Par Pierre Builly.
Novembre de Cédric Jimenez (2022).
La mort aux trousses.
Mettons tout de suite les choses au point pour les zigotos qui ignoreraient que le film de Cédric Jimenez décrit avec un grand souci d’exactitude les quatre journées qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015. Et rappelons, au cas où il y aurait ici des Martiens, qui n’auraient jamais entendu parler des vicissitudes de notre France, que le 13 novembre est la date des massacres perpétrés par des islamistes fanatiques au stade de France, au Bataclan et sur les terrasses de plusieurs cafés des 10ème et 11ème arrondissements. 132 morts, 500 blessés, des milliers de personnes traumatisées, effarées, épouvantées par la folie furieuse d’une violence inimaginable contre ce que les assassins appellent Infidèles ou Croisés. Vous et moi peut-on dire.
La plupart des meurtriers a été abattue par la police ou s’est fait sauter en se réjouissant d’aller retrouver des palanquées de vierges au paradis d’Allah. Mais certains ont pu échapper. C’est la traque de ces salopards qui est la trame de Novembre.
D’emblée, dès les premières images, on est au cœur des services de police, dans le désarroi, l’angoisse, la surprise, presque l’affolement. Il n’y a pourtant pas une année qu’a eu lieu, le 7 janvier, l’attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo et le 9 celui contre le supermarché cascher. Il n’y a pas de raison de croire que le cauchemar est terminé. N’empêche que, puisque de prétendus droits interdisent l’internement préventif des radicalisés, ça ne peut que se reproduire.
Donc le 13 novembre à Paris. Et le 14 juillet 2016, le camion tueur de Nice (86 morts, 485 blessés). D’ailleurs, ça continue : le Père Jacques Hamel le 26 juillet 2016, le policier Xavier Jugelé le 20 avril 2017, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame le 23 mars 2018, le médecin militaire Alban Gervaise le 10 mai 2022… Et je ne compte pas dans cette énumération sommaire les assassinats de Strasbourg (2018, 5 morts), de la Préfecture de police (2019, 4 morts), de Romans (2020, 2 morts). Non plus que je n’évoque les horreurs islamistes dans les pays voisins, Belgique, Allemagne… Tant qu’on ne veut pas comprendre…
Allez, revenons à l’excellent film de Cédric Jimenez, tendu, nerveux, haletant, qui ne s’interrompt pas une seconde et demeure continuellement dans l’action. C’est d’ailleurs ce que certains nez particulièrement fins lui ont reproché : ne pas se pencher sur les personnages et ne voir guère les événements que du point de vue des services de police. Sans doute ne serait-il pas absurde de se pencher avec un peu d’intelligence sur ce qui pousse des individus accueillis, nourris, éduqués par cette bonne fille de France à hurler leur haine et leur mépris en promettant à tous les Français l’égorgement ; c’est ce que fait un type barbu, chevelu, particulièrement affreux (Lyes Kahouah) qui impressionne par sa quantité de haine et de fanatisme alors qu’il est interrogé par le commissaire Fred (Jean Dujardin).
Certes tous les policiers semblent – Dieu merci ! – n’avoir aucun état d’âme dans la traque obstinée, minutieuse, scientifique des deux types qui paraissent avoir échappé aux tueries. Mais c’est bien aussi cela qui a dû se passer pendant ces quatre jours frénétiques qui aboutiront à l’assaut donné à la maison de Saint-Denis où se sont réfugiés Chakib Akrouh le kamikaze, Abdelhammid Abaaoud, l’organisateur des attentats avec sa cousine, Hasna Aït Boulahcen (Sarah Hafchain) qui leur a procuré la planque et le paiera de sa vie.
Il est certain que le réalisateur fait certaines impasses pour augmenter la nervosité du récit, ne montre pas, notamment, le siège du quartier de la rue du Cornillon et les dommages collatéraux subis par la population voisine ; car l’immeuble était empli de tas de gens, squatteurs, trafiquants de drogues, délinquants sans papiers qui ont dû être stupéfaits par le déploiement de forces du 18 novembre au petit matin. Les forces du RAID, de la sous-direction antiterroriste, appuyées par la BRI : 110 hommes qui ont tiré plus de 1500 cartouches…
Mais tel qu’il est, avec son début où la police ne sait pas trop par où commencer mais où, précisément, très vite, les procédures, les moyens, les hommes, les techniques, les exploitations d’écoutes et de fichiers se mettent en place, où peu à peu, au prix d’un travail acharné, elle progresse sont formidables. On est fier de sa police, on le serait davantage encore si elle pouvait intervenir préventivement…
Excellente distribution : Jean Dujardin, très solide, Anaïs Demoustier et Sandrine Kiberlain excellentes et tout un ensemble d’acteurs sans aucune fausse note. Après le glaçant remarquable Bac Nord, voilà que Jimenez s’installe dans les premiers rangs des réalisateurs d’aujourd’hui. ■
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.