Ce grand entretien avec Andréï Makine, de l’Académie française – réalisé par a été publié hier, mercredi 22 février, dans le Figaro. Nous ne pouvions pas manquer de le publier sans tarder considérant son importance et sa qualité. Il a le mérite à a fois d’une sorte d’implication personnelle au conflit russo-ukrainien et du déchirement intime qu’elle induit ; et d’autre part, de nouveau, le mérite de la hauteur de vue et d’une noblesse d’esprit et de sentiment qui nous tirent des griffes sans cesse actives des propagandes croisées, de leurs mensonges les plus grossiers, des querelles de chiffres, des misérables arguties de boutiquier qu’on nous sert en continu. En continu, c’est le cas de le dire. Ce qu’Andreï Makine nous expose ici sur le caractère de quasi guerre civile du conflit russo-ukrainien est très proche des sentiments dont Vladimir Fédorovski nous a fait part à Marseille lors de ses deux conférences organisées par l’Union Royaliste Provençale dans les derniers mois. Fils d’un héros ukrainien et d’une mère russe, de cette double appartenance nait le même déchirement qui affecte Andréï Makine. La noblesse de ces hommes est à saluer. Y compris au nom de ce qu’il reste d’héritage et de Tradition, au cœur encore battant de l’Occident déchu.
GRAND ENTRETIEN – Hostile à toute logique d’escalade, l’académicien franco-russe espère qu’une issue pacifique sera trouvée au conflit.
Bien qu’écrit avant le début de la guerre, le nouveau roman d’Andreï Makine., L’Ancien Calendrier d’un amour (Grasset), fait écho au conflit entre la Russie et l’Ukraine. L’académicien franco-russe, Prix Goncourt 1995, confie vivre cet affrontement comme un tiraillement intime, soulignant la proximité culturelle entre les deux pays. Son propos, qui épouse la rhétorique antiaméricaine*, illustre l’état d’esprit d’une partie des Russes, nourri de nostalgie impériale.
* L’expression est du Figaro
LE FIGARO. – Votre roman, qui nous replonge dans les tumultes du XX siècle, a été écrit avant le début de la guerre en Ukraine, pourtant les parallèles entre les deux époques sont frappants. L’histoire se répète-t-elle?
Je vis ce conflit comme un déchirement insoutenable – trop de liens amicaux m’attachent à la Russie et à l’Ukraine, et c’est le cas de la grande majorité des Russes et des Ukrainiens.
Andreï MAKINE. – Le livre parcourt tout le XXe siècle, revécu à hauteur d’homme, et le drame ukrainien d’aujourd’hui transparaît certainement dans la vie du héros principal, Valdas Bataeff, qui a traversé la révolution russe, la chute de l’empire et la guerre civile – sa terrible conséquence.
L’impression de «prescience» ou même de «prophétie» vient toutefois non pas de la volonté de jouer les cassandres mais de la nature même de la création littéraire: contrairement aux commentaires actualistes, l’écrivain explore les profonds soubassements historiques et les constantes de l’esprit humain – des phénomènes plus solides, sinon intangibles, et qui font penser à la répétition du même. Oui, l’histoire se répète, d’abord comme une tragédie, disait Marx, ensuite comme une farce. Mais qui oserait, de nos jours, évoquer la farce devant tant de morts et de souffrances ?
Après l’ami arménien, c’est la deuxième fois que vous êtes rattrapé par l’histoire ?
Vous voyez bien que la meilleure manière de «prédire» l’histoire est de ne pas coller à son flux capricieux. Ainsi le destin d’une petite communauté arménienne, arrivant en Sibérie au milieu des années 1970, reçoit-il un écho douloureux et atrocement actuel face au conflit dans le Haut-Karabakh, un désastre presque occulté aujourd’hui par ce qui se joue au Donbass.
L’Occident avait-il oublié que l’histoire est tragique ? La violence de l’histoire est-ce le destin de la Russie ?
Pour l’Occident, il s’agit plutôt du refus de s’identifier à l’autre, de comprendre ses intentions, ses craintes, ses réflexes. Cet autre peut être votre rival ou votre ennemi (comme on désigne presque toujours la Russie, désormais) mais cela ne rend que plus importante la nécessité de sonder sa façon de vivre et de penser.
Amin Maalouf, dans Les Croisades vues par les Arabes procède à une telle inversion d’optique et les politiciens occidentaux devraient s’en inspirer pour comprendre comment et pourquoi la Russie réagit devant telle ou telle situation. Non pas pour la dédouaner mais pour ne pas commettre d’erreurs fatales comme, par exemple, pendant les vraies fausses tractations à Minsk dont la forfaiture a fait tant de mal.
Dans son texte Le Déclin du courage, Alexandre Soljenitsyne explique que la violence subie par les peuples de la Grande Russie a forgé là-bas des caractères exceptionnels qu’on ne trouve plus à l’Ouest. A contrario, cette violence a-t-elle contribué à brutaliser la société russe ?
Ne minimisez pas l’aptitude des Occidentaux, et surtout des Français, aux actes héroïques. L’un de ces Français, Jean-Claude Servan-Schreiber, m’a conté sa longue vie que j’allais évoquer dans un livre: un véritable héros moderne et qui, combattant courageux dès 1939 et vrai résistant, ne se mettait jamais en avant, en parlant de ses camarades morts pour la France. Ce héros « ordinaire » a croisé, entre deux batailles, celui dont déjà l’histoire « forgeait un caractère exceptionnel », comme vous dites. De Gaulle.
Quant à la fameuse « brutalité » russe, n’oubliez jamais que sans les vingt-cinq millions de Russes tués (sans brutalité, n’est-ce pas?) par Hitler, vous et moi, nous parlerions aujourd’hui la langue de madame Ursula von der Leyen, une belle langue par ailleurs mais dans laquelle on entend, de plus en plus souvent, des accents qui rappellent aux Russes de fort mauvais souvenirs remontant à la Seconde Guerre mondiale.
Depuis vingt ans, je déclare préférer voir s’installer, un jour, au Kremlin un beau prince André, à la Tolstoï, un être raffiné en gants blancs et aux manières irréprochables. Mais ne soyons pas hypocrites, ce beau prince se ferait vite débarquer par nos «partenaires» américains comme un vilain dans un western. La Russie est habitée par plusieurs centaines de peuples et pour maîtriser cette diversité, culturelle et confessionnelle, il faut sortir des salons du XIXe siècle.
Pensez aux difficultés que l’Europe rencontre face à sa propre «diversité»… Rappelez-vous un instant les prêtres et les enseignants poignardés ou décapités, les petits élèves toulousains assassinés à bout portant ou encore, les femmes violées à Cologne ou à Telford. Mais il serait absurde et malhonnête d’imputer cette brutalité à tous ceux, intégrés et pacifiques, qui sont issus de la diversité. Et personne ne doit faire endosser à tous les Américains la brutalité des guerres que leurs dirigeants lancent à travers le monde.
Confond-on les Russes avec la personne de Vladimir Poutine ? Comment être un écrivain d’origine russe aujourd’hui en Europe ?
Cette confusion est un réflexe médiatique pavlovien bien regrettable. Un écrivain doit continuer à tracer fermement et patiemment son sillon sans faire attention aux modes volatiles et aux diktats de la pensée autorisée.
Vous situez le début de votre livre en Crimée à l’époque où celle-ci faisait partie de l’Empire russe. La Crimée et l’empire que vous décrivez ressemblent à un éden. La nostalgie d’un paradis perdu et peut-être fantasmé, n’est-ce pas le drame de la Russie ? La Russie a vu en moins d’un siècle deux mondes s’effondrer (celui de l’empire, puis celui de l’URSS), doit-elle accepter la disparition de ces mondes ?
Pour Valdas Bataeff, ce paradis dont vous parlez ne dure pas longtemps. Tout jeune encore, Valdas comprend que le monde ne se réduit pas à la petite société de privilégiés et qu’il lui faut découvrir les «bas-fonds» de la vie populaire, l’exploration qui le marquera à vie, davantage même que les soubresauts guerriers et révolutionnaires qu’il connaîtra.
Quant à la singularité de la Crimée dans l’imaginaire russe, il faut toujours se souvenir de la longue lutte qui opposa la Russie aux khanats tatars: de la Crimée, les khans lançaient des expéditions militaires qui ravageaient tout sur leur passage et parvenaient même à brûler Moscou. N’oublions pas non plus la guerre de Crimée (1853-1856), un traumatisme national en Russie, mais surtout la défense héroïque de la Crimée contre les nazis quand les soldats russes et ukrainiens se battaient côte à côte contre cet ennemi commun.
La mémoire de chaque peuple est constituée de mille fragments historiques qui n’excusent rien mais qu’on doit toujours prendre en compte si l’on veut prévoir les réactions des uns et des autres. Pour ce qui est des Atlantide russes disparues, impériale et soviétique, distinguons «l’écume des jours», l’actualité et la marche imprévisible de l’histoire: qui, à la fin des années 1970, pouvait sensément imaginer la chute de l’URSS ? Tout au plus, quelques chercheurs érudits et perspicaces dont les thèses semblaient alors utopiques.
La nostalgie pour la période soviétique est difficile à comprendre pour un Occidental…
S’il y a un certain retour nostalgique chez les Russes pour l’époque soviétique, il est dû surtout au partage d’une mémoire blessée de la Seconde Guerre mondiale et au passé, trop fabulé à mon sens, de l’amitié entre les peuples et des valeurs collectivistes qui paraissent très attrayantes comparée au capitalisme mafieux qui régnait en Russie dans les années 1990. Décennie où les Russes ont eu l’impression que leurs dirigeants avaient vendu leur âme aux chimères marchandes et ont déformé la nature même de la nation.
Vous faites dire à votre personnage principal, Valdas, qu’il n’y a rien de plus horrible qu’une guerre civile. Est-ce à dire que vous considérez la guerre en Ukraine comme une forme de guerre civile ?
Je vis ce conflit comme un déchirement insoutenable – trop de liens amicaux m’attachent à la Russie et à l’Ukraine, et c’est le cas de la grande majorité des Russes et des Ukrainiens. Pour le meilleur ou pour le pire, nous sommes très liés, c’est un fait. Dans ce conflit, je vois plus qu’une guerre civile ou une lutte fratricide car c’est souvent à l’intérieur d’une famille que la cruauté se fait la plus féroce et nous surprend davantage que les heurts entre les adversaires culturellement et géographiquement éloignés.
Certes, mais vous faites fi de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes et de l’aspiration à la souveraineté et à l’indépendance des Ukrainiens ?
L’Ukraine compte plus d’une trentaine de peuples. Rappelons qu’en 1991, l’indépendance une fois acquise (sans une goutte de sang), la question s’est posée: quel pays construire? Une Ukraine prospère (elle l’était) et fraternellement ouverte vis-à-vis de ses voisins? Ou bien un destin soumis à la stratégie des États-Unis ?
Malheureusement, avec l’appui de l’oligarchie prédatrice (la même qu’en Russie, hélas!), c’est la seconde option qui a prévalu. Pour mes amis ukrainiens, j’ai toujours rêvé d’un pays libre de toute inféodation, respectueux de toutes les ethnies qui le composent, oui, un magnifique trait d’union civilisationnel entre l’Est et l’Ouest. J’espère de tout mon cœur, pour eux et leurs enfants, un avenir plus prometteur que ce que vivent d’autres peuples qui (en Irak, en Libye, en Afghanistan…) ont testé le charme militaro-économique du modèle américain.
Dans votre livre, au «sanglant chaos du monde», vous opposez la force de l’amour. L’année dernière vous espériez une paix rapide, y croyez-vous toujours ?
Il y a un an, je disais que l’Europe devait devenir un vaste sanctuaire de la paix, sans bases militaires ni alliances agressives. Aucun autre choix n’est possible. Aucun pays ne doit subir d’ingérences. La démilitarisation doit concerner tous les pays sans exception. Une utopie, diriez-vous ? Dans ce cas, allez-y, choisissez l’escalade d’armements et la perspective pas si fantaisiste que cela d’un conflit nucléaire. Exiger la paix doit devenir non pas une option mais la condition sine qua non de chaque gouvernance. Oui, la paix, rien d’autre. ■
Pas une bonne idée le désarmement général
L’UKRAINE est RUSSE, mais la RUSSIE est UKRAINIENNE, il s’agit de 2 soeurs siamoises
RURIK le Viking fonde KIEV
Sa petite fille OLGA instaure le Christianisme
La petite fille d’OLGA et de WOLODIMIR – ANNA ( ANNE ) devient Reine de France en épousant Henri Ier
C »st ensuite que l’on commence à parler de la Russie
De même les Cosaques Ukrainiens furent la troupe d’élite de la Russie
En cas de désarmement général , supprimera -t-on aussi les couteaux de bouchers , les pelles et les pioches ? N’était ce pas ce dont disposaient les Khmers rouges , sans remonter aux gourdins des « sans-culottes » se nommant également « tape dur » .
Je ne vois malheureusement dans ces propos qu’une vision sentimentale de la géopolitique. Qu’on le veuille ou non, notre siècle est un siècle de fer et, comme c’est parti, on n’en sortira pas avant longtemps. Plus rien ne sera alors comme avant.
À destination de Setadire : avant Kiev, il y eut Novgorod, d’où la tribu scandinave des Rouss est descendue.
C’est bien jolie de dire «l’Ukraine est russe et la Russie est ukrainienne», mais aussi union-européennement bien pensant que de dire, par exemple, «l’Alsace est française et la France est alsacienne» (voire, pourquoi pas, au fond et tant qu’on y’est : «La France est européenne et l’Europe est française») ou ce que l’on voudra d’approchant. Le raisonnement e’str tout simplement fallacieux. Les nations sont les nations, les peuples les font et les rois les maintiennent, selon ce qu’il apparaît devoir fonder ceci ou cela.
Aujourd’hui, il n’est pas question de «nation» avec l’Ukraine, mais de «zone d’influence»… Poutine invoque l’Histoire, et sa justification ne peut pas même se discuter un instant. En Occident, on feint de se féliciter de la résistance NATIONALE ukrainienne… Je ne sais pas s’il y a hypocrisie réciproque, mais, en revanche, je sais que l’Occident est à vomir, et cela me suffit pour me faire un morceau d’idée de la situation. Je suis expéditif, sans doute, mais tout cela a été assez violemment expédié pour que l’on se conforme au mode de l’expédition. Autrement et essentiellement, «prions Dieu que tous nous veuille absoudre» (Villon)