PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro du samedi 31 décembre. Mathieu Bock-Côté y défend davantage les règles de la liberté d’expression que le fond de la question essentielle soulevée par Houellebecq. Disons qu’il l’esquive pour, pense-t-il sans-doute, être efficace. Nous sommes ici quant à nous bien plutôt dans la ligne de Michel Houellebecq qui pense que mieux vaut dire les choses, comme il l’a fait. Nous ne nous prenons pas plus que lui à « espérer que la France puisse « changer de population en demeurant à peu près une société libérale apaisée ». Il y a sans-doute en effet un lien nécessaire entre ces deux « paramètres » mais nous rejetons l’un et l’autre. Mathieu Bock-Côté sans-doute aussi. Sa tactique ici est d’opposer au recteur de la Grande Mosquée de Paris les « valeurs de la République ». Fort bien. Ce n’est pas la nôtre.
CHRONIQUE – Derrière ce recours aux tribunaux, c’est à une tentative de censure que se livre le recteur de la Grande Mosquée de Paris, qui, quoi qu’on en dise, ne respecte pas ainsi les codes d’un islam modéré.
On pourrait se contenter de marquer notre étonnement devant la procédure judiciaire engagée par le recteur de la Grande Mosquée de Paris contre Michel Houellebecq, en disant de cette simple possibilité juridique qu’elle est surréaliste. La France serait-elle ce pays littéraire qui place sous surveillance la conversation entre un écrivain et un philosophe, où soit des professionnels de l’indignation communautaire soit des commissaires politiques à la psychologie d’inquisiteurs se permettent de décontextualiser quelques propos d’une réflexion plus vaste pour fabriquer de toutes pièces un scandale dont pourront se saisir les tribunaux ?
Oui, on pourrait se contenter de voir dans la possibilité d’un procès pour délit d’opinion contre Houellebecq – ou contre n’importe quel citoyen- un scandale absolu. En démocratie libérale, on ne devrait pas sanctionner les opinions, même les opinions désagréables. On ne devrait pas non plus enfermer la conversation publique dans un périmètre si étroit qu’il suffit de tenir des propos qui choquent pour se retrouver devant les tribunaux. Mais les circonstances nous obligent à nous demander pourquoi ce qui ne devrait pas être possible l’est et décrypter les mécanismes de censure qui se mettent en place.
C’est donc, redisons-le, le recteur de la Grande Mosquée de Paris qui engage cette procédure pénale. Il croit parler au nom des musulmans dans leur ensemble, qu’il s’imagine ciblé par une «provocation à la haine», ce qui est quelque peu étonnant et témoigne de la faiblesse de son argumentation, à moins qu’il n’entretienne délibérément la confusion autour des propos de Houellebecq.
Dans le premier extrait mis en cause, Houellebecq s’inquiète d’un pays qui verserait dans la guerre civile s’il connaissait un basculement démographique définitif. Il redoute même des actes terroristes contre la nouvelle culture majoritaire musulmane dont il envisage l’avènement, actes de violence qui seraient perçus par ceux qui les commettraient comme des actes de résistance. À aucun moment, il ne les appelle ou ne semble les souhaiter. Qu’il faille le rappeler est pénible. On peut certes croire Houellebecq très pessimiste, trop, même, et espérer que la France changerait de population en demeurant à peu près une société libérale apaisée. Mais à ce qu’on sache, le pessimisme n’est pas encore un délit ou un crime.
Dans le second extrait, Houellebecq, qui cherche à décoder l’état d’esprit de ses compatriotes, affirme qu’à son avis, ceux-ci ne croient pas vraiment l’assimilation des musulmans possible, et qu’ils souhaiteraient en dernière instance qu’ils quittent la France. Le propos de l’écrivain ne se veut pas prescriptif mais descriptif. Il ne souhaite rien lorsqu’il le formule: il se contente de chercher à comprendre les préférences inavouées des Français. Il est bien possible, et même plus que probable, qu’il se trompe, et que son analyse soit inexacte. Il faut alors lui répondre argument contre argument, le contredire fait contre fait.
Mais tel n’est pas le chemin suivi par le recteur, qui s’improvise psychologue. Il explique ainsi que les propos de l’écrivain « ne visent pas à éclairer un quelconque débat public mais à attiser les discours discriminatoires, et les actes ». Houellebecq pousserait donc à la discrimination contre les musulmans. Le recteur ne semble pas comprendre que l’analyse d’une situation difficile ne veut pas dire qu’on se réjouisse de la difficulté de cette situation. Envisager le pire ne veut pas dire le désirer.
On embrassera le problème plus largement: est-il encore permis de se questionner sur la réalité de l’intégration des musulmans en France et de la compatibilité de l’islam avec la civilisation occidentale ? Existe-t-il des questions interdites ? Et si tel est le cas, n’est-ce pas une manière de restaurer sous une forme nouvelle ce qu’on appelait autrefois le délit de blasphème? De la possibilité du vivre-ensemble multiculturel et multi-civilisationnel, il n’est tout simplement plus permis de douter. Constater publiquement l’échec de l’intégration engendrerait en fait l’échec de cette intégration. Les exigences élémentaires du raisonnement sont ici abolies.
Fût-ce involontairement, cette plainte pénale fait de Houellebecq une cible. On le condamne à une existence sécurisée à l’extrême, et on risque d’en faire le prochain Salman Rushdie. Par ailleurs, derrière ce recours aux tribunaux, c’est à une tentative de censure que se livre le recteur, qui, quoi qu’on en dise, ne respecte pas ainsi les codes d’un islam modéré acceptant l’esprit de contradiction consubstantiel aux sociétés libérales. Qui, en définitive, pour reprendre une expression à la mode, fait injure aux valeurs de la République ? ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
C’est pour le Figaro et ses lecteurs ; Mathieu Bock-Côté n’est il dés lors obligé d’ édulcorer ?
Démagogie et bêtise, voilà l’essence même de ce texte dans lequel le malheureux immigré québécois (ou arabe, cela reste un immigré venu travailler en France) MBC montre sa totale ignorance de notre histoire nationale. Même le patron du RN, M. bard Ella, est d’origine algérienne. C’est dire la bêtise.
—Bock Côté n’est pas un immigré il travaille en invité et il ne discute pas ici des opinions de mr Houellebeck mais de sa possibilité de les exprimer. Quant à sa connaissance de notre Histoire il est permis de souhaiter qu’une grande partie des Français dits « de souche » en soient pourvus autant qu’il l’est car son érudition est impressionnante.