Par Aristide Renou.
Le musée Cognacq-Jay, sis dans l’hôtel Donon, à proximité de la place des Vosges, est un des plus charmants qu’il m’ait été donné de visiter.
Vous n’y trouverez nulle œuvre de prestige, de celles autour desquelles se massent les essaims de touristes pressés de voir « ce qu’il faut avoir vu », ni de pièce grandiose ou imposante. Vous y trouverez ce qui vaut peut-être mieux : la grâce, l’élégance, la joliesse, le goût, le raffinement discret et, pour tout dire, la perfection du 18ème siècle auquel il est entièrement consacré.
Cette perfection est celle du goût français, car si toutes les œuvres exposées ne sont pas françaises, le 18ème siècle fut assurément celui où la France domina l’Europe, et donc le monde, en tout cas ce qui concerne les arts d’ornement, qui sont les moins utiles et donc sans doute les plus indispensables.
Ce qui faisait dire à ce persifleur de Montesquieu que les Français « avouent de bon cœur que les autres peuples sont plus sages, pourvu qu’on convienne qu’ils sont mieux vêtus : ils veulent bien s’assujettir aux lois d’une nation rivale, pourvu que les perruquiers français décident en législateurs sur la forme des perruques étrangères. Rien ne leur paraît si beau que de voir le goût de leurs cuisiniers régner du septentrion au midi, et les ordonnances de leurs coiffeuses portées dans toutes les toilettes de l’Europe. »
Vous verrez donc dans les salles du musée Cognacq-Jay des sculptures ravissantes, des meubles élégants et fins, des objets délicats et précieux, et surtout des peintures délicieuses, parfois gentiment libertines, d’un érotisme léger et joyeux, souvent consacrées à exalter la beauté féminine, et toujours (ou presque) merveilleuses de bon goût et de justesse.
Visiter le musée Cognacq-Jay, c’est entendre chaque salle (il n’y en pas beaucoup, vous aurez fait le tour en une heure, deux au maximum) vous murmurer la phrase que Guizot attribuait à Talleyrand : « Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c’est que le plaisir de vivre. »
Bien évidemment, les esprits chagrins ou trop raisonnables s’empresseront de faire remarquer que ce plaisir de vivre était réservé à un tout petit nombre, qu’il reposait sur une société de castes injuste dans son principe et sur l’oisiveté d’une classe privilégiée tirant sa subsistance du dur labeur, et souvent de la misère, du plus grand nombre. Ce qui est vrai, bien sûr, et d’ailleurs les fondations politiques de l’admirable édifice n’allaient pas tarder à révéler leur caractère entièrement vermoulu et à s’effondrer dans la confusion et le carnage.
Mais rien de tout cela ne devrait nous empêcher de goûter ce que le génie humain a produit, peut-être, de plus charmant, de plus spirituel et de plus enjôleur et que le musée Cognacq-Jay donne à voir avec une profusion parfaitement mesurée, dans une adéquation idéale entre l’écrin et l’objet qu’il met en valeur.
Qu’il était beau cet Ancien Régime finissant, qu’il était aimable, au moins en ses arts d’agrément, qu’il était élégant et fin, subtil et lettré et comme nous paraissons lourds, vulgaires et ignorants en comparaison. Le flambeau n’éclairait certes pas sa base, mais quelle vive lumière il a jeté et comme il est doux de se réchauffer encore, à une si grande distance, à cette belle flamme ! ■
Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur (16 janvier). Un bien bel article d’ailleurs, sans que l’on soit tenu d’être d’accord sur tout.
« … ce plaisir de vivre était réservé à un tout petit nombre, qu’il reposait sur une société de castes injuste dans son principe et sur l’oisiveté d’une classe privilégiée tirant sa subsistance du dur labeur, et souvent de la misère, du plus grand nombre. »
À cette époque, il ne serait jamais venu à l’aristocratie l’idée de dépenser son argent hors du Royaume ce qui fait que, trois siècles plus tard, nous pouvons toujours admirer ces œuvres exposées dans des musées français.
De nos jours l’argent de la Caste est planqué dans les paradis fiscaux.
Autre temps, autres mœurs.