Par Jean-Paul Brighelli.
Cet article est paru dans Causeur le 26 février, deux jours après la visite du président de la République au salon de l’agriculture. Lequel a remis ou maintenu en lumière la perte impardonnable par la France de son indépendance agricole et alimentaire alors qu’il n’y a pas bien longtemps encore notre agriculture était fortement exportatrice et en ces termes d’échanges nettement excédentaire. Sur tous les fronts du déclin français, qui ne date pas de sa présidence, on est lassé de retrouver Emmanuel Macron, incessamment ambigu et contradictoire, Macron à toutes les sauces, y compris les pires, alors qu’il n’est que l’image, il est vrai de plus en plus caricaturale et de moins en moins supportable, des mécanismes idéologiques et opérationnels du Système qui détruit le Pays, dans sa chair et dans son âme.
Emmanuel Macron a appelé – vendredi 24 février – à acheter et consommer français car la défense de la souveraineté agricole et alimentaire est la mère des batailles (sic !) dans le contexte de la guerre en Ukraine et des crises climatique et énergétique. Une proposition qui n’a que l’apparence de la clarté: en fait, cela fait longtemps que les lobbies de l’agriculture et la toute-puissante FNSEA nous font consommer européen — ce qui n’est pas du tout la même chose, explique Jean-Paul Brighelli, gastronome averti.
Le Salon de l’Agriculture se tient du 25 février au 5 mars et relance le débat sur notre souveraineté alimentaire.
Dans le dernier numéro de Marianne, Périco Legasse, dont personne ne contestera la profonde connaissance de la gastronomie et la défense acharnée d’une agriculture française de qualité, tire à boulets rouges sur le renchérissement des prix qui profite aux grands groupes type Lactalis et pas du tout aux producteurs français. Et sur les décisions déjà anciennes de la FNSEA de distinguer « races à viande » et « races à lait », qui ont désorganisé la filière, et anéanti les efforts des éleveurs qui avaient l’habitude de faire passer les laitières, après deux ou trois vêlages, dans la catégorie viande.
Plombiers et bœufs polonais
Car c’est ainsi — et pas autrement — que l’on a une viande de bœuf persillée, qui fondra sous la dent après six semaines (au moins) de mûrissement — et pas un steak immonde en barquette, mince comme une semelle dont elle a d’ailleurs le goût, et découpé sur une génisse qui n’aura jamais connu les joies de l’allaitement, et aura été abattue l’avant-veille. Tout est fait pour réduire les coûts, en économisant sur le temps — et en faisant payer cash quand même un produit inconsommable.
Bien sûr, de la viande de qualité, cela se trouve encore — à quel prix ? À partir de 50€ le kilo, jusqu’aux 300€ du wagyu made in Europa, pour les amateurs fortunés et les oligarques qui nous gouvernent et mangent gratis dans les cantines de luxe de leurs ministères. Mais Monsieur Vulgum Pecus s’usera les dents sur des biftecks immondes.
Ah, j’oubliais : selon François Hollande, parangon de la gauche, Vulgum Pecus est « sans dents ». C’est bête pour lui…
Au passage, avez-vous remarqué que les bas morceaux (queues ou joue de bœuf, paleron et gîte) qui cinq ans auparavant valaient moins de 10€ le kilo, ont brusquement renchéri — jusqu’à 25€ le kilo pour de la joue…
C’est que les prolos pressés, après une journée de transports et de misères, n’ont droit qu’à du steak industriel, et les bourgeois nantis se pètent la panse au resto avec de la daube longuement mitonnée et du pot-au-feu de chez nous. Observez le prix d’une côte de bœuf de bonne race. Il y a encore une dizaine d’années, une côte à l’os pour deux faisait dans les 70€. Aujourd’hui, c’est le prix par personne, comme je l’ai observé récemment dans l’un des derniers restos à viande de Marseille.
À propos, j’ai tout récemment ouvert un site tout à fait personnel, financé par dégun, comme on dit ici, à part ma pomme, et consacré à la bonne (et moins bonne) bouffe à Marseille. Plus question de se tromper quand on habite la cité phocéenne ou qu’on y descend pour voir le PSG se faire étriller par l’OM.
Faisons le tour des merveilles européennes. Le porc industriel vient du Danemark — y compris celui avec lequel les Corses fabriquent leurs figatelli, sauf précision « porcu nustrale ». Le bœuf déboule des anciens pays de l’Est : rappelez-vous les discussions sur les « plombiers polonais » (et il en est de même pour les chauffeurs-routiers), sous-payés. Le bœuf polonais est le produit d’une agriculture industrielle sur laquelle les Allemands et les Américains ont mis la main — comme ils comptent bien mettre la main sur l’agriculture ukrainienne. Jusqu’au beurre breton qui a des origines suspectes et même slaves…
Complicités
À propos des Américains… Nous avions cru nous protéger en interdisant les viandes bourrées d’antibiotiques. Vous pouvez toujours rêver, les viandes made in America sont européanisées par n’importe lequel des pays européens complices.
Et j’imagine que personne ne se fait d’illusion sur les raisons qui ont récemment motivé l’Europe à « poignarder » (dixit Legasse) les labels de qualité de la volaille française : une décision fort peu commentée dans les médias, Palmade oblige. La malbouffe a des jours radieux devant elle. Tous détails ici sur le sommet d’hypocrisie de la commission Volailles de Bruxelles. Ceux qui savent lire comprendront — car enfin, pourquoi réunir une commission et prendre des mesures ultra-libérales s’il s’agissait de ne rien changer ?
Alors l’appel de Macron à consommer français est d’une hypocrisie majuscule. Il faut rétablir des barrières douanières fortes avec l’étranger extra-communautaire, et étiqueter sérieusement les produits, de façon à ce que le consommateur sache ce qu’il s’apprête à manger. Encourager financièrement les petits producteurs qui font un travail pénible et remarquable pour conserver une qualité française. Et répudier la FNSEA, qui ne parle qu’en termes quantitatifs, et se fiche pas mal de la qualité. Le Salon de l’Agriculture où, ce samedi, le président de la République est allé parader de bon matin n’est que la vitrine spectaculaire d’une agriculture qui se prétend française, pendant qu’on nous fait acheter et avaler, comme disait le regretté Jean-Pierre Coffe, de la merde. ■