Par Pierre Builly.
Le général Della Rovere de Roberto Rossellini (1959).
Le sens de la vie.
Résumé : Pendant la Seconde Guerre mondiale, un petit escroc déchu, Bertone (Vittorio De Sica), est chargé par les nazis de se faire passer pour un antifasciste afin d’identifier les chefs de la Résistance. Mais voilà qu’il en vient à se prendre au jeu…
Le film est d’autant plus profond et puissant que le récit de Roberto Rossellini est tout en retenue. L’abjection de la fripouille Bardone (Vittorio De Sica) et ses trafics crapoteux, la lourdeur de l’oppression, les exécutions sommaires, cette période de 1944 où tout graduellement s’effondre autour de la République de Salo, où personne ne se fait d’illusions sur l’issue finale de la guerre, mais qui n’est pas encore la débâcle, qui conserve encore les apparences d’une structure, les ruines et les restrictions, tout cela pouvait aller vers le romanesque, presque le mélodramatique et, la force du souffle et de l’époque aidant, on s’y serait laissé prendre.
Mais dans Le général della Rovere, il n’y a rien de spectaculaire ni de brutal, à l’exception – qui n’est pas complaisante – du pauvre visage torturé de Banchelli (Vittorio Caprioli), le résistant qui se suicide de peur de parler et dont le sacrifice achève d’ouvrir les yeux du petit escroc minable et de le faire entrer dans son destin. Il y a, dans des images d’une sobriété extrême, l’histoire d’une vie qui a mal tourné, et qui pourrait aller, par la force des choses, encore davantage vers le pire mais qui, dans une sorte d’évidence, sort par le haut, dans la lumière.
Rien d’héroïque, d’héroïciste, plutôt : la mort de Bardone, ni même la mort du général della Rovere, dont il a revêtu l’habit, ne changeront pas le défilement de la guerre ; mais cette fausse élégance que Bardone a endossée toute sa vie et qui lui a servi à gruger, à rouler, à escroquer ceux qui l’ont approché, cette élégance d’arsouille séduisante, il va enfin la transformer en valeur, en griffonnant, pour la veuve du général, ces quelques mots d’adieu qui, on peut le gager, scelleront à jamais la figure éclatante de patriote et de héros du soldat.
Pouvait-on, d’ailleurs, pour incarner Bardone, alias colonel Grimaldi, crapule au bout du rouleau, à peu près lâché par tout le monde, canaille cauteleuse et inventive qui essaye pathétiquement de refiler un faux saphir, faire meilleur choix que celui de Vittorio De Sica, à la beauté régulière un peu veule qui a si souvent incarné les fripons faciles en délicatesse avec les lois et le cœur des femmes (en vrac Dommage que tu sois une canaille, Le signe de Vénus, Casino de Paris ou Du sang pour Dracula !).
L’intéressant supplément de l’édition DVD en tous points excellente, composé de plusieurs témoignages de collaborateurs de Rossellini sur le film précise que De Sica, flambeur comme l’est Bardone, ne refusait jamais de tourner un film, fût-ce une daube ; quel talent dilapidé, dans trop de trucs insignifiants (ce que j’ai cité ci-dessus n’entre pas forcément dans la catégorie). ■
DVD autour de 15€.
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.