PAR RÉMI HUGUES.
Article en 5 parties, publiées du mardi 24 au samedi 28 janvier 2023.
Personne ne peut nier qu’en ce moment le fond de l’air est à la guerre, et non à la paix. Ce texte du philosophe de Königsberg – aujourd’hui exclave russe de Kaliningrad – vient compléter la non moins substantielle Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique. Le second, publié en 1784 a paru un an avant le premier. Ensemble ils forment le fondement théorique de l’école libérale de géostratégie, que le monde anglo-saxon nomme liberal-institutionnalism, dont les deux piliers sont la gouvernance globale et l’intégration régionale, qui a été initiée en Europe dans les années 1950 au travers de la construction européenne.
Le grand mythe de cette approche des relations internationales est celui du doux commerce, vilipendé à raison par Éric Zemmour. Dans Vers la paix perpétuelle, Kant soutient que la nature, « en se servant de l’intérêt réciproque des différents peuples […] opère entre eux une union que la seule idée du droit cosmopolitique n’aurait pas suffisamment garantie contre la violence et la guerre. Cet intérêt est l’esprit de commerce qui ne peut s’accorder avec la guerre et qui, tôt ou tard, s’empare de chaque peuple. »[1]
Sauf que, pour singer la maxime très célèbre de Clausewitz, l’économie est la guerre continuée par d’autre moyens.
Tant Karl Marx et sa théorie de la lutte des classes, qu’il reprit au comte de Boulainvilliers par l’intermédiaire des travaux d’historiens, de Guizot et Augustin Thierry, que Napoléon Ier, qui institua un blocus contre l’Angleterre, ou John D. Rockefeller et ses pratiques immorales (concussions, intimidations) lui ayant permis de devenir, via sa Standard Oil, le roi du pétrole, témoignent par leurs œuvres ou par leurs actes, que la guerre économique n’est en rien un oxymoron.
Le 1er mars 2022 sur Twitter, le vice-président du Conseil de sécurité russe Dmitry Medvedev l’a rappelé au locataire de Bercy Bruno Le Maire en ces termes : « Un ministre français a dit aujourd’hui qu’ils nous avaient déclaré la guerre économique. Faites attention à votre discours, Messieurs ! Et n’oubliez pas que les guerres économiques dans l’histoire de l’humanité se sont souvent transformées en guerres réelles ».
Aussi étrange que cela puisse paraître, le lieu par excellence de la violence est l’économique, dans la mesure où cette activité ne connaît jamais de pause, au contraire de la guerre au sens strict du terme, qui – Dieu merci – est par intervalles remplacée par la paix.
Violence qui s’exerce sur l’ouvrier, qui doit travailler pratiquement toute une vie pour reproduire sa force de travail, avec à son terme une maigre pension de retraite, quand une poignée de marchands d’argent, qui dans la France de 1789 s’appelaient Walter Boyd (lié au « Foreign Office »[2]), Perregaux, Proli, Eulogius Schneider, Gusman, Pereyra ou Frey, s’enrichit considérablement de façon indue au moyen des prêt à intérêt.
Mais violence qui s’exerce aussi sur le consommateur, lequel subit, à travers le matraquage de la publicité, une véritable coercition d’ordre psychologique. Pour Pier Paolo Pasolini l’arrivée de la télévision, consubstantielle à l’émergence de la « Société de consommation », produisait une aliénation sur les masses telle qu’il allant jusqu’à employer le vocable si lourd de sens de « fascisme » pour qualifier un tel phénomène historico-social. Et face à ce péril d’en appeler à l’Église de Rome, à son pape, ses évêques, ses prêtres et ses diacres, seul pouvoir constitué apte selon lui à contrer cette subversion civilisationnelle[3].
Le président Macron, s’il ne veut pas passer pour Tartuffe, devrait tirer des enseignements du livre qu’il a donné au souverain pontife François.
Quel décalage entre sa politique économique, qui a fait grimper le niveau d’endettement national à des sommets jamais atteints, et cette réflexion qui y est contenue. Kant estime que le « système de crédit consistant à accroître indéfiniment les dettes […] confère à l’argent une puissance dangereuse, c’est, en effet, un trésor tout prêt pour la guerre. […] Cette facilité à faire la guerre, jointe au penchant qui y pousse les souverains et qui semble inhérent à la nature humaine, est donc un grand obstacle à la paix perpétuelle »[4]. ■ (À suive).
[1]Paris/Saint-Maurice, P.U.F./Éd. St-Augustin, 1974, p. 127.
[2]Albert Soboul, La Révolution française 1789-1799, Paris, Éditions sociales, 1951, p. 258.
[3]Voici quelques passages de ses Écrits corsaires (Paris, Flammarion, 1976) : « Aucun centralisme fasciste n’est parvenu à faire ce qu’a fait le centralisme de la société de consommation. » (p. 49) ; « L’idéologie précédente voulue et imposée par le pouvoir était, comme on le sait, la religion : le catholicisme était en effet formellement l’unique phénomène culturel qui “unifiait” les Italiens. Aujourd’hui, il est devenu concurrent de ce nouveau phénomène culturel “unificateur” qu’est l’hédonisme de masse » (p. 50).
[4]Ibid., p. 81.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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