Ce n’est un mystère pour personne, Michel Houellebecq est un admirateur d’Auguste Comte, qu’il convoque sans surprise dans son entretien avec Michel Onfray. Mais récemment, c’est à Charles Maurras, disciple du fondateur du positivisme qu’il s’est intéressé, en allant à la rencontre des royalistes de l’Action française, le 1er juillet dernier à Paris. Comte, Maurras, Houellebecq : y a-t-il une filiation possible ? Nous avons demandé à un spécialiste de la pensée de Charles Maurras, Stéphane Blanchonnet, agrégé de lettres modernes et auteur en 2017 du Petit Dictionnaire maurrassien (éd. Nouvelle Marge), de se pencher sur cette question.
Un récent ouvrage de critique littéraire, d’ailleurs assez intéressant, Le Style réactionnaire de Vincent Berthelier (éd. Amsterdam, 2022), a pour sous-titre « De Maurras à Houellebecq ». Cette réunion des noms de Maurras et de Houellebecq peut surprendre et d’ailleurs, elle n’est pas très logique dans ce livre. En effet, l’auteur, qui veut parler spécifiquement du style des écrivains réactionnaires, finit pourtant par classer Houellebecq dans cette catégorie en raison… de ses opinions et des thèmes qu’il aborde ! Sur le plan du style, il est en effet assez difficile de rapprocher le poète néoclassique, que Berthelier qualifie un peu hâtivement de « puriste », et le romancier de la post-modernité, encore que ce soit sans doute possible, mais ce serait la matière d’un tout autre article ! Il y a en revanche un rapprochement net et évident à faire entre Maurras et Houellebecq : leur qualité de disciples d’Auguste Comte, notamment en ce qui concerne le rapport au catholicisme. C’est ce rapprochement que nous nous proposons d’aborder ici, et nous l’élargirons à une comparaison entre les trois écrivains, les deux disciples et leur maître, Auguste Comte.
Comte, Maurras et Houellebecq ont d’abord en commun de voir le jour à des époques de grande césure dans l’histoire de France. On n’exagère pas en disant que chacun d’eux naît presque providentiellement au moment où le pays est plongé dans l’une des trois étapes fondamentales de son déclin, qu’ils se donneront justement pour mission de décrire et, dans des mesures assez différentes, de critiquer, dans leurs œuvres.
1868, une France déjà affaiblie
Comte naît en 1798, au moment où la France est au sommet de la puissance et du prestige qu’elle a acquis depuis Richelieu, puis Louis XIV, à tous les niveaux : démographique, politique, militaire, linguistique, littéraire, artistique, scientifique. Littéralement, elle règne sur le monde, pour paraphraser Joachim du Bellay, par sa langue, ses arts, ses armes et ses lois. La Révolution et l’Empire vont consommer en un ultime déchaînement d’énergie et de gloire tout ce capital accumulé depuis des siècles par la royauté capétienne, l’Église et le génie du peuple français – le premier peuple moderne à avoir eu la claire conscience, sans doute depuis la fin du Moyen Âge, de former une nation.
Maurras, lui, naît en 1868, deux ans avant la guerre franco-prussienne de 1870, qui verra une France, déjà considérablement affaiblie depuis 1815, se faire battre par une Allemagne qui lui ravira sa suprématie continentale, comme l´Angleterre lui avait déjà ravi la maîtrise des mers. Elle sera en outre amputée de ses provinces de l’Est, que l’Ancien Régime avait si durement arrachées au monde germanique. Enfin, elle connaîtra la guerre civile avec l’épisode de la Commune et un début de crise démographique qui conduira à une première forme de recours à l’immigration.
1956, l’année du désenchantement
Michel Houellebecq, enfin, naît en 1956, en pleine décolonisation, processus entraînant la disparition de ce motif de fierté que pouvaient représenter, à tort ou à raison, pour les Français ces immenses taches roses sur les atlas géographiques figurant leur immense empire ultramarin (même s’il était composé en grande partie des sables du Sahara, à la différence du très rentable Empire britannique), mais aussi aux prémices des quatre phénomènes qui allaient entraîner la rupture peut-être la plus profonde dans l’être français puisqu’il ne s’agissait plus seulement de déclin de sa puissance, mais de transformation de sa substance elle-même : la fin des terroirs (et donc de l’enracinement régional), la disparition presque totale de la pratique religieuse catholique (encore majoritaire au début du XXe siècle et qui donnait au pays son armature morale), l’américanisation (ou la mondialisation désormais) des mœurs, de la culture et de l’imaginaire, l’immigration de masse, enfin, et le morcellement qui en résulte – la culture française devenant elle-même un « îlot » parmi d’autres, et de moins en moins majoritaire, dans « l’archipel » hexagonal. C’est dans cette France amenuisée, désenchantée et dévitalisée qu’évoluent les personnages de Houellebecq.
Autre point commun important chez nos auteurs : tous ont perdu la foi chrétienne mais sont restés attachés à certains aspects du catholicisme. Comte affirme dans son testament : « Je me suis toujours félicité d’être né dans le catholicisme, hors duquel ma mission aurait difficilement surgi […] Mais, depuis l’âge de 13 ans, je suis spontanément dégagé de toutes les croyances surnaturelles, sans excepter les plus fondamentales et les plus universelles, d’où les Occidentaux tirèrent tous les dogmes catholiques1. » C’est presque au même âge (à 14 ans) que Maurras, en révolte contre la surdité qui vient de le frapper, mais aussi contre la lecture de Pascal, perd lui aussi la foi. Il est intéressant de noter ce qu’il en dit, bien des décennies plus tard, dans une lettre : « J’étais infirme, soit ! Mais cette vie, je l’aimais, j’aimais la santé et la force. Surdité à part, ma résistance physique, sous des aspects assez modestes et même médiocres, est au-dessus de la moyenne, qu’il s’agisse de marcher, de nager, de veiller dans mon bon temps. […] Pascal est le spectre de la maladie. Cette incompatibilité personnelle ne prouve certes rien contre son magnifique génie. Cela peut expliquer qu’il ne m’ait pas été bienfaisant, quelque admiration que m’ait toujours inspirée sa langue, sa poésie, et, de-ci de-là, sa logique2. » On le comprend, Maurras butte contre le dolorisme chrétien qui enseigne d’accepter les « croix », les épreuves, qui jalonnent nos existences pour mieux s’unir aux souffrances du Rédempteur sur sa propre Croix, dolorisme qui lui paraît en contradiction avec le catholicisme traditionnel, communautaire, joyeux, solaire (d’aucuns diraient « païen ») de son enfance provençale. Houellebecq enfin, dans un livre d’entretien avec Bernard-Henri Lévy, confie avoir fréquenté l’Église dans ses années de lycéen et d’étudiant, au point d’avoir suivi, avant de l’abandonner, une préparation au baptême pour adulte. Il en tire cette conclusion : « Un monde sans Dieu, sans spiritualité, sans rien, a de quoi faire terriblement flipper. Parce que croire en Dieu, tout bonnement, comme le faisaient nos ancêtres, rentrer dans le sein de la religion maternelle présente des avantages, et ne présente même que des avantages. […] Seulement voilà, le problème c’est que Dieu, je n’y crois toujours pas3. »
Des bases profanes
Dernier point commun : pour des raisons différentes, nos trois auteurs vont sentir la nécessité de retisser un lien avec la religion catholique, mais sur des bases profanes. Pour Comte, il s’agit du cœur de sa philosophie. Il constate que l’âge métaphysique (la modernité) a mis fin à un âge théologique, qui reposait certes sur des croyances à ses yeux irrationnelles, mais qui possédait une cohérence, une dimension organique, hiérarchique, propre à animer (au sens étymologique de « donner une âme »), à faire vivre, une civilisation. La modernité – la Révolution française en particulier – lui apparaît donc comme un moment exclusivement critique, négatif, dissolvant, dont il se donnera pour mission d’arrêter le cours anarchique pour bâtir un nouvel âge organique permettant de concilier Ordre et Progrès : l’âge positif. Et Comte s’inspirera très explicitement du catholicisme pour créer sa nouvelle religion positive, destinée au salut, par la science, de l’humanité tout entière.
Maurras, qui n’a cessé de se proclamer le disciple de Comte, propose sa propre synthèse, apparemment plus modeste. Il ne s’agit plus de sauver l’humanité entière, mais la France (et à travers elle, la civilisation gréco-latine) en s’appuyant sur le catholicisme comme « Temple des définitions du devoir » et comme tradition vivante. À ses yeux d’agnostique, comme à ceux de son maître Auguste Comte, la vérité du dogme chrétien n’est plus intelligible, mais il considère que par sa force, encore immense dans la France de la Belle Époque – la France à laquelle il s’adresse– l’Église doit être défendue comme un élément incontournable de l’identité nationale et le canal à travers lequel nous accédons à la culture antique. Dans un texte fondamental qu’il a consacré à Comte, Maurras tient d’ailleurs à préciser que sa réduction du « Grand-Être » (l’humanité) à la civilisation gréco-latine (qui est, à ses yeux, LA civilisation), n’est pas hérétique d’un point de vue positiviste : « Comme le fait très justement remarquer l’un des meilleurs disciples de Comte, M. Antoine Baumann, humanité ne veut aucunement dire ici l’ensemble des hommes répandus de notre vivant sur cette planète, ni le simple total des vivants et des morts. C’est seulement l’ensemble des hommes qui ont coopéré au grand ouvrage humain, ceux qui se prolongent en nous, que nous continuons, ceux dont nous sommes les débiteurs véritables4. »
Michel Houellebecq, lui aussi disciple revendiqué de Comte, parle, nous l’avons vu plus haut, de la foi de « nos ancêtres » avec une évidente nostalgie. Toutefois, contrairement à Maurras, qui s’adressait aux Français de 1900, il fait le constat que cette nostalgie n’est plus partagée un siècle plus tard que par une petite minorité, même s’il a exprimé sa sympathie pour cette minorité en affirmant avoir été impressionné par l’engagement de la jeunesse catholique lors des manifestations contre la loi Taubira en 20135. L’une des expressions les plus belles et les plus caractéristiques du regard porté par le romancier sur l’ancienne France se trouve dans ce passage d’Extension du domaine de la lutte consacré à la Vendée : « À l’extrémité de la plage des Sables-d’Olonne, dans le prolongement de la jetée qui ferme le port, il y a quelques vieilles maisons et une église romane. Rien de bien spectaculaire : ce sont des constructions en pierres robustes, grossières, faites pour résister aux tempêtes, et qui résistent aux tempêtes, depuis des centaines d’années. On imagine très bien l’ancienne vie des pêcheurs sablais, avec les messes du dimanche dans la petite église, la communion des fidèles, quand le vent souffle au-dehors et que l’océan s’écrase contre les rochers de la côte. C’était une vie sans distractions et sans histoires, dominée par un labeur difficile et dangereux. Une vie simple et rustique, avec beaucoup de noblesse. Une vie assez stupide, également. Je me suis ensuite dirigé vers une résidence plus récente et plus luxueuse, située cette fois tout près de la mer, vraiment à quelques mètres. […] Un sentiment déplaisant a cette fois commencé de m’envahir. Imaginer une famille de vacanciers rentrant dans leur Résidence des Boucaniers avant d’aller bouffer leur escalope sauce pirate et que leur plus jeune fille aille se faire sauter dans une boîte du style “Au vieux cap-hornier”, ça devenait un peu agaçant ; mais je n’y pouvais rien6. » Là où Comte prétendait réorganiser une religion pour l’humanité sur le modèle catholique, mais dont les dogmes seraient désormais scientifiques, là où Maurras voulait s’appuyer sur un catholicisme encore vigoureux, en tant que force sociale, pour enrayer le déclin de la civilisation, Houellebecq ne peut que constater le caractère inéluctable de ce déclin et le regretter, tout en marquant par l’adjectif « stupide », aux connotations péjoratives évidentes, mais qui signifie étymologiquement « immobile », ce qui le sépare de cette époque pour lui définitivement révolue.
Pour conclure cette rapide comparaison de nos trois auteurs, nous pouvons essayer de nous résumer en les associant par paires. Incontestablement, Maurras et Houellebecq se ressemblent et se distinguent de Comte en tant qu’ils sont les disciples et lui le maître, l’inspirateur. Mais Comte et Houellebecq se ressemblent et se distinguent de Maurras, par un intérêt plus marqué pour la science – le thème du clonage et du transhumain hante le disciple d’Aldous Huxley qu’est aussi Houellebecq. Enfin, Comte et Maurras se ressemblent et se distinguent de Houellebecq par un plus grand optimisme : ils prétendent relever le défi de la modernité et instaurer (pour Comte) ou restaurer (pour Maurras) un ordre viable là où Houellebecq paraît plutôt faire le constat froid et clinique d’un nihilisme triomphant et hélas inéluctable – « mais je n’y pouvais rien ». ■
Notes
1 Testament d’Auguste Comte, 1884, p. 9, disponible sur le site Gallica de la BNF.
2 Lettre de Maurras à Leon S. Roudiez, citée par Stéphane Giocanti dans Maurras, le chaos et l’ordre, éd. Flammarion, 2006.
3 Houellebecq Michel & Lévy Bernard-Henri, Ennemis publics, coéd. Flammarion-Grasset, 2008.
4 Maurras Charles, Auguste Comte, 1903, disponible sur www.maurras.net.
5 Entretien avec Marin de Viry et Valérie Toronian, repris dans Interventions, éd. Flammarion, 2020.
À lire aussi 2 grands textes de Maurras parus dans JSF…
Maurrassisme et Catholicisme. Grand Texte ∗∗∗
Tout à fait clair et intéressant. Bravo Stéphane !
Il faut s’en tenir radicalement au «clivage droite-gauche», autrement, chatte, nous n’y retrouverions pas nos petits –, il y a lieu de saisir comment la gauche révolutionnaire et républicaine est passée à la pseudo-droite libérale-libertaire dont les Maqueron d’entre-deux-eaux et Houellebecque «chelou» fournissent les plus impeccables caricatures. Les «penseurs» d’une gauche déclarée rectificatrice avancent, comme Jean-Claude Michéa le dit quelque part, que «la gauche est devenue identique à la droite», et c’est ce que semble plus ou moins dire Michel Onfray… C’est un contre-sens absolu, c’est-à-dire une «traduction» idéologique inversée de ce que révèle la première observation : la réalité politique nous montre au premier coup d’œil que tout ce qui, dans les temps modernes, s’imagine «de droite» vient exclusivement de la gauche… Seulement, il y a une méprise originelle que personne ne veut plus voir : on oublie tout bonnement ce qu’est la droite réelle : les royalistes «purs et durs». Par la suite, les idéologies socio-politiques ont navigué plus ou moins lestement entre les deux eaux de la révolution : la petite bourgeoise progressiste et la vieille-populaire. Le petit-bourgeois revendicatif, originellement de gauche, passe «progressivement» (c’est le cas de le dire) à ce qu’il croit être la «droite», mesurée à la seule aune de «l’ascenseur socialo-universitaire» – selon les étages auxquels on accède, la propulsion vers une «droite» imaginaire est câlinée ; ainsi de ces «nouveaux riches» intellectuels que sont les gauchos-réactionnaires. Cependant, comme la «morale» n’a pas varié ses fumets d’un iota, un beau jour d’aujourd’hui, «bourrée de complexes», comme dit la rigolote chanson de Boris Vian, la pseudo-droite «a changé d’sexe / Tout est arrangé» – quoique Vian n’eût pas ce dont je parle en ligne de mire, je dois le préciser. En fait, on cherche à semer la confusion en concoctant des bouillons moralisants alors que c’est tout autre chose qui doit structurer une pensée «sociale». Auguste Comte tâche de bâtir sur les ruines à venir de la chrétienté, une parodie religieuse («la religion de l’Humanité»), basée sur tout ce que Nietzsche condamne comme «religion d’esclaves». À l’aide d’une pseudo-«métaphysique», Comte se figure la stricte physique scientiste comme le moteur de ce qui, par définition lexicale, se situe justement AU-DELÀ de ce dont il parle – je fais allusion à ses fameux «trois états» successifs qu’aurait selon lui traversé sa fumeuse «humanité» au cours de son évolution, états qu’il appelle respectivement «théologique», «métaphysique» et «positif». Le troisième état étant capable de battre en brèche les fausses attributions des phénomènes, dans la première phase, à des agents surnaturels, dans la deuxième, à des forces naturelles. Ce troisième «état» renonce à la recherche des causes pour s’intéresser à celle des «lois», d’où la connaissance «positive» que cela implique et la mesure exclusivement sociale accordée à cette «humanité», car, pour Comte, l’Homme ne compte (si j’ose le calembour) que par ses facultés grégaires, d’où l’idée d’une «physique sociale», à savoir, la sociologie… Je ne sais pas au juste jusqu’à quel point la «Religion de l’humanité» d’Auguste Comte a pu marquer le courant sociologique (Michel Michel pourrait nous l’apprendre), mais il apparaît que cela a malheureusement inspiré Maurras… Cependant et en réalité, Maurras n’a finalement pas rompu avec la véritable intelligence. Il emprunte à Comte l’idée de «lois», certes, mais, dans son empirisme organisateur, il cantonne celles-ci à l’analyse de l’Histoire, non à un «destin» de l’Humanité. Or, si je ne me trompe pas quant à cette différence, cela éloigne fondamentalement Maurras de toute superstition de la science. Autrement dit, quoique Maurras eût été influencé par le système d’Auguste Comte, il s’en est tenu au «système» lui-même, et à ce qu’il pouvait présenter de pratique dans l’exercice social ; seulement, et c’est capital, Maurras s’en tenait à la royauté telle que l’Histoire lui avait enseigné qu’elle est, jamais il n’alla inventer une «royauté de l’Humanité» qu’il aurait parfaitement pu décliner de la parodie religieuse d’Auguste Comte.
L’erreur essentielle tient donc à la place que l’on accorde à l’ordre social ; pour une «droite» traditionnelle vérifiée, le social dépend d’un ordre qui lui est hiérarchiquement supérieur, dont une part extrêmement importante relève de la vertu de Charité, vertu qui est le nœud que toutes les confusions ont cherché à trancher pour en falsifier les ressorts, disons, «théologiques», c’est-à-dire «qui a Dieu pour objet» et non l’«humanité», quoique elle œuvre à la bien guider.
Quant à Houellebecque, qu’il eût ou non solidifié sa mollesse de tempérament au positivisme, ce ne semble pas avoir beaucoup changé ses complexes eu égard aux filles de bourgeois dont on se demande bien pourquoi il les veut tellement condamnées à «aller se faire sauter». Est-ce «positif» que cela ? Ce dont je suis sûr, c’est que c’est ignoblement bête de porter sa pensée à telle vulgarité mentale. On m’excusera de n’avoir que mépris pour ce genre darwino-simiesque.
« attributions des phénomènes, dans la première phase [de la loi des trois états], à des agents surnaturels, dans la deuxième, à des forces naturelles »
Non, le deuxième état correspond au remplacement des agents surnaturels par des entités abstraites : les dieux sont remplacés par des mots sans véritables référents. Voir http://rendrecomte.blogspot.com/2017/07/la-loi-des-trois-etats-bientot.html
« la mesure exclusivement sociale accordée à cette «humanité», car, pour Comte, l’Homme ne compte […] que par ses facultés grégaires »
C’est négliger la septième science de la morale conçue par Comte dans la Politique positive et qui est une science de l’individu… et le véritable fondement de sa religion. Voir http://confucius.chez.com/clotilde/articles/psychoac.xml.
…Et Comte n’était pas un homme particulièrement grégaire !
La toute récente réédition chez Hermann de la Politique positive (jamais rééditée depuis 1929 !) devrait vous permettre de réviser vos préjugés. Voir https://www.editions-hermann.fr/livre/systeme-de-politique-positive-tome-ii-auguste-comte
« Les ennemis de mes ennemis sont mes amis »
Le génie politique de Maurras fut d’abord stratégique. Il a su amalgamer au traditionalisme théocentrique des contre-révolutionnaires, tous les courants susceptibles d’appuyer les coups de boutoirs qu’il portait à la République : Félibres et provincialistes, positivistes, anarcho-syndicalistes, catholiques gallicans et ultramontains….
En analyse idéologique, tu as probablement raison, cher David Gattegno, mais l’Action Française ne prétend pas à une unique doctrine métaphysique, ou comme on dit métapolitique, elle vise à changer le Régime en France et pour cela elle attaque les idéologies susceptibles de légitimer ce Régime. C’est le « compromis nationaliste ».
Bravo, Michel, je souscris à ce que tu as écrit à la virgule près.
Intéressante discusssion, non passionnante, qui va au coeur du problème, merci Michel Michel , David , et bien sûr Stéphane Blanchonnet. « A nous deux » disait Bernanos sur son lit de mort, oui sans y être déjà à nous deux , et devinez qui est l’autre.
Difficile de savoir s’il y a lieu d’entamer une discussion avec Emmanuel Lazinier sur le site de JSF… D’évidence, Emmanuel Lazinier s’est passionné pour la pensée de Comte, ce qui «problématise» le débat dans la mesure où l’un des partis à la discussion éventuelle est «individuellement» touché ou «impliqué». Le non spécialiste de Comte que je suis est par ailleurs fatalement frappé au coin du «préjugé» (en l’occurrence défavorable), pour cette raison que, m’étant rapidement convaincu de ce qui «ne m’intéressait pas» là-dedans, je n’ai évidemment pas investigué plus avant, préférant explorer ailleurs ; tout comme Emmanuel Lazinier s’est un beau jour découvert des affinités avec Comte et a, symétriquement, négligé ce dans quoi d’autres que lui ont pu engager leur réflexion. Résumer tout cela aux préjugés des uns et des autres ne serait pas élégant intellectuellement, quoique, à y regarder de près, nous soyons lui et moi évidemment victime de nos fatals préjugés respectifs.
J’espère avoir été à peu près compréhensible sur ce que je tiens pour constituer les prémices d’un débat éventuel…
Cependant, il y a des débats qui n’apporteront rien à personne, ni aux protagonistes ni aux spectateurs. Se focaliser sur Auguste Comte, ici, n’apportera rien à personne. En effet, si je me suis permis d’effleurer la question de celui-ci c’est seulement et exclusivement pour dire deux mots de Charles Maurras dans le cadre des «comparaisons» établies entre celui-ci, Houellebecque et Auguste Comte. Cependant, soyons-en bien sûr, je n’ai trop rien à dire au préjudice de Comte ni en sa faveur : il ne m’intéresse tout simplement pas et le Houellebecque encore moins. Aucuns d’eux ne me retient comme quelconque sujet de conversation. Je situe la conversation sur un autre plan que le leur, par exemple, sur le plan de Maurras ou sur celui du «social»… Du reste et entre parenthèses, Emmanuel Lazinier répond un tant soit peu à la question que je me posais relativement à l’impact de Comte sur la science sociologique : il semble avoir été marquant.
Pour terminer sur les éventuels quiproquos, lorsque je dis «naturel», Emmanuel Lazinier préfère «idées abstraites», mais c’est la même chose que lui et moi visons, seulement, comme je ne suis pas familier du vocabulaire comtiste, je commets probablement une bévue lexicale, néanmoins je n’évoque rien d’autre que cela. Une fois de plus, mon sujet n’est pas Auguste Comte, c’est pourquoi il ne faut pas l’y réduire.
Peut-être réussirions-nous mieux à nous comprendre, Emmanuel Lazinier et moi, si nous parlions de Confucius, puisque un des liens zinternetiques auxquels il renvoie porte ce nom dans sa composition d’adresse… Sauf qu’il pourrait arriver que nous opposions sur la HIÉRARCHIE entre l’immense «sociologue» avant «la lettre» que fut le fondamental LETTRÉ chinois et le prodige de «vacuité» qu’a été Lao Tseu… Les deux «écoles» étaient «complémentaires», non adversaires et, dans la hiérarchie des choses, le spirituel l’emporte sur le temporel ; cela n’enlève rien à Confucius, tout au contraire : le contraindre à avoir représenté une «préfiguration du communisme» (comme d’aucuns se sont complus à présenter sa «philosophie» EFFICACE) est assurément le placer bien plus bas qu’il n’était, puisqu’il faut situer sa doctrine exactement en-dessous de la doctrine suprême, ce qui me semble être une situation autrement «honorable» que celle juste au-dessus de ce qu’il y a de plus abaissé.
Bon, j’ai encore été trop long, j’espère ne pas avoir, une fois de plus, lassé. Mais, au fond, rien n’oblige quiconque à s’assommer à la lecture de ce que nul ne lui impose.
Meilleures salutations à Emmanuel Lazinier et, peut-être, au plaisir d’échanger des points de vue différents, car, probablement, observons-nous, chacun, quelques mêmes choses, sur lesquelles il se pourrait que nous nous rencontrions…
Autant le dire d’emblée, c’est parce que dans ma jeunesse je me suis, sinon passionné pour, en tout cas fortement intéressé à Maurras que j’ai suivi les pistes qu’il me signalait vers de supposés « maîtres de la contre-révolution » — dont Comte, que je n’aurais probablement jamais découvert sans ce coup de pouce que je ne puis que bénir.
Combien de disciples avérés de Maurras ont suivi cette piste est une question à laquelle on ne peut répondre, étonnamment quand même, que zéro ! — si l’on excepte l’honnête Léon de Montesquiou qui agissait, il est vrai, en service commandé par Maurras…
Il y a dans ce phénomène, on dirait bien, un aveu inconscient du caractère douteux de la filiation philosophique Comte-Maurras…
A ce sujet je recommanderais un petit test aujourd’hui facile à effectuer : confronter le fameux article « Auguste Comte » de 1903 à ses rééditions :
« Dieu ou rien, quelle alternative proposée aux esprits tentés de douter !
Quelques-uns qui l’acceptent choisissent nettement le rien. Plutôt que d’admettre une organisation à laquelle leur esprit se refuse, ils se résignent à la déchéance fatale de leur personne ». — https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63180p/f193.image.
« [Comte] n’avait pas concédé pour cela aux idées d’examen, de liberté ou d’égalité […] les qualités de l’Être divin ni du Souverain absolu. Ces idées […] n’ont pas de valeur propre : elles ne peuvent, à proprement parler, dominer ; elles sont condamnées à mort.
[…] la plus émouvante de ses formules (on ne peut la lire sans larmes), l’immense question de l’ordre » — https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63180p/f195.image
Dans les éditions suivantes, la « déchéance fatale de leur personne » devient la « déchéance des institutions et des mœurs », et la « liberté » et les « larmes » ont disparu !!!
Deux conclusions intéressantes :
1. Quand Comte écrit l’article initial il ignore encore que Comte prônait, en vertu du principe de séparation du temporel et du spirituel, une totale « liberté spirituelle ». Par la suite il s’en rend compte par lui-même, ou bien en est informé par autrui : il expurge donc, que ce soit par honnêteté ou pour effacer une preuve d’ignorance des doctrines de son « maître »…
2. Les « larmes » et la « déchéance » permettent de faire l’hypothèse suivante : on sait que la perte de la foi en Dieu a provoqué chez Maurras une gravissime crise psychologique — au point qu’il ait très bien pu s’imaginer voué ipso facto à la « déchéance ». On peut bien imaginer qu’une rencontre avec des textes de Comte, ou plus simplement des discussions avec des disciples (Laffitte, félibre comme lui ?), ait été pour lui d’un très grand soutien psychologique. D’où les larmes, etc.
PS. A voir ce qui s’écrivait dans l’Action Française de 1901, on constate qu’on y est à des années-lumière de Comte, l’antiraciste par excellence : http://archive.org/details/lactionfranaise01frangoog?view=theater#page/n988
« Quand Comte écrit l’article initial »
Lire « Quand Maurras… », bien sûr
@ Emmanuel Lazinier
Il nous reste à vous remercier de vos intéressantes communications… et à y réfléchir pour d’éventuels futurs échanges.
Stéphane Blanchonnet a abordé un thème essentiel pour le croyant ; tout ne se réduit pas au pari de Pascal : croire en Dieu ou ne pas y croire.
Entre les deux, dans la chute au nihilisme, il peut y avoir des bouées de sauvetage. La découverte d’un ordre est déjà un miracle, même si l’on ignore tout de l’ordonnateur.
De même, il faut que le croyant s’exerce à comprendre cette attitude de reconnaissance en raison positive des bienfait temporels de l’Eglise. C’est le chemin provisoire donné aux « chrétiens identitaires » pour retrouver la Foi.
Auguste Comte doit probablement aux contrerévolutionnaires et en tout cas à Joseph de Maistre envers qui il reconnaît sa dette, son mépris pour les abstractions « métaphysiques » de « l’interrègne » commencé depuis la Révolution et qui malheureusement se poursuit encore dans les « valeurs » de la République (depuis les résistances des pays de l’Est, on dira plutôt les « valeurs » de l’Europe.
Sans doute, pour s’opposer pleinement Auguste Comte la mauvaise « métaphysique » démocratique, faut-il recourir à de vrais métaphysiciens ; c’est ce qui peut expliquer qu’on ne parviendra jamais à « l’âge positif ». Pourtant à l’époque de Comte, les sciences accédaient à la connaissance d’un certain ordre du monde alors que le domaine anthropologique, particulièrement la connaissance des sociétés, était laissé aux « grands principes » des « philosophes des Lumières ».
Le grand mérite de Comte fut d’affirmer qu’on pouvait trouver des « lois » analogues à celles des sciences physiques, par l’étude « positive » des sociétés humaine. C’est en cela qu’il fut, non seulement l’inventeur du mot, mais un des fondateurs de la « sociologie ».
C’est vrai que un « scientisme » réducteur fut aussi l’héritage de Comte, qu’il crut au mythe du Progrès où les utopiques omelettes futures exigent de casser des œufs au présent (mais il fut loin d’être le seul dans sa génération où de nombreux légitimistes traditionnalistes devinrent furieusement progressistes comme Hugo ou Lamennais).
Mais ce n’est pas une raison pour ne pas être reconnaissant pour un des premiers parmi les non-croyants, avant Taine, Renan, et Maurras, manifesta son scepticisme envers la religion républicaine.
Encore une fois, reconnaître l’ordre de la création relève du miracle, même si l’on n’est pas encore parvenu à rencontrer le Créateur qui ordonne.