Par Aristide Renou.
Alors qu’Emmanuel Macron et Olaf Scholz, le chancelier allemand, célèbrent en ce jour le 60ème anniversaire du traité de réconciliation entre l’Allemagne et la France, il est sans doute approprié de dire quelques mots au sujet de la chimère nommée « couple franco-allemand » et qui tient tellement à cœur à notre président.
Il serait tentant de dire que le couple franco-allemand n’existe pas, pour reprendre le titre d’un livre de Coralie Delaume, car certainement, à regarder froidement la réalité il n’y a pas de couple de ce genre. Cependant, même si nos sentiments ne correspondent pas à la réalité, ils forment bien une partie de la réalité, une partie de notre réalité. Il n’est peut-être pas vrai que telle femme soit aimée par tel homme, comme elle le croit, mais il est vrai qu’elle en est amoureuse, et cela n’est pas rien.
Ainsi, il me semble qu’il existe bien, en effet, une sorte de couple franco-allemand, en ce sens que, depuis maintenant une bonne quarantaine d’années nos élites politiques, administratives, économiques, ont pour l’Allemagne les yeux de Chimène.
Si j’accordais un quelconque crédit à la notion « d’emprise », je serais tenté de dire que la France est sous l’emprise de l’Allemagne, tant ce phénomène de soumission est étrange et paraît défier toute explication rationnelle. Il y a là quelque chose de l’ordre la transe amoureuse, comme le faisait justement remarquer Pierre Manent, au début du mandat d’Emmanuel Macron :
« La relation que les Français ont nouée avec l’Allemagne dans la dernière période est vraiment étrange. Ils tiennent absolument à épouser l’Allemagne. Les Allemands sont très courtois, mais ils nous avaient signifié très clairement, dès le lendemain de la signature du traité de l’Elysée, qu’ils n’étaient pas intéressés par ce mariage. Le 15 juin 1963, le Bundestag ne ratifia le traité qu’après avoir voté un préambule qui soulignait, avec une netteté et une exhaustivité presque blessantes, que le traité n’aurait aucun effet d’aucune sorte sur aucun des principes de la politique allemande. Nous continuons pourtant de parler de ce traité comme du temps bénit de nos fiançailles. »
Et il ajoutait : « On peut féliciter l’Allemagne pour la manière dont elle a méthodiquement joué ses cartes, tout en persuadant ses partenaires que les résultats de sa politique ne faisaient que récompenser ses vertus. « Juste » aux yeux de l’Allemagne, la situation présente relève pour nous dʼun « droit du plus fort » dont nous ne pouvons durablement nous accommoder. Si l’Allemagne ne peut rien rêver de mieux que la continuation du statu quo, celle-ci nous condamnerait à la vassalisation économique, politique et intellectuelle. Or il semble que le seul désir des gouvernements français successifs soit de se faufiler comme le codirecteur dʼune entreprise dont le véritable directeur est connu de chacun ! Cʼest un manque de modestie en même temps quʼun manque de fierté. Il est souhaitable que nous conduisions le plus possible dʼactions communes avec les Allemands, comme avec les Italiens ou les autres nations européennes, mais nous devons sortir de cet état de transe amoureuse qui nous paralyse. »
Je me demande toutefois si le terme de « transe amoureuse » est suffisant pour caractériser le complexe allemand dont souffrent nos dirigeants.
Car, à bien y réfléchir, il semble que, plutôt que l’amour, le motif dominant soit celui de la détestation. Ce n’est pas tant que nos élites aiment l’Allemagne, c’est avant tout qu’ils méprisent la France et les Français et que comparer la France à l’Allemagne n’est qu’une manière de nous faire honte et de justifier une entreprise de démantèlement presque systématique de nos atouts et nos particularités. D’ailleurs, l’admiration professée pour l’Allemagne va en général de pair avec une méconnaissance profonde des réalités allemandes. Si l’Allemagne est tant aimée, c’est surtout, c’est principalement, parce qu’elle n’est pas la France et parce qu’elle est puissante dans les domaines qui comptent pour la technocratie : finances, industrie, commerce, tout ce qui semble relever de l’organisation rationnelle de la société, qui est la raison d’être de cette technocratie.
Serait-ce aller trop loin que de suggérer que, dans l’Allemagne, notre technocratie – qui, à travers le personnel politique, se confond toujours plus avec le gouvernement lui-même – aime une image idéalisée d’elle-même ?
Ce qui est sûr, c’est que parler de détestation et de mépris, comme je le fais, plutôt que de transe amoureuse, comme Pierre Manent, ne rend pas le phénomène moins choquant.
Car, si la France et les Français ont évidemment des défauts, et si l’Allemagne peut à juste titre se prévaloir de grandes réussites, la France et les Français n’ont sûrement pas à rougir de la comparaison avec leur voisin d’Outre-Rhin, sauf peut-être, justement, depuis les dernières décennies, depuis que nos élites ont été saisies de l’obsession de « combler notre retard » sur l’Allemagne, c’est-à-dire de la singer le plus possible. Sur le temps long, l’apport de la France au génie de l’Occident, sa contribution dans les domaines artistique, scientifiques, politiques nous autorise sans aucun doute possible à nous considérer comme les égaux de l’Allemagne, et même sans doute à la regarder un peu de haut.
Quant aux traditions militaires de la France et à la gloire dont nos armées se sont couvertes au cours des siècles, l’Allemagne ne nous arrive simplement pas à la cheville, même si nous avons tendance à l’oublier à cause de la stupéfiante défaite que nous avons subie face aux Allemands en mai 1940.
Certes, à partir de la fin du 19e siècle, l’Allemagne est devenue un colosse, qui a bien failli nous détruire. Mais précisément, l’Allemagne est très certainement le pays d’Occident qui a fait le plus mauvais usage de sa puissance au cours du siècle écoulé, et peut-être au cours de tous les siècles (la Russie pourrait éventuellement lui disputer la palme, mais l’appartenance de la Russie à l’Occident est sujette à débat).
Ce mauvais usage ne justifie pas, sans doute, que les Allemands doivent faire pénitence jusqu’à la trente-sixième génération, mais il justifie assurément que nous ne soyons pas éperdus d’admiration devant nos voisins. Nous sommes payés pour savoir que « l’Allemagne » n’est pas un bien sans mélange, pour dire le moins.
« Il nʼy a jamais eu de couple franco-allemand », écrit Pierre Manent, « Il y a eu une réconciliation franco-allemande qui a été conduite de manière à la fois politiquement judicieuse et humainement noble. Il est légitime dʼy voir un des moments les plus significatifs de la formation de lʼamitié européenne. Dans cette démarche où la composante chrétienne fut présente des deux côtés, les deux protagonistes ne cessèrent pas dʼêtre deux nations guidées par leurs intérêts respectifs et le souci de leur liberté dʼaction. »
Cela, certainement, était le cas au début de cette réconciliation voulue par le général de Gaulle. Mais depuis bien longtemps maintenant les gouvernements français ont abandonné cette posture équilibrée et réaliste pour déférer aux demandes de l’Allemagne avec une absence choquante de considération pour les besoins et les intérêts réels de la France.
Nous nous en rendons compte aujourd’hui, et bien tardivement, au sujet du marché de l’électricité et des énergies renouvelables ; de même que nul n’ignore qu’une des raisons essentielles, bien que tacite, de la réforme des retraites actuellement en préparation est que l’Allemagne juge celle-ci absolument nécessaire (à tort ou à raison, c’est un autre sujet) ; et l’on pourrait multiplier les exemples.
« Atomkraft ? Nein, danke » : tel était le slogan des écologistes allemands à la fin des années 1970. L’Allemagne, pour des motifs largement irrationnels, n’a jamais développé l’énergie nucléaire sur son territoire, ce qui après tout était son droit le plus strict. La France a fait de tout autres choix, dictés par ses intérêts et ses possibilités propres, et notre filière nucléaire était un chef-d’œuvre de volonté et d’ingéniosité des générations d’après-guerre. La fascination exercée par l’Allemagne sur nos élites, et la soumission aussi servile qu’incompréhensible à ses volontés, a conduit à gaspiller cet atout précieux. Il serait grand temps que nous retrouvions nos sens, avec eux la fierté légitime d’être Français, et que nous disions : « L’Allemagne ? Non merci. » ■
Précédemment paru sur la riche page Facebook de l’auteur (23 janvier).
Aristide Renou
À lire dans JSF le dernier Lundi de Louis-Joseph Delanglade…
Les Allemands ont quelques avantages sur nous: disciplinés, grégaires, organisés, par contre la FRANCE de nos dirigeants temporaires dispose de l’arme nucléaire et du droit de véto à l’ONU, sachons utiliser nos avantages et celà ira mieux