Par Frédéric Magellan.
Cet article intéressant et bien documenté est paru dans Causeur le 11 janvier. On y retrouve les clercs officiant habituellement sur France Inter à la manœuvre contre Michel Houellebecq, les uns et les autres toujours en charge de dire le bien et le mal.
Alors qu’il se défendait, menacé par des poursuites judiciaires de religieux, France Inter a accusé l’écrivain Michel Houellebecq de mentir et de tordre d’anciens propos du philosophe, avec la complicité du journal Le Point. Le seul tort de Michel Houellebecq ? Avoir parlé de «meurtre des hommes blancs», alors que Sartre parlait plus précisément d’abattre un «Européen». Qui a dit quoi, exactement ?
Michel Onfray face à Michel Houellebecq. L’interview est sortie fin novembre, dans un numéro hors-série de Front Populaire. Sur une quarantaine de pages, les deux Michel livrent leurs angoisses respectives. C’est un peu un peu le match entre la France des deux écoles chantée par Michel Sardou, entre le Normand Onfray, éduqué dans les dortoirs sordides des Salésiens et Houellebecq, qui a surtout grandi dans une Bourgogne déchristianisée et baignant dans un milieu cryptocommuniste.
Pour Onfray, l’angoisse numéro 1, ce sont les savants fous de la Silicon Valley qui injectent des puces dans la cervelle des truies pour modifier leurs souvenirs. Pour Houellebecq, l’inquiétude, c’est l’euthanasie et le sort réservé aux vieux. Au détour d’une phrase, il déclare : « Parfois, je me demande s’il n’arrivera pas un jour où je choisirai de passer ma retraite chez les talibans : j’y serais mieux traité que dans un EHPAD. Enfin, les talibans, j’exagère peut-être un peu, disons le Maroc. » Effort louable pour se rapprocher du monde musulman !
Houellebecq craint des Bataclan à l’envers
Malheureusement, quelques autres passages n’ont pas échappé à la vigilance de la grande mosquée de Paris, qui a envisagé de déposer plainte pour « provocation à la haine contre les musulmans » dans un premier temps, avant de se rétracter. Les voici :
« Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent. »
« Quand des territoires entiers seront sous contrôle islamique, je pense que des actes de résistance auront lieu. Il y aura des attentats […] dans des mosquées, dans des cafés fréquentés par les musulmans, bref des Bataclan à l’envers ».
Quand on se souvient qu’il s’est écoulé neuf années entre la plainte contre Charlie Hebdo et le fameux attentat islamiste de janvier 2015, on peut comprendre que Michel Houellebecq ait pu amender et revenir sur ses propos dans les colonnes du Point, en rappelant tout de même qu’en son temps, Jean-Paul Sartre avait « appelé dans un texte demeuré célèbre au meurtre des hommes blancs ». C’était dans la préface des Damnés de la terre, ouvrage de Frantz Fanon, psychiatre martiniquais en poste en Algérie à la toute fin de la période coloniale. Quand l’ouvrage sort, en 1961, la guerre d’Algérie n’est pas terminée et les Européens présents en Algérie – qui n’étaient pas forcément tous d’affreux propriétaires fonciers faisant suer le burnous – subissent encore les attentats du FLN.
Ben, mon colon !
Le parallèle proposé par Houellebecq n’a pas échappé à la vigilance de Claude Askolovitch. À une époque, il y a vingt ans, on a connu Askolovitch défendant la ligne Finkielkraut contre la ligne Ramadan chez Ardisson, mais ça c’était avant. Depuis, Askolovitch a essayé de faire la danse du ventre auprès des Indigènes de la République, tentative qui n’a pas été appréciée à sa juste valeur par Houria Bouteldja ! Dans son homélie quotidienne, sur France Inter, Claude Askolovitch estime que Michel Houellebecq a volontairement tronqué une citation de Sartre, avec la complicité du Point : « En le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé: restent un homme mort et un homme libre ». Dit comme ça, ça jure. Pourtant, selon Askolovitch, « pas un instant [Sartre] n’appelle au meurtre des hommes blancs… ». Dans sa version complète [1], la citation n’est plus, selon Askolovitch, « une proclamation » mais l’issue d’un « long raisonnement », qui doit se comprendre dans le contexte d’ « inhumanité du colonialisme ».
On pourrait rétorquer que Houellebecq n’incite à rien lui non plus quand il annonce qu’il y aura des Bataclan à l’envers mais ne fait là qu’une sombre prophétie (exercice pour lequel il a montré qu’il n’était pas trop mauvais). Le contexte des attentats de l’année 1961 et les possibles effets de la préface de Sartre ne sont pas un seul instant évoqués par Askolovitch : philosophe, Sartre peut manier des concepts, sans se soucier de leur impact dans le réel, lui.
On est en droit de préférer Albert Camus, malgré tout, qui écrivait onze ans à l’avance : « J’ai horreur de la violence confortable. J’ai horreur de ceux dont les paroles vont plus loin que les actes. C’est en cela que je me sépare de quelques-uns de nos grands esprits, dont je m’arrêterai de mépriser les appels au meurtre quand ils tiendront eux-mêmes les fusils de l’exécution [2] ». ■
[1] « Car en le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre ; le survivant, pour la première fois, sent un sol national sous la plante de ses pieds ».
[2] Albert Camus, Deux réponses à d’Astier de la Vigerie in Actuelles. Écrits politiques, 1950. Gallimard-Folio.