PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro du samedi 24 décembre. La France a sans-doute un besoin impérieux de ce « grand moment d’autorité » dont parlait De Gaulle repris ici par Bock-Côté. Les mânes du Général et l’auteur de cette chronique nous permettront toutefois de trouver cette politique chaotique des grands moments d’autorité suivis des pires relâchements, de trouver cette politique, donc, d’une singulière pauvreté. Ne serait-ce pas plutôt d’une autorité ferme et continue, point trop soumise aux suites funestes d’à-coups, dont la France aurait besoin pour reprendre une ligne globalement ascendante, brisée par la mort du roi, la mort de Louis XVI et les révolutions qui l’ont suivie ? On nous excusera de remonter si loin, pour la capacité de perception d’aujourd’hui. Faute de le faire, pourtant, la France continuera de s’enfoncer dans l’alternance mortifère entre avachissement durable et grands moments d’autorité, au bout du compte, à peu de chose près, inutiles. Telle est en effet la limite radicale et terrible du sursaut gaullien de mai 1958 anéanti 10 ans plus tard. On devrait être capables de mesurer ce qu’il en reste aujourd’hui. Faut-il continuer le système des grands moments ? Telle est la question de fond.
Chronique – Les institutions ont de moins en moins d’emprise sur un pays où les minorités radicales peuvent prendre en otage la nation, comme en témoigne la grève de fin d’année de la SNCF.
Le général de Gaulle avait déjà noté que la France, pays vertical et régalien, à la différence des sociétés de culture réformiste, a de temps en temps besoin d’un grand moment d’autorité, pour se ressaisir.
Rares sont ceux qui ont douté, en 2022, de la réélection d’Emmanuel Macron. Ce qui était plus difficile à prévoir, toutefois, était que son élection l’enfermerait dans une fonction quasi symbolique, dans la mesure où il fut privé quelques semaines plus tard d’une majorité, ce à quoi il ne s’était pas préparé psychologiquement. Sans être impuissant, Emmanuel Macron est affaibli et se demande comment renaître, pour ne pas être condamné, d’ici peu, à une existence ectoplasmique. L’exercice du pouvoir sous le signe du 49-3 ne fait que confirmer aux yeux de tous l’isolement d’un gouvernement fragilisé avant d’avoir engagé la moindre réforme d’envergure. La macronie semble plus que jamais enfermée en elle-même et tentée de confondre les intérêts d’une classe sociale retranchée dans ses privilèges avec ceux de la nation dans son ensemble.
Le déplacement du pouvoir de l’Élysée vers le Palais Bourbon représente un retour inattendu à l’esprit de la IVe République dans les institutions de la Ve, qui n’étaient pas faites pour l’accueillir. L’Assemblée nationale avait pour fonction de représenter les différentes tendances composant le corps politique français: désormais seule en scène, elle incarne sa fracture intime, profonde, insurmontable, entre courants s’excluant mutuellement du périmètre de la légitimité démocratique ou nationale.
Le problème est vaste. Car ce n’est pas que la macronie qui s’est affaissée au fil de l’année. Il en est de même de la gauche radicale, qui a connu un sursaut au moment des législatives, avant de se décomposer au fil des mois qui ont suivi. La séquence était étonnante. À travers la Nupes, la gauche radicale était parvenue à annexer politiquement la gauche «de gouvernement», dans une forme de Bad Godesberg à l’envers. On pouvait néanmoins s’attendre à ce que cet étrange attelage se déglingue: le programme commun était trop mince, et l’horizon du pouvoir, trop éloigné.
Mais c’est un choc encore plus violent qui a frappé le cœur de la Nupes. L’affaire Quatennens a souligné, à LFI, le contraste générationnel entre Jean-Luc Mélenchon, devenu d’un coup un vieux chef aux réflexes siciliens pour défendre les siens, et une jeune génération qui ne lui a pas pardonné la défense entêtée de son protégé. LFI s’est aussi révélée, ces dernières semaines, à la manière d’une structure politique autoritaire pratiquant la démocratie militante Potemkine et purgeant ouvertement ceux qui critiquent la ligne du chef ou voudraient l’empêcher de faire un dernier tour de piste en 2027.
À droite, le paysage n’est pas plus réjouissant. Son écartèlement en trois pôles n’est pas à la veille de se résorber, même si le rapport de force est nettement à l’avantage du RN, qui s’institutionnalise chaque jour un peu plus, sans parvenir à se faire accepter par la classe politico-médiatique, qui ne cesse de l’extrême-droitiser, même de la plus caricaturale manière, comme on l’a vu au moment de l’affaire Grégoire de Fournas. Les mécanismes de diabolisation du RN sont encore redoutablement efficaces au cœur de la vie politique.
Reconquête!, de son côté, fait preuve d’une vraie vigueur militante et doctrinale, mais est refoulé dans les marges de la vie politique et jouera son existence lors des élections européennes de 2024. Les LR, enfin, s’en tiennent encore aux règles du cordon sanitaire, même s’ils prétendent parler le langage de la «droite décomplexée». Ils s’entêtent à perpétuer le mythe d’une «extrême droite» qu’ils se jurent de combattre, même s’ils ne parviennent jamais vraiment à la définir. Dans une éventuelle union des droites, dont la forme demeure encore inimaginable pour l’instant, ils apporteraient pourtant la culture gouvernementale, essentielle à la conquête et l’exercice du pouvoir.
À travers cela, la vie politique française semble vitrifiée. Les institutions ont de moins en moins d’emprise sur un pays où les minorités radicales peuvent prendre en otage la nation, comme en témoigne la grève de fin d’année de la SNCF. Les grands mouvements qui traversent notre temps semblent aussi échapper au politique. L’affaire de l’Ocean Viking a montré à quel point l’immigration massive échappe complètement à l’État, empêtré dans une conception falsifiée de l’État de droit, qui l’empêche de défendre ses frontières et d’avoir la moindre emprise sur les changements démographiques qui modifient la composition de la population française.
Le général de Gaulle avait déjà noté que la France, pays vertical et régalien, à la différence des sociétés de culture réformiste, a de temps en temps besoin d’un grand moment d’autorité, pour se ressaisir. Il faudrait redonner du pouvoir au pouvoir, et sortir des mythes incapacitants qui le paralysent. On ne voit pas qui, dans le présent contexte, est en position de donner cette impulsion nouvelle, avec la fermeté qui l’accompagne. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Notons tout de même que le « grand moment d’autorité » du général fut la dictature de l’article 16 et la destructionn de l’unité nationale….. 13 départements perdus, un million de réfugiés, l’indépendance énergétique sacrifiée, un
bilan qui ne pouvait être pire !