Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
En visite d’État à Washington, M. Macron a commencé par qualifier de « super agressive » la politique américaine de soutien aux entreprises nationales définie dans l’Inflation Réduction Act (près de 400 milliards de dollars d’aides à la réindustrialisation et à la transition écologique), surtout susceptible à ses yeux d’attirer outre-Atlantique les fleurons de l’industrie française (et européenne). Agressive, aurait-on pu lui répondre, mais d’abord envers les adeptes forcenés d’un libre-échange mortifère pour leurs propres économies, idiots utiles de la mondialisation et victimes désignées de toute bonne realpolitik.
Sait-on par exemple que l’acheteur d’un véhicule électrique perçoit aux États-Unis une subvention de 7 500 $ si, et seulement si, ce véhicule, essentiellement la batterie, est fabriqué aux États-Unis. En France, c’est 6 à 7 000 €, quelle que soit l’origine du véhicule. La prime américaine facilite une politique de réindustrialisation destinée à contrecarrer la montée en puissance de la Chine. La prime française favorise la Chine.
En tout cas, M. Macron a vite changé de ton. S’il pensait pouvoir convaincre M. Biden de renoncer à des mesures protectionnistes très populaires, c’est un échec, même si ce dernier s’est dit « désolé ». On peut donc espérer que ce séjour aux États-Unis aura enfin ouvert les yeux de notre président : tel Candide, que chaque nouvelle découverte contribue à déniaiser un peu plus, il doit bien admettre que les grandes puissances, pour rester grandes ou le redevenir, protègent donc leur marché intérieur. L’économiste Thomas Piketty rappelait ainsi sur France Inter (7/9.30, vendredi 2), face au très libéral Dominique Seux en l’occurrence muet, que ce n’est pas le libre-échange mais bien le protectionnisme qui crée la puissance économique. Et de donner en exemple le Royaume-Uni qui, avant de dominer le reste de la planète, protégea d’abord férocement son industrie textile aux dix-huitième et dix-neuvième siècles.
La France souhaiterait, paraît-il, l’adoption d’une loi européenne comparable au Buy American Act, cette loi fédérale entrée en vigueur dès1933. Certains pensent même qu’en fait M. Macron cherchait l’aval indirect de M. Biden pour que des mesures identiques aux siennes soient prises de ce côté-ci de l’Atlantique sans que cela dégénère en conflit commercial ouvert. C’est subtil. Mais là où les choses se compliquent, c’est que M. Macron, s’il parle avec quelque légitimité au nom de la France, n’est mandaté par personne pour parler au nom des autres pays de l’Union. Or, l’Allemagne renâcle, et avec elle la Suède, les Pays-Bas, d’autres encore et, bien entendu, la Commission européenne – tout ce beau monde restant plutôt fidèle à ses « valeurs » libre-échangistes.
Que se passera-t-il si l’U.E., si réticente, voire hostile par principe à toute forme de protectionnisme ou de souverainisme ne donne pas suite ? Si l’U.E. se refuse à envisager des mesures relevant d’un « protectionnisme intelligent » comme on aime à le dire du côté de Paris, faudra-t-il donc que la France abdique aussi et encore et jusqu’à quand ?
Le seul point positif de ce déplacement aux États-Unis est d’ordre lexical. Deux mots sont revenus dans la bouche ou sous la plume des analystes et commentateurs. Deux termes longtemps maudits et bannis par la la pensée unique se trouvent de fait réhabilités, voire confortés, et ce au grand dam de la plupart des journalistes français, obligés de les employer bien malgré eux avec une connotation plutôt positive : protectionnisme, c’est-à-dire « politique douanière qui vise à protéger l’économie nationale contre la concurrence étrangère » et souverainisme, c’est-à-dire « préservation de la souveraineté nationale par rapport à des instances supranationales ».
Si on ne se protège pas, si on n’est pas souverain, on peut être sûr d’avoir à subir la raison du plus fort, qui sera alors forcément la meilleure. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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