Par Gérard POL.
Repris des réseaux sociaux où l’image en titre et la citation qu’elle porte, ont suscité un bel intérêt. Et peut-être est-ce un signe des temps.
« De l’espace autour de soi, de l’air pur, des oeufs frais, des poules élevées avec du grain »
Georges Pompidou était à la fois un homme de la terre et un homme de l’esprit. Ce n’est nullement contradictoire. À Normale Sup, il avait eu Senghor pour condisciple. Autre incarnation archétypique de la nécessaire alliance des deux éléments pour réaliser cette sorte d’humain supérieur que Nietzsche appelait le grand animal. Maurice Barrès, Anna Arendt, Simone Weil, Gustave Thibon savaient cela. Pompidou était de Montboudif et Thibon de Saint-Marcel d’Ardèche. Thibon disait que seuls les arbres aux profondes racines montent haut dans le ciel.
Pompidou fut sans-doute l’un des rares devant qui De Gaulle dut, un jour, céder. Et même plusieurs. Ils se sont ensuite entretués à bas bruit sans que les Français s’en aperçoivent. En mai 1968, il n’est pas sûr du tout que Pompidou ait eu raison. Mais il eut raison du Général l’année suivante. Il fut courageux ensuite face à la maladie et à la mort.
Lorsque, bravant la rancœur recuite de certaines composantes de la Résistance, il gracia l’ex-milicien Touvier, ce fut un acte souverain et courageux d’un homme d’État véritable qui entend retisser la trame de la concorde citoyenne. Il se déclara avec hauteur décidé à « en finir avec le temps où les Français ne s’aimaient pas ». Il était trop cultivé pour ignorer qu’en formulant sa volonté dans ces termes précis, il reprenait le titre d’un livre célèbre de Maurras. Sa volonté affirmée avec la plus grande autorité est alors apparue comme inspirée d’un souci admirable – admirable en système républicain – du Souverain Bien de la nation.
C’est pourquoi je déplore toujours les querelles que ravivent, qu’ils fussent d’un camp ou d’un autre, ceux qui se refusent à oublier, persistent avec quelque délectation à maudire, à exclure, à insulter et cherchent à se quereller pour des causes qui n’ont plus cours.
Le courage de Pompidou ici, sous cette image et cette citation, c’est aussi de refuser, ou bien plutôt d’ignorer superbement, l’idée rebattue de l’irréversibilité des tendances fortes du moment, comme si elles obéissaient à des nécessités supérieures qui inscriraient l’Histoire sur une ligne droite orientée inexorablement vers le prolongement indéfini et l’expansion « progressiste » des données du présent. Pompidou, homme de la terre et des saisons, devait avoir une conception cyclique au lieu de linéaire, de la vie des pauvres hommes dans l’Histoire.
Il fut aussi un homme de son temps, et dans un certain nombre de domaines, il ne faut pas oublier qu’il eut donc fort mauvais goût. Il avait réalisé une admirable anthologie de la poésie française, mais il fut l’homme de Beaubourg.
Pour toutes sortes de très justes raisons, j’ai combattu Pompidou autrefois, dans mon jeune âge, comme les autres de mon camp, je le referais s’il le fallait ; maintenant qu’il n’est plus de ce monde, et sans même envisager quelque impossible comparaison avec les hommes, les « dirigeants », d’aujourd’hui, comme beaucoup de Français, je l’aime bien. ■
«Je l’aime bien», moi aussi… Et ce, depuis une certaine émission de télévision, vue de son vivant aux temps de mon adolescence, avec des séquences tournées à l’Élysée ; dans l’une d’elles, il appelait gentiment sa femme, Claude, «Bibiche» ; je me rappelle que cela avait déchaîné l’ironie… J’avais trouvé cette ironie stupide. Il conduisait une R16, la cigarette au bec, avait pris une jeune femme en auto-stop, etc. Bref, il se comportait comme un bon homme… À l’époque, je me sentais bien seul à apprécier Pompidou, sauf que… Quelque temps après sa mort, vers 1974, celui qui, depuis le temps, est devenu un de mes plus vieux amis, et des plus chers, me disait que, pour lui, la meilleure politique française pour la musique avait été celle de Pompidou… Je ne partagerais pas tout à fait l’idée générale, car, en fait, Pompidou a effectivement promu les choses les plus détestables, autour des «gardes rouges» à la Pierre Boulez, mais, pour ce qui concerne ce que l’on appelait la «musique progressive» (autrement dit, le rock sophistiqué, la pop et autres agréments d’harmonies électriques), assurément, ce fut un temps autrement plus amusant que ceux qui ont décennalement suivi – ce très cher ami est Patrice Moullet, si d’aucuns se rappellent le «groupe» Alpes, qu’il dirigeait depuis l’extraordinaire instrument (lyre électrique) de sa fabrication, qui était une sorte de théorbe, voire de viole (que l’on pourrait dire «de genoux), puisqu’il avait ménagé un passage pour pouvoir en frotter certaines cordes de l’archet.
Pompidou était un homme assurément cultivé, d’ailleurs normalien, et ce, au temps où cela avait encore une authentique valeur… Ses qualités intellectuelo-humaines défrisaient bien du monde car, si on se le rappelle encore, une atroce campagne avait été orchestrée pour le compromettre (via Claude, sa femme) dans des affaires de balais roses (ou bleus, je ne sais plus comment on disait), liées à «l’affaire Markovic», dans quoi avait également été impliquée l’une des plus belles dames du monde, la somptueuse et tant intelligente Marie Laforêt… Ce fut particulièrement abject. J’en profite pour signaler que Marie Laforêt avait un esprit de haute spiritualité, qu’elle appartint aux services secrets suisses, collaborant principalement à la traque des sectes contre-initiatiques, ce qui lui valut des avanies assez sérieuses… Bon, tout cela fait remonter la nostalgie de temps qui me semblent extrêmement «anciens» quoique ils ne fussent pas si lointains… Mais l’effroyable accélération, la pandémique méchanceté des faux temps avenus semblent être parvenues à refouler nos mémoires très au fond de l’Histoire…
Oh oui ! à bien me le rappeler, ce Pompidou, «je l’aime bien», moi aussi…
Bel article de Gérard Pol et sympathique commentaire. Oui il y a Beaubourg mais nul n’est parfait. Quand je parle de lui, devant mes enfants ou en assemblée, je dis toujours Monsieur Pompidou. C’est le seul président de la cinquième à qui je donne du Monsieur. Car les autres…..Pffuuiiittt !
Excellent article.
Merci à Gérard POL d’avoir remis « les pendules à l’heure », il me semble bien qu’en 1972, à l’occasion du centenaire dec « Science Po » il a cité u extrait de Kiel à Tanger de Charles MAURRAS, et qu’il avait en 1945 signé la pétition pour la grace de Rober t BRASILLACH
Comme tout le monde, ou à peu près, j’ai été scandalisé par Beaubourg, le Centre d’art et de culture Georges Pompidou. Comme tout le monde. Et j’ai bien changé d’avis depuis lors. J’y suis revenu souvent. Cette ruche est toujours pleine d’initiatives et de trucs intéressants, elle est continuellement pleine de gens curieux des expositions, des richesses de la bibliothèque, de l’intelligente pédagogie du musée d’art moderne.
Des horreurs, des scories ? Bien sûr, évidemment. et comment ! Nous avons le nez dessus et nous ne voyons pas ce qui se dégagera dans le ou les siècles qui nous suivront (si nous survivons à l’immigration). Croit-on qu’aujourd’hui, nous ne bâillerions pas d’ennui devant les tragédies glacées de Rotrou ou de Tristan l’Hermite, devant les vers ridicules de l’abbé Delille ou même de Lamartine ? Le temps qui passe dégage les valeurs…
La merveille de Paris, c’est qu’elle n’est pas – Delanoe et Hidalgo mis à part – une ville-musée, comme le sont Florence ou Venise (ou Grenade). C’est une cité vivante, une cité qui réunit dix siècles d’histoire, leurs erreurs, leurs mauvais goûts, leurs innovations, leurs régressions.
En partant de la bibliothèque François Mitterrand et en allant jusqu’au Trocadéro (ou même, pourquoi pas ? jusqu’à la tour de TF1 à Boulogne), on vit la pulsation des siècles.
Un autre exemple ? « Comme tout le monde » je me suis hérissé des colonnes de Buren, au Palais Royal. Ce que je constate aujourd’hui, où je passe souvent, c’est que cette œuvre originale – qui a remplacé un poussiéreux parking du Conseil d’État – a attiré vers les subtiles galeries une foule qui ne serait jamais venue là auparavant.
L’adulation des formes artistiques du passé me semble être un signe de dégénérescence : j’ai beaucoup fréquenté Versailles, dans une de mes vies ; les conservateurs me disaient leurs difficultés à choisir des partis, lorsqu’on décidait de restaurer quoi que ce soit : fallait-il laisser la pièce dans son état Louis XIV ? dans son état Louis XV des débuts ? de la fin ? dans son état Louis XVI ? c’est que dans ces époques vigoureuses et jeunes d’esprit, on fichait impitoyablement à la poubelle, à chaque génération, les mobiliers et les décorations de l’époque antérieure. Aujourd’hui, nous révérons le moindre petit caillou ancien. Parce que nous sommes un peuple de vieillards, une civilisation épuisée.
Jusqu’au romantisme on a eu honte de Notre-Dame et on aurait voulu, si l’on avait pu, mettre à sa place un temple grec, comme la Madeleine… Tout cela est absurde…
Je ne dis pas que je ne préfère pas l’Institut de France à Beaubourg. En dirais-je autant si je vivais cent ans de plus ?
Pompidou l’homme qui promulgua la loi qui interdit à la banque de France, de prêter de l’argent à l’Etat, le début des dettes.