Par Pierre Builly.
120 battements par minute de Robin Campillo (2017).
Le masque de la mort rose.
Je me méfie assez des films trop unanimement appréciés et couverts d’un nombre invraisemblable de prix et de récompenses : quand tous le jurys, toutes les académies, tous les groupements et syndicats de journalistes ou d’auteurs font pleuvoir sur un film, un réalisateur et des acteurs un déluge de mentions et de célébrations, on peut souvent se dire qu’il y a anguille sous roche. Et même qu’on n’a pas osé faire moins lorsqu’a été mise en scène une cause jugée incontestable (en tout cas non-critiquable en soi) et la réalité de drames humains survenus. Et si je renonce à citer tout ce qu’a obtenu 120 battements par minute, dont la liste est impressionnante, il faut tout de même citer le Grand prix du Jury et le Prix de la critique internationale au festival de Cannes et six Césars 2018, dont celui du meilleur film et celui du meilleur scénario.
J’ai donc regardé avec une certaine circonspection, mais aussi avec de la curiosité. Le récit du combat de l’association Act’up pour, selon elle, réveiller les Pouvoirs publics, la recherche médicale et l’opinion publique et la mobiliser contre les ravages du SIDA n’est pourtant sans doute pas de ceux qui me passionnent a priori. Autant le dire, je suis depuis toujours aussi stupéfait que des hommes puissent en regarder d’autres avec désir et ce désir, dont je ne conteste pas l’existence, m’est mystère absolu. Mais enfin, je suis bien obligé de constater que certains des écrivains que j’admire le plus, Marcel Proust, André Gide, Henry de Montherlant, Louis Aragon (et bien d’autres) ont eu ce goût pour leur propre sexe et que cette détermination semble être aujourd’hui largement admise.
Mais je ne comprends pas davantage que des humains, voire des proches, aiment vivre à la campagne ou soient végétariens ou abstinents ; de la même manière, je tente de ne pas porter de jugements de valeur. Chacun vit sa vie personnelle comme il l’entend (et surtout comme il peut) marqué bien davantage par une suite de contraintes que de choix. Je ne dirais pas la même chose sur le plan sociétal, mais ceci est naturellement un autre sujet.
Venons-en au film de Robin Campillo qui présente d’une façon assez documentaire l’action d’Act’up au début des années 90, y compris, selon ce que j’ai lu, dans l’entrelacs des parcours individuel de ses personnages, tous inspirés de militants ayant réellement existé. Il fait alterner histoire du groupe et histoire de deux de ses membres, Sean (Nahuel Pérez Biscayart) et Nathan (Arnaud Valois).
La vie du groupe est constituée d’assemblées générales, de réunions hebdomadaires extrêmement régulées, où on lève la main pour prendre la parole, où on applaudit l’intervenant en claquant des doigts (les applaudissements perturbant, paraît-il, la bonne tenue des débats), où l’on rend compte des travaux de chacune des commissions et notamment de la commission médicale qui expose de délicats travaux de recherche scientifique. Mais cette vie est également marquée par des fêtes orgiaques (on peut comprendre que, tant à faire, on ait envie de danser sur un volcan) et par le défilé débridé de la Gay pride.
Il y a aussi des actions publicitaires très spectaculaires où les militants font irruption en vociférant dans des colloques ou des entreprises pharmaceutiques dont les locaux sont arrosés de poches de faux sang (fabriqué artisanalement dans des baignoires entières). Ma foi, pourquoi pas ? On sait bien que pour se faire entendre et contrairement à ce qu’on veut nous faire accroire, il faut crier le plus fort possible.
L’histoire de Sean, séropositif radical et de Nathan, séronégatif séduit par son partenaire emplit peu à peu l’écran, s’impose graduellement, au fur et à mesure que Sean descend vers la mort. Étonnante performance d’acteur, au demeurant, que celle de Nahuel Pérez Biscayart dont on voit de manière saisissante la dégradation physique, du jeune homme plein de grâce au malheureux garçon amaigri aux yeux creux de la fin. Campillo fait bien sentir, me semble-t-il, ce qu’a pu être l’angoisse de tous ces jeunes hommes (les filles sont ultra minoritaires) qui apprenaient chaque semaine la disparition de l’un ou l’autre de leurs amis…
Cela dit, le film est tout de même beaucoup trop long (2 heures 20) et très répétitif dans toutes les scènes du groupe ; en élaguant plusieurs séquences, le réalisateur aurait fait gagner du rythme, au détriment, peut-être de la dimension historique mais au bénéfice de la qualité du récit. Puis je me serais bien passé de la longueur et de la complaisance des scènes de sexe. Et enfin je m’interroge encore (mais cela rejoint sûrement mon incompréhension totale de la mentalité homosexuelle) sur ces dernières scènes où Nathan (Arnaud Valois), qui vient donc de perdre Sean, qu’il aimait, demande à Thibault (Antoine Reinartz), président d’Act’up que Sean détestait mais qui est venu s’incliner devant sa dépouille, de passer la première nuit de deuil avec lui. Et on baiserait et tout ? demande Thibault ; Bien sûr ! répond Nathan. Ce qu’ils font. Ça m’a un peu glacé. ■
DVD autour de 10 €.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Très bel article sur un sujet qui peut être dérangeant dans. la société normative actuelle !
Et une nouvelle fois, merci à JSF de la diversité des sujets, de leur présentation et mise en page, des auteurs… bref, c’est parfait !!! Ce qui nous change des articles de la faute à rousseau totalement moribond !
Autour de la question «sociétale» évoquée par Pierre Builly concernant l’homosexualité, en l’occurrence, masculine, je vais me permettre d’afficher ici quelques aperçus, dont je suis bien sûr qu’ils pourraient faire hérisser le poil de toute personne «convenable» et/ou «raisonnable», mais je crois que la recension de Pierre Builly m’autorise sensiblement à en faire état ici…
Comme préalable, je dois préciser que ma «connaissance» de certains milieux homosexuels ne tient pas du tout à ce que j’eusse pu jamais «pratiquer» mais au fait tout naturel que j’y ai noué de profondes amitiés.
La première donnée à évoquer tient au climat érotomaniaque dans lequel vivent la plupart (si ce n’est la totalité) des homosexuels masculins, climat érotomaniaque qui justifie «documentairement» les scènes complaisantes que déplore à demi-mots Pierre Builly et, surtout, la complaisance finale qui l’a sensiblement «glacé», dit-il… Cette érotomanie tient au phénomène débridé de la lubricité masculine qui se permet tous les excès, dès lors qu’elle n’est plus tempérée par le contact avec la pudeur féminine. On se gaussera sans doute de ma confiance en la pudeur féminine, d’aucuns voulant arguer qu’il existe une pendante lubricité dans l’autre genre. Pour ma part, je le nie véhémentement, sauf perversité provoquée, quasi chimiquement (quoique ce fût sociétal, précisément), mais c’est une tout autre question que celle qui m’occupe ici.
Par définition, l’homosexualité suppose des rapports entre «les mêmes», «entre soi», au sens épidermique du terme. Ce qui exclut toute nécessité, sociale et/ou cordiale, de «politesse» : on peut se montrer grossièrement tel que l’on est, sans risquer en rien de choquer son prochain immédiat. Alors, grossier se présente-t-on.
La grossièreté consiste à répandre complaisamment ce qui ne nous distingue pas du troupeau auquel on se sent appartenir, en l’occurrence, celui de la «préférence sexuelle», si bien que cela conduit à porter grossièreté et préférence à la puissance à laquelle elles se portent respectivement.
Pour avoir fréquenté d’extrêmement près certaines personnalités de ces milieux, pour être moi-même assez peu enclin à jouer à la virilité masculine en société, je pouvais donc passer pour un «semblable», si bien que les attitudes n’étaient pas tempérer par la présence d’un élément qui aurait pu être tenu pour exogène à l’espèce réunie. Ce qui m’a le plus frappé alors (et cela remonte à mes 17-18 ans), c’est l’effroyable misogynie de cette gent, misogynie d’autant plus incompréhensible pour moi que, à l’époque, j’entendais à peu près toutes les femmes vanter leurs amis homosexuels en ce qu’ils leur apparaissaient comme dénués de toute espèce de «machisme» (pour le dire aussi vite qu’on pourrait dire aujourd’hui). Eh bien non ! C’est tout le contraire ; or, au fond, cela n’a besoin d’aucune explication supplémentaire.
Je veux exposer ici en quoi les homosexuels masculins se situent aux exactes antipodes de toutes les qualités féminines, en ceci qu’aucune de celles-ci ne saurait les attirer en quelque manière, sauf, peut-être et pour faire un peu dans le «psychologique», celles maternelles ; mais nul d’entre eux n’est la mère de quiconque en ces lieux, du moins tant qu’il ne prend pas fantaisie à de diaboliques charlatans de prétendre à la susceptibilité d’un bonhomme «enceint», lequel prétendu, quoi qu’il en soit ne saurait être qu’une femme, dont on pourrait dire (comme dans «Bourrée de complexes», la chanson de Boris Vian) : «elle a changé d’sexe», au seul prétexte qu’elle aurait subi diverses interventions chimiques mais, cependant, sans outrepasser certaines chirurgies et hormonothérapies qui l’eussent rendue stérile – avec le juste accord grammatical en genre car, en pareille potentialité de gestation, il s’agit biologiquement d’une femme, cela va sans dire.
On m’objectera le caractère efféminé de certains homosexuels… Je répondrai par ceci que, là où j’ai pu entendre chanter les tons les plus débraillés quant aux femmes, ce fut parmi des travestis (constants ou épisodiques), c’est-à-dire parmi les plus “efféminés” individus concernés. Néanmoins, il est vrai que, «en société» (comme on dit), pour les femmes, le commerce avec des homos est autrement plus agréable qu’avec le tout venant de leurs corollaires hétéros ; pour commencer, elles n’auront pas à souffrir l’œil lorgnant le décolleté ou jaugeant sous la ceinture…
Il n’y a pas de réelle «efféminisation» chez l’homosexuel, mais une comédie (au sens non péjoratif), un jeu, une interprétation, une mimique stratégique, une théâtralité mimétique et, surtout, quelque chose de déconcerté d’avec le «moi», et c’est là le point crucial de la disposition, car à ce point-là, la disposition cesse d’être seulement «sexuelle» : elle devient susceptible de toucher à une dimension supérieure… C’est cette dimension supérieure, dont on peut trouver des bribes d’explicitation ontologique chez Platon (car le haut sens de «l’amour platonique» n’a évidemment rien à voir avec ce que l’on imagine vulgairement), je dis bien des «bribes», parce que, une fois dépassé le banal (et, parfois, sordide) individualisme humain, cela touche à des régions élevées de la conscience, régions dans lesquelles quiconque y accède se trouve ipso facto délié de nombre des entraves qui l’empêchait de se dépasser lui-même…
Cela signifie que, là où l’on rencontre assurément la plus extrême grossièreté, il nous est donné d’espérer que soit enfoui ce qui nous en affranchira définitivement…
Il serait impudique de donner le moindre exemple des «exercices» ou «phénomènes» de passage de la grossièreté que l’on dit à la pureté – du reste, cela est interdit – mais ce sont des faits : faits de grossièreté, qu’il vaut mieux taire, quoique sans pudibonderie puritaine ; faits de pureté que l’on ne saurait savoir énoncer, sauf à se trouver en quasi état de grâce. Pour comprendre ce qui est difficilement formulable, on se rappellera que d’aucuns ont cherché à assimiler certains états qualifiés de «mystiques», telles les extases de sainte Thérèse d’Avila, à des espèces d’orgasmes, ce qui est doctrine strictement blasphématoire et passible du bûcher. Alors, comme disait Hérodote, sur cela, il convient de se taire.
Une critique qui témoigne de la qualité et de la variété des articles de JSF. Bravo à Pierre Builly !
Ce n’est pas sans une certaine perplexité que j’ai lu le compte rendu de Pierre Builly sur « 120 battements par minute ».qui est manifestement un film militant. Un film engagé pour une cause, aussi estimable, soit -elle, c’est pour moi un oxymore : le cinéma étant par nature l’art du sensible, quel que soit sa cause il est défiguré par le militantisme, qui défigure les rapports humains. Il va à l’inverse de sa démarche, qui est révélation des visages qu’il transcende dans un opéra musical ou figuré. André Cayatte n’est pas un cinéaste. ( Cota Gravas idem ) Hitchcock, si.
On va me rétorquer que « Vaincre et mourir » serait à ranger dans cette case ; Et bien justement non, à mon avis. A partir de faits réels, ignorés en général du grand public, « Vaincre et mourir » est un récit, un film épique, qui tourne autour de Charette personnage charismatique, mais complexe, vrai héros, qui choisit la fidélité et l’honneur. ( Sa conception) Si on y regarde de près ce film n’est pas manichéen et ne sombre pas dans le militantisme puéril puisqu’il laisse la porte ouverte à ceux des Vendéens qui croient un accommodement possible avec cette république moyennant quelques concessions fragiles et peu sincères. Par ailleurs certains républicains, non caricaturés, témoignent aussi de quelque humanité en cherchant bien.
Pfeiffer l’Alsacien de l’armée républicaine, qui rallie Charette , ne le fait pas par idéologie royaliste, mais par son souci de trouver une relation vraie avec son chef, basée sur ses valeurs. .
Non sans subtilité David Gaettegno observe que très souvent le milieu décrit par le film cité est en fait machiste car il a rompu avec la pudeur féminine. Reste le sexe comme ultime recours ce qui glace Pierre Builly..
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Cher Henri, il est des films militants de qualité, d’autres qui ne sont que dérisoires… On ne va pas aller loin : Eisenstein d’un côté de la barricade politique, Leni Riefensthal de l’autre : deux cinéastes immenses.
Mais il est vrai que Cayatte ou Boisset, c’est du sous-,niveau.
Cher Pierre, exact , mais on reprendra cette discussion une autre fois pour ne pas encombrer les autres commentaires. Je maintiens qu’il ya aussi une hierarchie au cinéma.