Par Jacques Trémolet de Villers.
Le 1er décembre, audience prévue à 14h pour juger de la validité d’un testament dans une procédure ouverte il y a plus de quatre ans. Petit courriel en provenance du tribunal : « audience reportée au 29 juin 2023 ». Pas d’explication. Pas de formule de politesse. Pas d’excuses. C’est ainsi.
5 décembre, audience prévue à 11 heures pour débattre de l’irrecevabilité d’une demande civile au vu des lois sur la prescription. Dépôt de dossier obligatoire une semaine avant. Petit courriel en provenance du tribunal : audience reportée au 23 juin 2023. Pas d’explication, pas de formule de politesse, etc. La Tribune de la Justice publie : « Dernière juridiction en date à appeler au secours : Nanterre où il faut attendre un an pour voir un juge si on veut divorcer. » Mon confrère François Martineau a illustré avec talent cette information dans un dessin où l’on voit un couple très âgé, elle dans un lit avec une perfusion, lui dans un fauteuil roulant lui disant : « On a enfin une date de plaidoirie au 29 juin 2029, sauf incident bien sûr. » Les praticiens souffrent mais sourient aussi, car c’est leur lot depuis des décennies et, sans le sourire, que deviendraient-ils ?
Mais les justiciables ? Ceux qui, précisément, ont fait appel à leur service pour saisir les tribunaux parce qu’il n’y avait pas d’autre issue, parce que cela devenait urgent, parce qu’ils ne voulaient pas laisser une situation non éclaircie à leurs enfants, parce que c’était vraiment une urgence financière et familiale ?… Le temps est révolu de la Comtesse de Pîmbèche, Orbèche, et caetera, qui plaidait par furie procédurale. On ne plaide plus que par nécessité… mais les ridicules des Plaideurs de Racine, de Molière ou des Fables sont toujours là, à cette grande distinction qu’à l’époque le monarque, alerté par ces satires, avait pris les choses en mains : « la justice », écrit-il dans ses Mémoires pour son fils, « de qui dépendait toutes les réformes, était la première chose à réformer. »
Recompter le nombre de chaussures
Il s’y attelle avec ses ministres. Il n’y a pas d’édit spécial, de conférence de presse, de grand projet législatif. Simplement, le roi est attentif aux pratiques, à la qualité des jugements, au respect des délais. En moins de trois ans, il parvint à ce qu’une affaire ordinaire, en matière civile, fût jugée et exécutée en moins de six mois, « au-delà ce serait du déni de justice ». Il n’y avait ni téléphone, ni ordinateur. Tout se faisait à la plume et à la chandelle et on mettait la procédure ainsi terminée dans un grand sac, « l’affaire est dans le sac ». C’est d’abord ça, un gouvernement.
L’histoire se répète à la fin de la période sanguinaire de la Révolution et du Directoire, quand commence le Consulat de Bonaparte. Le désordre avait atteint des proportions inimaginables. Plus de rentrées d’impôts, plus de jugements ou alors si mal écrits qu’on ne peut les comprendre ; héritage de la Terreur où des greffiers illettrés assistaient des magistrats incultes. Ainsi envoyait-on André Chénier à l’échafaud pour la faute d’orthographe d’un greffier. Il faut dire que la « République qui n’a pas besoin de savants » n’avait pas besoin, non plus, de poètes. Arrive le Premier Consul dont on sait surtout qu’il doit ses victoires à l’attention qu’il porte à l’exécution précise de ses ordres. « La stratégie est un art simple, mais tout d’exécution. » Il a recompté à la réception le nombre de chaussures qu’il avait commandées pour ses fantassins, comme le nombre des barils de poudre pour ses canons, et la réception ne correspondant pas au bon de commande, il a élevé une protestation auprès des Directeurs.
Cette réputation suffit à redresser les énergies. Les receveurs retrouvent leur rôle et les greffiers un maniement élémentaire de la langue. Quant aux juges, le Premier consul leur offre un code simple, épuré, intelligent, auquel il a personnellement prêté la main. Stendhal le lisait avant de commencer à écrire, comme une forme d’échauffement. C’est ça, encore, le gouvernement. Je n’en dis pas plus. Je vous livre ces réflexions dans un but d’aide au discernement.
Bonne Année ! ■
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