Par Bernard Maurin*.
Une chose me trotte dans la tête depuis assez longtemps : la musique de la Royale, hymne royaliste, se veut une anti-marseillaise ! Quant à l’opposition des paroles, c’est évident.
Voyons un peu, et commençons d’abord par quelques rappels :
La Marseillaise (initialement « Chant de guerre pour l’armée du Rhin ») a été écrite, paroles et musique, par Rouget de Lisle, dans la nuit du 25 au 26 avril 1792 à la suite de la déclaration de guerre de la France à l’Autriche du 20 avril 1792. Un exemplaire du chant dédié à l’armée du Rhin parvient à Montpellier entre les mains de François Mireur, volontaire du bataillon de l’Hérault. Mireur gagne Marseille. A la fin d’un banquet, il interprète le chant qui est repris par l’assistance électrisée. Lequel, volant de ville en ville, est entonné par les bataillons de fédérés marseillais. Il est repris en juin 1792 à l’entrée de ceux-ci dans Paris. Il est enseigné sur les places publiques et se répand à toute vitesse. Appelé tout d’abord « hymne des marseillais » il deviendra « La Marseillaise ». Les Blancs (royalistes vendéens) en chanteront une parodie, sur le même air mais sur des paroles royalistes en 1793, pour justement surprendre les Bleus. Cette Marseillaise est déclarée « chant national » le 14 juillet 1795 (26 messidor an 3) jusqu’en 1804, puis abandonnée sous l’Empire, la Restauration et le second Empire. Elle est ensuite redevenue « hymne national » en 1879 sous la 3° république, au cours d’une séance présidée par Gambetta à l’assemblée, ce qu’elle est toujours restée (nos enfants l’appellent « la chanson du foot », et mon arrière grand-mère l’appelait « une vilaine chanson qui a tué beaucoup de monde »). L’Histoire montre donc qu’il s’agit d’un chant essentiellement républicain.
La Royale (ou « Marche des camelots du Roi ») a été écrite dans le 3 juillet 1920 par Maxime Brienne (1886 – 1926) pour les paroles et par René de Buxeuil pour la musique. De son vrai nom, René de Buxeuil s’appelle Jean-Baptiste Chevrier (1881 – 1959). Il deviendra aveugle en 1892 suite à un coup de carabine donné par un camarade. Les paroles, de Maxime Brienne donc, sont une apologie naturelle de la monarchie française, historiquement parlant (« Les Rois ont fait la France, elle se défait sans Roi »). On sait que l’Action Française, au départ de droite, mais républicaine, est devenue farouchement royaliste grâce à Maurras, après longue réflexion, au début du XX°s. La Royale est l’hymne officiel de L’Action Française. On voit déjà la grande antinomie entre les deux hymnes, ne serait-ce que dans les paroles.
Ces rappels étant faits, voyons maintenant la musique, ce que chacun, même non solfégiste, comprendra, ne serait-ce que visuellement.
Tout d’abord, notons une similitude complète du rythme, au début, la suite étant très ou assez analogue.
La Marseillaise :
et La Royale :
On pourra objecter que c’est un rythme de marche dans les deux cas. Mais l’Internationale aussi, et ce n’est pas le même rythme, car celui-ci connaît pas mal de variantes. Or, là, on trouve une similitude complète, au début du moins. Certes, ce sont dans les deux cas des octosyllabes, allitérant ou rimant. Mais tout de même, le hasard est ici bien peu invocable !! (l’Internationale emploie des hexasyllabes, rimant). La similitude rythmique du début semble donc bien voulue.
Voyons maintenant la mélodie. On est assez surpris de voir que le début est exactement le contraire dans les deux cas !! Qu’est-ce que le mouvement contraire, en musique, employé par de nombreux compositeurs ? Si le mouvement normal monte, le mouvement contraire descend et vice-versa. La Marseillaise monte d’abord de trois intervalles, puis descend de deux, alors que la Royale descend d’abord de deux intervalles, puis monte de deux. C’est pratiquement le contraire ! Voyons avec la musique, même si le lecteur ne sait pas la lire : voici le début de La Marseillaise :
Remarquons au passage le trait de génie de Rouget de Lisle : il subvertit un schéma mélodique ultra connu (ré sol la si) en ré sol la ré, formant trois sons au cycle des quintes, ou tritonique, faisant archi-archaïque, et marquant la mémoire, ce que l’on ne trouve pas dans la Royale. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec les musicologues qui s’extasient devant le deuxième thème du concerto pour piano de Mozart en Ut M (I°, K. 467) de 1786, comme prémonition de la future Marseillaise. Mozart emploie un schéma mélodique archi-connu et stéréotypé, employé par de nombreux compositeurs (tout le monde se rappelle de « Plaisir d’amour »), sans qu’on y voie un « avant-coureur » musical de la future Marseillaise, même s’il y a ici une certaine ressemblance.
Voyons la Royale maintenant :
On y revoit, avec les notes, la similitude rythmique, la suite étant différente. Mais mélodiquement, tout de même, on a au début vraiment le mouvement contraire ! On a dans le premier cas :
↑ puis ↓
↑ ↓
↑
et dans le second :
↓
↓
puis ↑
↑
Résumons : similitude complète de rythme et mouvement contraire mélodique ! Bien que je n’aie pas trouvé de traces de cette antinomie musicale, je pense que cela ne peut pas être fortuit, mais intentionnel, les faits musicaux le prouvant suffisamment.
En conclusion, on peut bien dire que la Royale est une « anti-Marseillaise », tant pour les paroles, que pour la musique. ■
* Passionné de musicologie.
Merci à l’auteur et à Francesca pour sa transmission.
On ne peut pas dire que Rouget dit de L’Isle (il est le seul de la famille portant cette « particule ») puisque son texte s’inspire en très grande partie d’affiches placardées sur les murs de Strasbourg. Quant à la musique elle n’est pas de lui mais de Jean-Baptiste Grisons qui l’a créée pour son œuvre « L’Opéra d’Esther ». Comme je le fais remarquer dans mon article (lien ci-dessous) ; Marc Menant parle de Berlioz ce qui semble difficile puisque aussi doué soit-il ce grand musicien compositeur est né 10 ans après !
http://souvenirchouandebretagne.over-blog.com/2021/02/cnews-marc-menant-et-la-marseillaise.html
Noël Stassinet
Président du Souvenir Chouan de Bretagne (association à but culturel et historique)
C’est en effet troublant d’entendre (disponible sur you tube) l’oratorio de Jean -Baptiste Grison , composé en 1787 . Un oratorio ayant inspiré le « champ de guerre pour l’Armée du Rhin »; quelle ironie ! quelle inspiration pour la république laïciste!
Dès que j’entends la marseillaise, je coupe le son.
Moi aussi je m’assois et coupe le son. Ces recensions me rappellent le fameux film uchronique de Jean Yanne « Liberté, Egalité, Choucroute » , hélas peu diffusé ( un seul passage télévisé , défi lancé en 1989 par la 5, chaîne privée agonisante). Dans celui-ci Darry Colw-Rouget de l’Isle peine à trouver un air à sa chansonnette grotesque et moquée par les autres ratés de sa bande avant, presque à la fin, de lui coller triomphalement un fameux air de la Vie Parisienne d’ Offenbach ayant beaucoup servi pour du »french can-can ». Voilà une comédie qui mettait l »‘épopée » révolutionnaire à sa juste place, celle d’une farce tragique. De plus elle se terminait au mieux.
Nous pourrons difficilement faire l’économie d’une mise aux oubliettes ( ne serais-ce que pour des raisons esthétiques…) de ce semble-hymne d’un régime failli.