Par Aristide Renou.
Il ne se passe pas une semaine sans que je voie passer, dans mon fil d’actualité, une citation attribuée à Shakespeare. Que dis-je, une citation ? Au moins une citation et souvent bien plus d’une.
Et à chaque fois mes yeux saignent, mon cœur sombre, je me prends la tête entre les mains et je hulule à tue-tête quelque chose comme « NOOOOOONNNNN ! », ou bien encore « ROOOGNNTUDJUUUU ! ».
Ce qui finit par me valoir l’inimitié de mes voisins du dessus et du dessous (à côté y a personne).
Comprenez-moi bien : j’aime les citations autant qu’aucun autre. Plus même sans doute que beaucoup d’autres et je ne me prive pas d’en user et d’en abuser. Et SURTOUT sans mentionner l’auteur de la citation, car je sais que ça en fait bisquer certains (et certaines…) et je sais que les autres auront beaucoup plus de plaisir à trouver l’auteur par eux-mêmes que si je leur donnais la solution. Oui, je suis bon.
Mais revenons à William.
Pourquoi les citations attribuées au Barde Immortel me font elles grincer des dents assez fort pour faire sauter mes plombages ?
D’abord parce que, à l’évidence, la plupart sont controuvées. Je ne peux pas l’affirmer catégoriquement, car je ne connais pas par cœur chacune des lignes de chacune des 39 pièces qui nous sont parvenues (je vous fait grâce des sonnets). Mais lorsqu’une phrase soi-disant de Shakespeare pourrait avoir été écrite par Paolo Coelho ou Guillaume Musso, lorsqu’elle nous livre une sagesse de biscuit chinois ou de livre de développement personnel, je suis moralement (presque) certain que l’auteur ne doit pas en être Shakespeare, mais plutôt Paulo Coelho ou Guillaume Musso. Ou alors éventuellement Bruno Le Maire.
Mais ensuite, mais surtout, parce qu’il n’existe PAS de citation DE SHAKESPEARE ! Ohé, les gens, dois-je vous rappeler que le plus grand auteur de tous les temps écrivait des pièces de théâtre ? Ce qui signifie, par conséquent, que Shakespeare ne s’exprime JAMAIS en son nom propre. En fait, à part son testament, nous ne possédons aucun document où Shakespeare s’exprime en son nom propre (je vous fais grâce des sonnets, car on ne sait pas qui y parle. Pas plus qu’on ne sait qui dit « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » dans le livre de la Genèse).
Toutes les citations attribuées à Shakespeare sont donc des citations de personnages de Shakespeare. Un peu comme les citations de Platon sont en réalité toutes des citations de personnages créés par Platon (je vous fais grâce des lettres, que personne ne connait à part quelques universitaires chenus et poussiéreux). Eh bé oui.
Et qu’est-ce que ça change, me direz-vous ?
Qu’est-ce que ça change ? Oh, malheureux ! Oh vieil enfant ! (Oui, car je sais que vous n’êtes plus jeune, vous qui postez des citations soi-disant de Shakespeare : sachez-le, grâce au travail conjugué de l’éducation nationale et de nos légions de fonctionnaires et para-fonctionnaires en charge de la « culture », aucun moins de vingt-cinq ans ne connait aujourd’hui davantage que le seul nom de Shakespeare, dans le meilleur des cas. Et dans ce rare cas on est en droit de supposer que ce nom ne lui évoque rien d’autre que l’horreur du blanctriarcat colonisateur et homophobe. Dois-je vous rappeler qu’Annie Ernaux est prix Nobel de littérature ? )
Evidemment, toute citation est problématique, car elle extrait une phrase de son contexte immédiat qui, peut-être, modifie son sens, grandement ou petitement. Mais lorsque c’est un personnage de théâtre qui parle, ce qu’il dit fait partie de l’action de la pièce et ne peut être compris correctement qu’à la lumière de l’ensemble de la pièce. Si l’auteur de la pièce à un « message » à faire passer, celui-ci ne peut être compris qu’en comprenant la pièce dans son ensemble. Enfin, lorsqu’il s’agit d’un dramaturge maitre de son art. Les personnages sont DE leur auteur mais ils ne sont PAS leur auteur. C’est pourtant simple à comprendre.
Qui donc serait assez benêt pour affirmer que Shakespeare pensait que la vie est une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien ? Ou bien qu’il se torturait l’esprit pour savoir s’il fallait être ou ne pas être ? Eh bien pourtant c’est ce que vous faites, avec vos citations internetiques que vous lui attribuez imprudemment.
Je me trompe : de tels gens existent, on les trouve dans les universités (ces temples du savoir…) et à la tête des troupes de théâtre subventionnées. Ces gens très savants sont capables de conclure, par exemple, que Shakespeare devait être dépressif au moment où il écrivit Macbeth, car seul un dépressif peut être persuadé que la vie est une histoire pleine de bruit et de fureur qui ne signifie rien. Peut-être cette dépression était-elle due à une homosexualité refoulée ? Ou bien faut-il incriminer une conversion secrète au catholicisme, cette religion de dépressifs pédophiles ? Les avis sont partagés, les controverses font rage. Le savoir est une si belle chose.
Mais brisons là. Les citations de Shakespeare, c’est comme l’album numéro cinq de Gaston Lagaffe : il n’y en a pas et il n’y en aura jamais ! Il y a des citations de Macbeth ou de Hamlet, si vous voulez, mais il n’y a pas de citations DE Shakespeare. ROOOGNNTUDJUUUU ! ■
Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur (2 décembre).
Bien dit ! Assaisonnez les cuistres, vous nous ferez toujours plaisir ….