PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cet article est paru dans Le Figaro du samedi 4 février. L’analyse de Mathieu Bock-Côté porte sur les soubassements idéologiques, politiques et économiques, du phénomène migratoire massif. Son sujet n’est pas ici, nous l’entendons bien, de nous alerter sur les diverses autres sources d’altération identitaire du pays, celles-ci existent pourtant aussi et sont tout à fait redoutables. Nous pensons surtout à l’invasion de la sous-culture – esthétique, morale, linguistique,… – qui nous vient de puissante courants de déculturation nord-américains ou, de plus en plus, afro-américains qui s’insinuent dans nos vies individuelles et sociales de façon tout à fait massive. C’est sur divers fronts que la personnalité française est ainsi menacée, attaquée, dénaturée. Québécois, Mathieu Bock-Côté ne l’ignore évidemment pas.
CHRONIQUE – Certains affirment que l’immigration assurerait la pérennité de la « culture française ». Les tenants du régime diversitaire réemploient quand cela les arrange les réalités qu’ils ignorent habituellement.
Un pays n’est pas qu’une construction sociale artificielle, il repose sur un substrat identitaire s’inscrivant dans la longue durée démographique. Il se peut que le régime diversitaire le sache, et juge cela intolérable.
Que l’essentiel du débat à venir sur le projet de loi immigration porte sur la question des « métiers en tension » en dit beaucoup sur la cécité sociologique des temps présents. Alors que les crises engendrées par des mouvements de population inédits à l’échelle de l’histoire se font toujours plus nombreuses, ses promoteurs se contentent d’y voir un instrument d’ingénierie sociale pour répondre aux besoins ciblés immédiats de certains secteurs de l’économie. Sans gêne, des commentateurs passent en boucle sur les plateaux télé pour expliquer que les immigrés sont appelés à exercer les métiers pénibles dont ne voudraient pas les Français, et moins encore les « Français de souche », dont on redécouvre de temps en temps l’existence, quand vient le temps de les mépriser.
La culture française elle-même dépendrait de cette immigration de travail à bon marché, un député de la majorité n’hésitant pas à affirmer, sur le mode du chantage identitaire, que sans elle, il n’y aura plus de blanquette de veau dans les restaurants de France. On a aussi entendu que sans elle, il ne restera plus de prêtres en France. Il nous avait échappé, comme à d’autres, probablement, que l’immigration massive avait d’abord pour fonction ou du moins surtout pour effet de maintenir la culture française dans ce qu’elle a de plus caractéristique, et de préserver son identité catholique. C’est donc grâce à l’immigration massive que la France demeurerait fondamentalement française, qu’elle assurerait sa continuité historique. Il fallait y penser. Mais le régime diversitaire n’est jamais à un argument orwellien près.
Au-delà de la moquerie, on se questionnera, avec d’autres, sur la conception de l’être humain et de la société sur laquelle repose le projet de loi immigration. L’homme n’est-il vraiment, comme le croit le patronat, qu’un agent économique nomade, qu’on peut faire venir de l’autre bout du monde, pour lui faire accomplir une tâche dans un pays qui n’est pas spontanément le sien, et qui ne le deviendra pas simplement par décret administratif ? Croit-on vraiment qu’il arrive sans culture, et s’il arrive avec des milliers de ses compatriotes, qu’il arrive sans une mentalité collective irréductible ? Comment ne pas y voir une conception quelque peu mécanique et désincarnée de la vie sociale, comme si au « système-France », il manquait des pièces de rechange, qu’on allait chercher ailleurs ?
Neutraliser le peuple historique
Une nation n’est pas qu’une société, tenue par un vivre-ensemble technocratique cherchant à recoller des communautés disjointes tellement leurs cultures sont contrastées, au point d’être quelquefois incompatibles. Elle n’est pas non plus qu’un marché. Mais notre temps ne croit plus aux civilisations, et ne croit donc plus leur choc possible. Les théories généralement admises sur la nationalité sont désormais caduques. La disjonction entre la nationalité juridique et le peuple historique déréalise complètement l’identité collective. On en vient même à reprocher au second de vouloir demeurer la culture de référence en son pays, que l’on traduit même en prétention suprémaciste. On nomme désormais « populisme » et « extrême droite » ce refus de se faire exproprier de son pays.
Quand on change la population d’un pays, on transforme son identité profonde. Un pays ne saurait être indifférent à la population qui le compose. Si le Danemark était peuplé de Japonais, il ne s’agirait plus du Danemark, mais d’une extension du Japon. Si l’Estonie était peuplée de Russes, il ne s’agirait plus de l’Estonie, mais d’une extension de la Russie. On aura compris cette logique, qui relève de l’évidence. Mais pour reconnaître cette évidence, encore faut-il savoir qu’un pays n’est pas qu’une construction sociale artificielle, qu’il repose sur un substrat identitaire s’inscrivant dans la longue durée démographique. Il se peut que le régime diversitaire le sache, et juge cela intolérable. Peut-être est-ce pour cela qu’il cherche autant qu’il peut à le neutraliser, à le dissoudre, et pour cela, à le « minoriser ».
Mais n’est-il pas possible d’intégrer les nouveaux arrivants ? Certes. La nation, heureusement, n’est pas une entité imperméable. Mais le régime diversitaire sape les conditions objectives de l’assimilation, en traitant comme une variable mineure la question du nombre, en plus d’oublier que plus la distance culturelle est grande entre l’immigré et la société d’accueil, et plus elle sera difficile à combler. On doit aussi garder à l’esprit que plus la France doute de son identité, et plus elle peinera à l’imposer. La réduction de l’identité française aux seules « valeurs républicaines » participe à cette fragilisation. Il faudrait une véritable révolution intellectuelle pour aborder la question autrement. Pour l’instant, elle demeure frappée d’un interdit symbolique et moral. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.