Pierre-Yves Rougeyron, président du Cercle Aristote, répond ici aux questions de Front Populaire (20 décembre) et c’est intéressant.
Les lecteurs de JSF sont familiers des termes de l’analyse que dresse ici Pierre-Yves Rougeyron.
Nous sommes, en l’espèce, sur la même ligne que lui et nous reprenons cet assez bref entretien qu’on lira avec profit.
ENTRETIEN. Depuis la révélation, au début du mois de décembre, du vaste scandale – dit « Qatargate » – impliquant des membres importants du Parlement européen et mettant en lumière leurs liens troubles avec le Qatar, le bateau Maastricht tangue. Nous avons interrogé Pierre-Yves Rougeyron, président du Cercle Aristote, à ce sujet.
Front Populaire : On savait déjà que le Parlement européen était un nid à lobbies. Mais ce n’est que maintenant, à la faveur de ce « Qatargate », que l’ampleur du phénomène éclate aux yeux du grand public. Comment expliquer cette latence ?
Pierre-Yves Rougeyron : Vous êtes dans un cadre où la notion de légitimité n’existe pas et ne peut pas exister. La corruption devient donc le liant d’un monde où les notions politiques classiques – qui sont toutes liées aux nations (service, honneur, loyauté) – n’existent plus.
Dans le monde faustien de Bruxelles (« je suis l’esprit qui toujours nie… »), rien ne vaut rien et le sentiment d’appartenance européenne est un masque qui permet de faire passer toutes les compromissions. Si vous comprenez cela, vous comprenez qu’en fait la corruption est une nécessité du système, ou du moins une résultante inévitable et qu’elle donne paradoxalement un sens au non-sens communautaire. C’est pour cela que personne ne s’en plaindra réellement…
FP : Eva Kaili, socialiste grecque, mais aussi Pier Antonio Panzeri, droitdelhommiste italien fondateur de l’ONG « Fighting Impunity », tombent dans l’affaire. La social-démocratie européiste et la corruption étrangère sont-elles faites pour être ensemble ?
PYR : Par nature, en effet, car vous êtes dans des systèmes xénocratiques. Si vous acceptez le pouvoir de l’étranger, vous acceptez son argent. La lutte contre la corruption est l’apanage des Etats qui ont besoin de fonctions publiques dévouées et indolentes aux populations (questions de légitimité). Les structures impériales et néo-féodales sont corrompues par nature, d’autant plus lorsqu’elles se pensent au-dessus de tout soupçon au nom de la morale et du Bien qu’elles pensent incarner contre les logiques nationales, nécessairement « rétrogrades » et « archaïques » – alors qu’historiquement, les États-nations sont des formes postérieures aux empires.
À qui le Parlement européen aurait-t-il à rendre de compte ? À quel peuple ? À tous, en théorie. En pratique, à aucun.
FP : La stratégie d’influence qatarie a donc choisi de miser sur nos chers eurodéputés. Qu’auraient-ils pu espérer en retirer ?
PYR : Avant tout, l’oubli des liens ténus existants entre le Qatar et le terrorisme international et les différents soutiens à l’islamisation des pays européens. Côté prosélytisme islamiste, l’Union européenne fait un travail de soft power remarquable, comme vous aurez pu le remarquer.
Notez également que l’Arabie saoudite a une stratégie parallèle qui lui permet de faire rayer les mentions qui la concernent. Elle a pour cela des amis dévoués…
FP : L’eurocratie a été durement secouée par le scandale. La présidente du Parlement européen Roberta Metsola a dans la foulée promis la « fin de l’impunité » et la mise en place de nouvelles règles éthiques… Un écran de fumée ?
PYR : Cela fait des décennies que le système fonctionne sur les mêmes mécanismes : on pousse le bouchon jusqu’au scandale, suite auquel on fait de grandes déclarations la main sur le cœur.
On aurait tort de croire que les peuples n’ont pas compris ce manège sordide. S’ils se détournent dangereusement de tous les processus électoraux, c’est d’abord pour cette raison-là : l’effectivité de leur décision politique est une chimère, et ils le savent. Dans un tel cadre, il n’est pas très difficile d’être devin.
Le Parlement européen promet donc la « fin de l’impunité »… Une commission ? Un livre blanc ? Une mission d’information ? C’est l’équivalent du triptyque calins-nounours-bougies face à la criminalité. Un enterrement de nuit. ■
« Les chiens aboient, la caravane passe ». (Sans vouloir offenser quiconque).
L’UE n’est qu’un marché commun où tout est à vendre…
Les analyses et/ou points de vue strictement socio-politiques pèchent par excès de zèle analytique et, partant, par dilution de l’esprit de synthèse. Du coup, les raisonnement semblent pertinents (de leur point de vue, ils le sont, d’ailleurs), cependant il leur manque une ossature, du coup ils se décomposent à l’intérieur d’eux-mêmes. Par exemple, ici, on peut observer un premier élément, d’ordre psychique : Pierre-Yves Rougeyron, parle «d’esprit faustien» et il assortit sa référence culturelle d’une citation se rapportant à des mots qu’il arrache à la bouche du Méphistophélès du «Premier Faust»… Plusieurs méprises de sa part, donc : la première tient à la cause qu’il confond avec l’effet – ce n’est pas Faust qui parle mais celui qui le fera ensuite agir ; la deuxième méprise est plus essentielle encore car, monsieur Rougeyron tronque sa référence culturelle avec la convention commode des points de suspension ; or, tout le «Faust» goethéen repose sur une donnée fondamentale, résumée dans cette réponse de Méphistophélès à la question «Or ça, qui donc es-tu?» que lui adresse le docteur Faust, la réponse étant : «Une partie de cette Force qui veut toujours le Mal et fait toujours le Bien.» Donnée métaphysique un peu expéditivement exprimée, certes, mais s’inscrivant néanmoins dans une «droicte voie ensuivie» (Dante). Ce n’est pas un «esprit faustien» que de «toujours nier», mais l’esprit supposé de celui à qui l’on aurait accepté de soumettre notre nature humaine, celle-ci devant, en principe, demeurer supérieure.
Alors, évidemment, on m’objectera que monsieur Rougeyron se situe sur un autre plan que celui de la métaphysique, bien en dessous, évidemment, et par hiérarchie descendante, en-dessous de ce que la Chine et la Grèce antique retenaient respectivement comme étant l’apanage de «l’Homme sage» ou «Homme saint» (le «Lettré» confucéen) ou du «Philosophe» platonique.
Pour rester avec la Grèce, ceux qui feignaient de se mêler de philosophie pour justifier leur fantaisie individuelle, Platon les a brocardés en tant que «sophistes» (pour schématiser : «qui parle de tout mais ne connaît [ne pratique] réellement rien»). La question étant de mesurer ensuite le niveau de sophistique des uns et des autres ; ici, monsieur Rougeyron voudrait tempérer le sien en le frottant liminairement aux calories intellectuelles d’une référence culturelle… Nous avons vu que, en vertu du préjugé («pavé de bonnes intentions») qui est le sien, il se méprend immédiatement sur ce que cela signifie et que ce ne peut en aucun cas s’appliquer à ce qu’il évoque, frappant ainsi tout son raisonnement au coin de la myopie intellectuelle.
Par exemple, il en vient à mentionner les termes «rétrogrades» ou «archaïques» comme si ceux-ci constituaient effectivement la critique fondée de quelque chose et, pour contredire ses apparents «adversaires», il signale que, eh bien non! … à preuve que, croit-il assener comme argument critique décisif : «historiquement, les États-nations sont des formes postérieures aux empires»… C’est un fait, mais cela constitue exactement une étape de l’évolution progressiste qui a conduit aux révolutions et à leur succès démocratique. Et voilà que monsieur Rougeyron croit retourner le compliment d’«archaïsme» et de «rétrograd[ation]» en accusant les structures européennes d’être «impériales et néo-féodales»… Exactement comme il ne faut pas confondre l’agent et l’agi entre Méphistophélès et Faust, il ne faut pas, non plus, accepter comme argent comptant la monnaie de singe – je rappelle que le papier monnaie passe pour avoir été une «invention» de l’imprimeur Johannès Faustus, puis une application révolutionnaire avec les assignats, source, avec le droit à pratiquer l’usure étendu à tous, exactement à la même époque, source, donc, de la totalité des systèmes socialo-libéraux que nous connaissons désormais –, ne pas accepter, disais-je, la monnaie de singe du darwinisme politique voulant que, comme s’amusait à déduire Antonin Artaud, «à force de regarder la Lune, il serait pousser des ailes aux humains»… Je veux dire par là que les États-nations sont les préfigurations des structures politiques modernes et que l’on ne saurait s’y reporter qu’à l’expresse condition que l’on veuille précisément «rétrograder» et, par conséquent, passer par le stade en question, afin de remonter en poursuivant le processus ainsi entamé à des notions de (et sur) l’Humanité qui permettaient la distribution ontologiquement raisonnable des facultés inhérentes à chacun, distribution intellectuellement soumise à un Ordre d’autant plus «raisonnable» qu’il était supérieur à la seule raison-raisonnante.
Total, la progression du ou des syllogismes concluant à ceci que «la corruption est une nécessité du système européen» est une tromperie mentale (on devrait même dire «auto-tromperie», pour employer les modes langagières en cours) pour cette raison qu’il n’y a nulle «nécessité» conséquente là où celle-ci se tient à la source : toute rétribution fiduciaire est un mode de corruption pour cette raison que la modalité salariale institue des rapports de domination auxquels aucun de nous ne saurait échapper tout à fait… D’ailleurs, on peut s’apercevoir que sur l’échelle sociale, les plus hauts salaires sont accordés aux emplois exposant à la plus haute corruptibilité, si bien que, «progressivement», on a pu passer des fonctions politiques non rétribuées à la «nécessité» (en effet) d’accorder des salaires comparables aux émoluments des «grands chefs d’entreprise», comme plaidaient à longueur de journées les thuriféraires (et plus méchants concurrents) de l’avocat d’affaires Nicolas Sarkozy (contre lequel je ne nourris rien de plus particulier).
Pour en terminer avec mon «assommoir» à amateur du politique, je propose de renverser la proposition pour dire : «Le système européen est une nécessité pour la corruption.»
Rougeyron a « la grosse tête ». Pythie plutôt que prophète, il élucubre « grave ». Merci à David Gattegno de nous le démontrer