PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
COMMENTAIRE – Cet article est paru dans Le Figaro du 4 mars. Nous n’avons rien à y ajouter ni à y redire. Ce qu’il décrit est simplement cette négation de l’existant qui caractérise la névrose postmoderne en train de s’exprimer en tous domaines. N’oublions pas sa source : notre Révolution avait déjà à son programme cette négation. « Oublions tous les faits » avait-elle proclamé. Ça continue, simplement. Jusqu’à l’extrême.
CHRONIQUE – Dans une tribune publiée lundi 27 février dans Le Monde, les signataires semblent croire qu’il suffit d’expliquer au peuple qu’il n’existe pas pour calmer sa peur de la disparition. Toutefois, il arrive au peuple de ne pas croire à la théorie de son inexistence.
Il suffit apparemment d’expliquer au peuple qu’il n’existe pas pour calmer sa peur de la disparition. Il arrive toutefois au peuple de ne pas croire à la théorie de son inexistence.
Lundi (27.02) paraissait dans Le Monde une étonnante tribune de signataires se déclarant « scientifiques » et exigeant justement qu’au nom de la « science », les termes du débat sur l’immigration soient intégralement reformulés. On trouvait parmi les signataires la fine fleur du progressisme mondain et une masse de figures appartenant à ce qu’on pourrait appeler la «lumpenintelligentsia», mais réclamant néanmoins qu’on les écoute religieusement. Le titre de la tribune témoignait d’un esprit de sérieux quelque peu lyssenkiste : « Il est urgent de remettre de la raison et du débat démocratique dans le traitement des questions de migration ».
Leur propos se veut sans appel. « Les chercheurs de toutes les disciplines sont d’accord : il n’y a pas de submersion migratoire, les régularisations et les sauvetages en mer n’ont jamais provoqué d’“appel d’air” et le grand remplacement de la population française est un mythe. Sociologues, politistes, économistes, juristes, démographes, géographes, historiens et philosophes sont unanimes sur ces questions. Malgré leurs efforts pour se faire entendre, les scientifiques se désolent de voir les résultats de la recherche ignorés ou détournés dans les débats publics et les discours politiques .» Rassurante unanimité ! Circulez, il n’y a rien à voir.
Le commun des mortels serait victime d’un système médiatique laissant croire partout à l’existence d’une mutation démographique à l’échelle occidentale. Plus encore, « contrairement aux idées reçues, il n’y a pas davantage d’arrivées dans les pays développés ; les flux migratoires vers les pays du Sud global sont équivalents quantitativement ». Autrement dit, le Sud ne remonterait pas davantage vers le nord que ce dernier ne migrerait vers le sud. Au pays de l’immigration massive qui n’existe pas, tout va bien, ce qui n’empêchera pas demain les idéologues immigrationnistes de chanter la diversité d’une France n’ayant plus rien à voir avec la France d’hier, sans qu’on sache, selon leur raisonnement, d’où cette diversité nouvelle provient.
Convention citoyenne sur la migration
Cela n’empêche pas plusieurs de ces « scientifiques », qui sont en fait des idéologues immigrationnistes, d’affirmer au même moment, mais dans d’autres lieux, que les mouvements migratoires de masse sont inévitables, qu’il est vain de vouloir les contenir, et qu’il vaudrait mieux « faire avec ». Pour reprendre les mots d’un des signataires de cette tribune qui s’exprimait ailleurs dans la presse cette semaine, « mener une politique rationnelle (…) demande du courage politique pour considérer la migration comme une donnée structurelle qu’il faut organiser plutôt que lui résister ». Un autre signataire dira que la meilleure manière d’éviter d’avoir des immigrés irréguliers sur le territoire consiste à les régulariser. Il fallait y penser.
Pour l’instant, nos « scientifiques » ont une proposition : ils souhaiteraient l’organisation d’une convention citoyenne sur la migration, qu’ils pourraient encadrer, éclairer, paramétrer. « Une convention citoyenne repose sur la montée en compétence des citoyens tirés au sort. Ces derniers écoutent et débattent avec des scientifiques et des experts de la société civile. » Nos scientifiques ajoutent même que « davantage qu’un référendum, un débat citoyen a un rôle à jouer pour guider l’action publique ». On retrouve alors un vieux réflexe de la gauche idéologique : elle hurle au dévoiement de la démocratie dès lors qu’elle ne maîtrise plus intégralement les termes du débat public.
Mais d’où vient le sentiment qu’ont plusieurs de devenir étrangers et minoritaires en leur propre pays ? Du fait qu’ils seraient enfermés dans une conception périmée de l’identité, associée à l’existence d’un peuple historique, auquel les immigrés seraient appelés à s’assimiler. Dès lors qu’on explique que ce peuple n’a jamais existé, que la majorité d’accueil est un concept fantasmé dont la définition a tellement changé au fil de l’histoire qu’elle est insaisissable, la possibilité d’une submersion migratoire vient de se dissoudre conceptuellement. Il suffit apparemment d’expliquer au peuple qu’il n’existe pas pour calmer sa peur de la disparition. Il arrive toutefois au peuple de ne pas croire à la théorie de son inexistence.
On pourrait se moquer longtemps, je le disais plus haut, du lyssenkisme de ces « scientifiques » auxquels font écho sur un autre sujet ceux qui nient l’existence des sexes et qui entendent les ramener exclusivement dans le domaine du genre. Leur manifeste ressemble à celui qu’on aurait pu produire à l’Académie des sciences morales de l’URSS, en 1988, pour expliquer la valeur scientifique insurmontable du marxisme et le caractère impérissable du socialisme réel. C’est le propre des idéologies qui se prennent pour la science: plus le réel les dément, plus elles se radicalisent et se fâchent à l’idée qu’on les contredise. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Je me suis déjà moqué sur JSF de l’essentialisation des « scientifiques ». Un raccourci qui, comme d’autres est, paresseusement calqué sur l’américain. MBC, par les guillemets dont il encadre ce mot, a raison de nous mettre en garde. Comme si n’importe quel laborantin, médecin, mathématicien, chimiste…était, de par son activité, élevé au dessus de la condition commune; comme s’il mangeait ou dormait différemment, comme s’il mourait en « scientifique », dans son lit ou dans un accident de voiture , revenant d’une saoulerie entre « scientifiques »…
Il en va de même pour beaucoup de qualificatifs mi-adjectifs mi-substantifs par quoi notre langue est infectée : « artiste », « énarque », « néo-libéral », « journaliste », « crypto-communiste », « d’extrême-droite », « aristocrate », « médaillé de la légion d’honneur »…
Ces mots ont une fonction bien claire : détourner l’attention, paralyser la réflexion, intimider, dominer… D’un individu ainsi qualifié on ne devra pas juger les actes ou les paroles à l’aune utilisée pour les quidam. Ils ne sont pas la pour simplement décrire, préciser, qualifier mais pour élever ou, au contraire abaisser, pour prévenir, pour préempter le jugement. Attendez ! chaussez vos lunettes « de près’ ou, au contraire, « de loin »; mieux « buvez ses paroles » ou, au contraire, ignorez-le ».
Comme les marques et logo du commerce, ces idoles de notre époque et de nos . – Tes chaussures ne vont pas avec ton pantalon, -qu’en sais-tu ? ce sont des Nike! quant au pantalon, il a trois bandes placées en travers qui en font un objet « culte » ou même « mythique ».
Adjectifs, adjectifs substantivés, substantifs adjectivés, slogans, logos, insignes, étiquettes … je me demande s’il ne faudrait les ranger dans un tiroir à part, avec un nom bien à eux : frein, ralentisseur, étouffe-cervelle, bourre-tête (ou crâne)… diffracteur serait pas mal non plus et assez chic !
Je découvre trop tard des défauts à mon commentaire. Le sens n’en est pas altéré, c’est l’essentiel, tant pis pour ma réputation !
Formidable, faute de consacrer l’hérédité comme mode de désignation des gouvernants et face à la faillite du suffrage universel, on essaye d’explorer la troisième voie, le hasard, le tirage au sort que l’on rebaptise pour faire sérieux, convention citoyenne.
Ma foi, entre le tirage au sort et le suffrage universel, statistiquement, je pense que, avec le tirage au sort, nous nous en sortirions certainement beaucoup mieux. En effet, comme les «élites» (enfin, les ceuss qui s’estiment y appartenir) se trouvent en nombre réduit par rapport au vulgum pecus, le sort appellerait beaucoup moins de diplômés aux commandes que les bulletins dans les urnes.
Cependant – pas folles les guêpes –, il s’agit d’en appeler au sort seulement après que se seront faites élire les gay-pierres…
«Une dose» de tristes sorts introduite par les coquins lurons, et ça vous donne un vieil air de démocratie à l’athénienne – Good gracious ! quelles bontés gracieuses ne peut-on pas invoquer ainsi. C’est humaniste en diable.