Par Philippe Mesnard.
Les démocraties “occidentales” se sont hissées elles-mêmes sur un piédestal et, de là, contemplent le monde avec vigilance. Elles repèrent les méchants, qui sont illibéraux et autocrates, et elles les admonestent, parfois leur donnent de sévères leçons.
Quand il s’agit du Qatar, elles adoptent un ton plus doux car le Qatar est un très important fournisseur de GNL et, dans les équations alphabétiques qui gouvernent le monde, GNL est supérieur à LGBTQIA+. Légère contradiction. Il y en a d’autres. Qu’est-ce qu’une démocratie, par exemple ? L’expression politique et nationale d’une communauté soudée autour d’une identité ? Le pouvoir accordé au peuple qui constitue cette communauté ? L’Union Européenne s’étranglerait à lire cette définition qui prévalut pourtant pendant plus de deux siècles. L’ambassadeur de Chine (réputée autocrate) en France a déclaré : « En Chine, nous pratiquons la démocratie populaire intégrale. Cette démocratie est peut-être différente de la vôtre, mais c’est la nôtre. Elle s’adapte à la réalité de la Chine et est plus riche que la démocratie occidentale. »(*) On sent que la question est complexe, comme dirait Le Maire – ou Raffarin.
Pour aider les peuples occidentaux à comprendre qu’ils sont en démocratie-moins-intégrale-mais-très-intégrée, leurs gouvernants nationaux et supranationaux ont décidé de les numériser. On les surveille, on leur fait télécharger des applications, on les impose numériquement, on leur interdit de régler en espèces, on dématérialise tout pour pouvoir tout mieux tracer, on médite de supprimer la monnaie afin que les États, pour les protéger, sachent exactement qui possède quoi et comment il le dépense – quitte à lui dire comment mieux le dépenser –, on regarde avec fascination la Chine, cette autocratie qui a mis en place un contrôle social assez alléchant (car il est bien connu que tout ce qui est désastreux dans les autocraties devient aimable transposé en démocratie). On ne sait plus vraiment où est passée la liberté mais ce serait de pas comprendre toute la richesse contradictoire du concept de démocratie que de s’attarder à ce genre de détails.
Enfin, parfois, et à leur grande souffrance, les démocraties sont obligées de sévir et de châtier. Non plus pour défendre d’odieux intérêts nationaux, comme avant, mais pour faire régner sur le monde l’ordre moral. On parle ainsi d’un Tribunal pénal international pour juger la Russie coupable, au moins, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. On pourrait aussi parler de crime d’agression mais, légère contradiction, la définition n’en est pas certaine, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Cela fait quelques décennies que les démocraties en discutent entre elles. Il semblerait que les États-Unis, entre autres, aient du mal à valider, signer, contresigner et ratifier toute définition qui les empêcherait d’aller répandre la pax americana là où bon leur semble. La démocratie est un exercice difficile, qui ne supporte pas la contradiction mais en génère quelques-unes. ■
(*) Questions-réponses lors du dîner-débat organisé par l’Association de la presse diplomatique, le 7 décembre 2022, à Paris.
Passionnant article ! Merci à JSF… vous nous avez manqué !