PAR RÉMI HUGUES.
Article en 7 parties, publiées du mardi 7 au lundi 13 février 2023. Étude à la lisière des domaines politique et religieux, qui, naturellement, peut donner lieu à débat.
« De ce foisonnement du paraître résultent les couples de noms, les dyades de tout sentant et de tout senti »[1] : la notion de dyade est constitutive de la conception de l’étant proposée par Pierre Boutang[2], et Youssef Hindi, qui révère un livre appelé Coran dans lequel, au verset 3 de la sourate XIII appelée « Le Tonnerre », il est écrit que Dieu « a établi les deux sexes dans tous les êtres produits », écarte l’interprétation moniste du katechon, lui préférant une vision en dyade, si l’on peut dire, autrement dit dualiste : à la fois Chrétienté et Islam, ce qui revient à placer l’Europe, l’Afrique du Nord, ainsi qu’une bonne partie de l’Asie dans un même ensemble territorial.
Se superposent, selon cette approche, deux immensités : de Galway à Vladivostok d’une part, et du Maroc à l’Indonésie d’autre part. Cette puissance duale censée faire obstacle aux desseins de l’Antéchrist a vocation à transcender les fractures qui de nos jours affectent gravement cette zone de la planète : Union européenne face à la Russie et sunnites contre chiites.
Mais cela nous amène à aborder un autre point traité par Youssef Hindi : la question du Messie. Voici sa thèse en la matière : « selon les eschatologies chrétienne et musulmane le Messie qu’attendent les juifs est l’Antéchrist. […] Par conséquent, si le Messie des juifs est l’Antéchrist, l’adversaire qui cherche à renverser l’ordre de Dieu sur terre, il a logiquement vocation à subvertir tout empire chrétien »[3].
Il point de du doigt qu’il existe des affinités entre le messianisme eschatologique chrétien et musulman. « La conception musulmane de la fin des temps comporte quelques aspects qui rappellent le christianisme », notait également l’universitaire devenu abbé Patrick de Laubier[4].
Bien que saint Paul soit présenté comme un grand falsificateur par l’islam – comme l’atteste ce passage du Traité moderne de théologie islamique signé Hamza Boubakeur : « La métamorphose du christianisme s’est réalisée grâce aux écrits et au prosélytisme de Paul, celui-là même qu’on avait accusé de duplicité. […] C’est donc après une transformation interne de la doctrine de Jésus devenue paulinienne que les Évangiles qui normalement auraient dû la précéder, ont pu être composés »[5] – les deux professent le retour de Jésus à la fin des temps.
Saint Paul en parle dans la seconde épître aux Thessaloniciens, l’appelant Avènement (II Th : II : 1) ou Jour du Seigneur (II Th : II : 2). Dans la sourate XLIII « Les Ornements » on peut lire : « En vérité le retour de Jésus sera un signal de l’arrivée de l’Heure. N’en doutez pas et suivez-moi. Là est la voie droite ! » L’islam précise que le-Jésus-du-Second-Avènement sera secondé par le l’imam Mahdi, ce qui veut dire « Bien-guidé ». Du moins un certain islam : il existe également une tradition islamique qui, s’appuyant sur le hadîth (parole rapportée du prophète Mohamed) de Hasan Basrî, affirme : « Pas de Mahdi, sinon Jésus ».
Commentant les prophéties sur le « Grand Monarque »[6], substrat sur lequel est fondé le royalisme providentialiste, René Guénon précisait ceci : « La partie relativement valable des prédictions dont il s’agit semble se rapporter surtout au rôle du Mahd’ et à celui du dixième Avatâra »[7]. Ce qui revient à identifier et le Grand Monarque et le Mahdi à la personne du Christ. ■ (À suive).
[1]Idem.
[2]Arrêtons nous sur un autre passage de son livre : « Et nous savons que cette émission est couplée, de telle sorte que chaque paraître devient une aventure singulière, “symétrique”, puisqu’il faut l’élément actif et le passif », idem. Cette précision, à savoir qu’à l’intérieur de la dyade il existe une différence, entre l’élément actif et le passif, conduit à envisager que la dyade est elle-même dyade. Pour le dire autrement, il y a deux types de dyade. Celles qui se caractérisent par une différence entre ses deux pôles, l’un étant actif et l’autre passif – ou positif et négatif –, par exemple : « Ténèbre-Lumière, humide-sec, féminin-masculin, nuit-jour » (p. 43) ou bien « veille et sommeil – parole et silence – mémoire et oubli – et non, le moindre secret, larmes et sourire » (p. 20).
Mais aussi celles qui se caractérisent par l’équivalence, chacun des deux pôles étant au même niveau, égal à l’autre, comme la dyade Messie. René Guénon explique dans Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps qu’« une dualité […] peut, quant à la situation de ses termes l’un par rapport à l’autre, se disposer dans un sens vertical ou dans un sens horizontal ; ceci résulte immédiatement du schéma crucial du quaternaire, qui peut se se décomposer en deux dualités ». Pour la dualité verticale, ses deux points, ou éléments, sont deux extrémités, deux directions d’un axe. Quant à la dualité horizontale, elle est composée de « deux éléments qui se situent symétriquement de part et d’autre de ce même axe. »
De surcroît Guénon soutient que « c’est seulement dans la dualité verticale que les deux termes se distinguent nettement l’un de l’autre par leur position inverse, tandis que, dans la dualité horizontale, ils peuvent paraître tout à fait semblables ou équivalents quand on les envisage séparément, alors que pourtant leur signification n’est pas moins réellement contraire dans ce cas que dans l’autre. On peut dire encore que, dans l’ordre spatial, la dualité verticale est celle du haut et du bas, et la dualité horizontale celle de la droite et de la gauche », Paris, Gallimard, 1972, p. 198-199.
[3]https://strategika.fr/2022/08/18/le-katechon-dans-le-christianisme-et-lislam/
[4]L’eschatologie, Paris, P.U.F., 1998, p. 71.
[5]Cité par Annie Laurent, L’islam, Paris, Artège, 2017, p. 189.
[6]Deux saints, Augustin et Rémi, ont fortement contribué à la diffusion de ce mythe. Le premier a indiqué : « Quelques-uns de nos docteurs disent qu’un roi franc possédera un jour l’empire romain dans toute son étendue. Ce jour viendra dans les derniers temps du monde ; il sera le plus grand et le dernier de tous les rois. Il rendra l’âme à Jérusalem, sur le mont des Oliviers », cité par Jean Phaure, Le cycle de l’humanité adamique. Introduction à l’étude de la cyclologie traditionnelle et de la fin des Temps, Paris, Dervy, 1994, p. 577-8. Ce qui est très proches des paroles attribuées à l’évêque de Reims baptiseur de Clovis : « Vers la fin des temps, un descendant des rois francs régnera sur tout l’empire romain. Il sera le plus grand des rois de France et le dernier de sa race. Il arrivera comme par miracle. Il sera de la vieille Cape. Le trône sera posé au midi. Après un règne des plus glorieux, il ira à Jérusalem, sur le mont des Oliviers, déposer sa couronne et son sceptre, et c’est ainsi que finira le saint empire romain et chrétien. », cité par ibid., p. 578.
[7]René Guénon, op. cit., p. 248.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
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