perçoit que les Français ne s’occupent plus de la gestion de leur pays. L’islam comme les autres pensées ou religions va s’en tarder nous écraser, c’est une pensée guerrière, demain il sera toujours trop tard pour palabrer sur Voltaire , Rousseau, Maurras ou Chateaubriand. Grace à notre RAISON, gros et gras bourgeois, mais aussi ouvriers du bas peuple s’ont sur le point de se soumettre.
Bravo le Cosquer !