Par Noémie Halioua.
Cet article est paru dans FigaroVox hier lundi 28 novembre. Il est écrit par une jeune-femme d’esprit moderne, semble-t-il. D’esprit et d’écriture. Qui ne s’embarrasse pas à trier dans son vocabulaire et ne craint pas le parler cru, ou du moins qu’on aurait dit tel en d’autres temps et qu’on qualifierait peut-être de même, mais pour d’autres raisons, au nôtre où a ressurgi un néo-moralisme pire, à ce qu’il semble, que les précédents. Il y est surtout question de conquête, d’aventures, de désirs et autres humeurs naturelles plutôt émancipées et très individualistes. La conclusion de l’article, qui nous paraît le sauver des niaiseries selon la mode, est d’un autre ordre. D’un ordre pérenne qui fonde assez sûrement un certain optimisme. Celui par exemple d’Aristide Renou, personnalité pourtant plutôt encline au pessimisme. Et qui tient à la force de la Nature, à sa persistance, qui surplombe de très haut les caprices des individus, des modes, et des époques. Et Noémie Halioua de citer opportunément Schopenhauer confiant dans le « vouloir-vivre de l’espèce ». Inscrit dans nos gènes… Voilà qui devrait passer les fantaisies macabres de Sandrine Rousseau et lui survivre pour quelques siècles de siècles. Rendez-vous au prochain printemps ! Au retour de la sève.
HUMEUR – Contrairement aux affirmations de la députée Sandrine Rousseau, la plupart des femmes plébiscitent les hommes forts, conquérants et protecteurs, écrit la journaliste. Elle s’inquiète de la volonté de certaines militantes de gauche de dire aux femmes ce qu’elles doivent désirer.
« le vouloir-vivre de l’espèce »
Il est nécessaire de remettre l’église au centre du village, les pendules à l’heure, les points sur les «i». Redire les évidences, rappeler le réel, revenir aux fondamentaux que le terrorisme intellectuel tente de toutes ses forces d’occulter. Le ciel est bleu en été, la terre est ronde et la plupart des femmes ne veulent pas de l’homme «déconstruit» que la députée écologiste Sandrine Rousseau se réjouit d’avoir dans sa vie (et dont elle veut faire un modèle pour les autres). Ce spécimen non défini que l’on imagine doté d’un pénis mais dépourvu d’attributs masculins, neutre voire féminisé, castré symboliquement. La plupart ne fantasment pas sur cet homme à qui elles pourraient prêter leur jupe ou qui pleure des rivières devant un film à l’eau de rose, qui se maquille le matin et qui attend qu’on l’invite à dîner. Elles ne rêvent pas de cet être avec lequel on nous rebat les oreilles toute la sainte journée, androgyne en salopette et trottinette, «assumant sa part de féminité» dans une joyeuse exhibition. Il a beau être acclamé par une certaine élite toute excitée à l’idée d’abattre les frontières sexuelles, concrètement il n’attire pas grand monde. Les magazines de mode ont beau s’extasier du dos nu de Timothée Chalamet à la Mostra de Venise, ou applaudir le nouveau slip en dentelle masculin de la collection Tom Ford printemps-été 2023, symbole de l’avènement d’«une autre définition de la masculinité», ces apparats n’ont aucune chance de figurer sur la liste des cadeaux de Hanoucca du commun des mortels. À leur grand désarroi, la loi de l’attraction universelle demeure rétive à cette homogénéisation des genres et des sexes.
Le fait est que les boys band qui charment des hordes d’adolescentes à chaque concert, ceux qui font la couverture des magazines féminins ou qui obtiennent les rôles principaux dans les films ont peu en commun avec Conchita Wurst ou Bilal Hassani. Non qu’il soit malvenu de fantasmer sur Conchita Wurst ou Bilal Hassani, bien sûr, qui peuvent être fort sympathiques par ailleurs, mais disons qu’il est malhonnête de les ériger en modèle de séducteurs universels. En revanche chaque année, le magazine américain People dresse le podium des hommes les plus sexy de la planète : en 2021, c’est l’acteur Paul Rudd qui a été consacré succédant à Michael B. Jordan, George Clooney, Brad Pitt ou encore Idris Elba. Des apollons infiniment populaires auprès du public féminin, à l’aise dans leur pompe, pas «déconstruits» ni sensibles à la «fluidité du genre» pour un sou. À moins que le spectacle d’Elba en talon ou Clooney avec des faux-cils m’ait échappé, auquel cas il serait judicieux de le signaler en commentaire de ce billet.
Le fait est qu’indépendamment des discours militants agressifs, la plupart des femmes continuent de plébisciter les hommes forts et construits, conquérants et puissants, disons même protecteurs puisque nous n’avons pas peur des mots, dans lesquelles elles ne perçoivent pas instinctivement un violeur en puissance ou une altérité rivale qui justifie une déclaration de guerre. La majorité des femmes sait que la différence entre les sexes n’est pas un danger mais une promesse d’aventure, qu’elle n’est pas un tremplin vers l’inégalité mais une chance de rencontre. Allons même plus loin : pour la plupart des femmes, c’est précisément cette différence qui est jugée excitante, érogène, enthousiasmante, à l’image des interactions électromagnétiques qui poussent deux charges opposées à s’attirer fortement. La majorité des femmes sait parfaitement qu’il existe chez l’autre sexe des violeurs, des manipulateurs, des machos, des pervers, mais aussi des tendres, des généreux, des doux et qu’il n’est nullement justifié de vouloir les abattre tous en tant que tels, ou de les féminiser ce qui revient au même (qu’est-ce que féminiser un homme sinon tapisser le terrain pour en programmer la disparition ?).
Hier encore, cette affirmation n’aurait pas valu de gratter quelques lignes sur du papier électronique mais voilà qu’aujourd’hui elle est jugée rétrograde, ringarde, humiliante et a toutes des chances de provoquer des torrents d’insultes. Ce propos qui aurait été encore hier une banalité sans nom est devenu révolutionnaire, un acte de délinquance vis-à-vis de la pensée dominante. Un risque d’être pourchassé par une poignée de militantes agressives qui jugent la majorité des femmes endoctrinées, victimes du bourrage de crâne et de stéréotypes de genre dont, elles, se croient libérées. Nous ne serions pas à même de comprendre que nous désirons ce que la société nous a appris à désirer, en bref nous désirons mal, tandis qu’elles se croient du haut de leur infini mépris, libérées de toute idéologie. Animées par une gigantesque condescendance, elles se donnent pour objectif de redresser ces pauvrettes (donc nous), les rééduquer jusqu’à ce qu’elles comprennent ce qu’elles doivent désirer et aimer. Les femmes dans leur majorité ne plébiscitent pas l’homme déconstruit ? Alors il faut «faire changer les mentalités», rééduquer leur désir déviant, tordre ces aspirations primaires sous prétexte de les remettre à l’endroit. Faire de l’«homme déconstruit» de Sandrine Rousseau la bête sexuelle rêvée par toutes, en faire un symbole universel et l’imposer contre vents et marées. Un peu comme ces parents indignes qui enfoncent de force la cuillère de foie de morue dans la bouche de l’enfant qui n’en veut pas, en imaginant qu’ainsi le salopiot apprendra à l’apprécier, alors qu’il finit le plus souvent par la leur cracher au visage.
Les nouvelles inquisitrices veulent refonder les imaginaires et pour ce faire créent de nouveaux gadgets, de nouveaux mots, de nouvelles expressions. Par exemple en utilisant une définition extensive de la «masculinité toxique» ou de «sexisme bienveillant». Le premier vise à condamner la nature profonde de l’être à pénis en le criminalisant, c’est-à-dire lui nier son innocence pour bâtir ce spécimen artificiellement «déconstruit», idéologiquement et chimiquement «pur», conforme au système de valeurs jugées «irréprochables», lobotomisé, infiniment conditionné. Le second, à rejeter tout ce qui constitue l’asymétrie du rapport de séduction qui font fondre les femmes : la galanterie, l’instinct de protection, l’esprit de conquête. Le projet vise à domestiquer les foules, culpabiliser les hommes de ce qu’ils sont, les femmes de ce qu’elles désirent, en affirmant aux deux qu’ils ne font que reproduire des normes sociales intériorisées pour, in fine, rendre la rencontre caduque. Faire de l’autre un semblable, du pareil au même, pour toutes et tous, et ainsi signer joyeusement la fin de l’humanité. Hélas, les inquisitrices ont oublié l’ultime leçon des totalitarismes : c’est la recherche de pureté excessive qui fonde la toxicité de ces régimes.
Raison pour laquelle l’écrivain Pierre Cormary utilise, pour qualifier ces inquisitrices, le terme très à propos d’ «exciseuses», en référence à ces castratrices de sociétés traditionnelles qui coupent le clitoris des jeunes femmes avec un morceau de verre, pour les empêcher d’éprouver du plaisir et de jouir. Un procédé visant à mieux maîtriser ces jeunes femmes, les soumettre au désir des autres, en faire des purs objets qui ne seraient pas contrariés par leur désir à elles. Au nom d’une émancipation chimérique de la dualité sexuelle, les exciseuses occidentales ont pour finalité la culpabilisation de la chair, l’abolition des sexes, la liquidation du désir et le plaisir, la jouissance et l’amour, anarchistes par nature, qui admettent toujours une part d’asymétrie et de vulnérabilité, voire de chaos. La postmodernité veut en finir avec la sexualité et l’amour, accusés de tous les maux du monde, projet prométhéen perdu d’avance, puisque ces aspirations sont inscrites dans nos gènes, définissent l’ADN de l’humanité déterminée par « le vouloir-vivre de l’espèce », selon les mots d’Arthur Schopenhauer. ■
Noémie Halioua est rédactrice en chef et correspondante à Paris pour la chaîne I24 News. Elle a coécrit Le Nouvel Antisémitisme en France (éd. Albin Michel, 2018), écrit L’affaire Sarah Halimi (éd. du Cerf, 2018) et vient de publier Les uns contre les autres – Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé (éd. du Cerf).