Xavier Raufer : Grand entretien sur Libre Média (Québec), le 1er février 2023
Par Alexis Brunet.
Guet-apens sur des policiers, tirs de kalachnikov, attaques au couteau, la France vit une crise de la sécurité. Comment en est-on arrivé là? Les chiffres du gouvernement sont-ils fiables? Criminologue renommé, Xavier Raufer répond à nos questions.
Xavier Raufer est essayiste et criminologue. Il est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Les nouveaux dangers planétaires (2012, Biblis) et Cyber-criminologie (2015, CNRS Éditions).
Alexis Brunet: Une série d’attaques au couteau eu lieu en France à la mi-janvier à la Gare du Nord, à Strasbourg et même devant un lycée à Thiais. Globalement, quelle est la situation de la criminalité en France ?
«C’est simple, la France est divisée en deux parties. Dans la plus grande partie, la vie se passe encore normalement: les faits de délinquance et de criminalité n’ont pas passé le seuil de l’insupportable. Dans une partie plus réduite, la situation est maintenant hors contrôle.
Cette partie comprend la périphérie des métropoles, de plus en plus de villes moyennes et même des villages. Des secteurs existent où la police pénètre uniquement lors d’opérations coup de poing: elle vient en grand nombre, procède à quelques arrestations et repart immédiatement. Chacune de ces opérations déclenche des émeutes.
Dans ces territoires que j’appelle “zones hors contrôle”, la criminalité prend d’abord la forme de trafic de stupéfiants. 24 heures sur 24, on peut y acheter du cannabis, de la cocaïne ou des drogues de synthèse. Il y a aussi des marchés aux voleurs: dans des caves, on revend discrètement des biens qui ont été volés dans des poids lourds.
On trouve également de la prostitution de jeunes filles mineures. Ce sont souvent des fugueuses qui sont ensuite happées par les bandes de ces quartiers et contraintes à se prostituer. Autour, dans un cercle de quelques kilomètres, rayonnent des braquages de bas niveau: on braque l’épicerie ou la pharmacie du coin et on commet des cambriolages.
Si le sort de ces zones hors contrôle était réglé, c’est-à-dire si la loi régnait dans ces zones comme elle règne ailleurs en France, on peut estimer qu’au moins la moitié des infractions dont la Justice a connaissance disparaîtrait sur le champ. Sous les gouvernements de la Vème République, et singulièrement sous les présidences de François Hollande et d’Emmanuel Macron, pas grand-chose n’a été fait pour régler ce problème.»
Ça fait plus de 20 ans que l’on parle comme vous de lieux hors contrôle ou de «territoires perdus de la République». Pourquoi rien ne change ?
«Pardonnez-moi de vous corriger, mais ça fait 40 ans qu’on en parle. Les premières émeutes de banlieue ont eu lieu à Vaulx-en-Velin, dans la cité des Minguettes, dans la région de Lyon. C’était à l’été 1981, François Mitterrand venait d’être élu président de la République. Or le mois dernier, il y a encore eu des émeutes aux Minguettes avec tirs de mortiers d’artifice sur la police, incendies de voitures, etc.
« Quelle que soit l’origine des migrants, toute migration est criminogène »
Xavier Raufer. Photo: Valeurs actuelles.
Pourquoi rien n’a changé depuis 41 ans? Parce que l’appareil d’État français a commis au départ une erreur d’analyse énorme: penser qu’en améliorant l’habitat de ces zones grâce au ministère de la Ville, tout s’arrêterait. Depuis, par dizaines de milliards d’euros, on rebâtit inlassablement ces quartiers-là.
Or, une ville n’a jamais agressé personne ou n’a jamais tiré à la kalachnikov, le problème est celui des habitants qui y vivent. Ça paraît enfantin comme raisonnement, mais nos dirigeants n’en démordent pas: depuis 41 ans, ils pensent qu’en améliorant les bâtiments ou en mettant des tramways, ils vont régler le problème de la délinquance. Par conséquent, la France pourrait être au Panthéon mondial dans lequel les voyous sont les mieux logés.
Dans les régions de Lyon, Grenoble et Paris, vous avez des quartiers qui disposent d’un luxe d’installations de toutes sortes – piscines, crèches, écoles, moyens de transports, etc. – et d’une quantité de bureaux d’aides dont personne ne bénéficie dans la France profonde: vous allez dans la Creuse, dans la Corrèze ou dans les Ardennes, il n’y a rien de tout cela.
Si ces installations sont bienvenues pour les gens qui résident dans ces quartiers, elles ne font en rien baisser la criminalité et ceci pour une raison simple: le problème du bien-être de la population, d’une part, et celui de la criminalité, d’autre part, n’ont rien à voir. Cela, les gouvernements de la Vème République ne l’ont toujours pas compris.»
La criminalité qu’on voit depuis 40 ans en France n’est donc pas liée à la pauvreté ?
«Bien sûr que non. Regardez, la France a décidé de ne plus publier le PIB de chaque département français. Néanmoins, elle doit donner des statistiques auprès de l’Union européenne. Quand on va chercher au fond des tableaux Excel envoyés à Bruxelles ces dernières années, on peut isoler le PIB de la Seine-Saint-Denis ou celui des Hauts-de-Seine, en région parisienne.
Désormais, l’Union européenne demande que les ressources clandestines pour que le trafic de stupéfiants ou la prostitution y soient inclus. En faisant ce calcul, on s’aperçoit que la Seine-Saint-Denis est le deuxième département le plus riche d’Île-de-France après celui des Hauts-de-Seine. Mais ce dernier a une spécificité: il contient le quartier de La Défense. Énormément de grandes entreprises y ont leur siège social et y payent leurs impôts. Si on retirait la Défense des Hauts-de-Seine, la Seine Saint-Denis serait peut-être le département le plus riche de France.
La presse française est gagnée à la culture de l’excuse. Elle considère que les gens des zones hors contrôle vivent comme des misérables et que c’est pour cela que certains cassent tout. Cela est faux. Pour l’établir, il suffit de regarder les chiffres. Notre classe politique ne veut pas le voir, car elle s’imagine qu’elle va perdre des électeurs si elle regarde la réalité en face.»
À quoi cette criminalité est-elle due dans ce ca s? À l’immigration ?
«Quelle que soit l’origine des migrants, toute migration est criminogène: ce n’est pas parce que des migrants viennent d’Afrique qu’ils sont plus criminogènes que les autres, c’est partout le même cas. Aux États-Unis, on a des exemples de la grande migration irlandaise, et même des Juifs d’Europe centrale venus se réfugier depuis l’empire tsariste, dont la première génération a connu des velléités criminelles.
Dans tous les cas, on a affaire à des gens qui parlent peu ou pas la langue du pays, qui n’ont pas moyen de gagner leur vie ou qui n’ont pas de diplôme. Au début ils se débrouillent. Si l’intégration fonctionne, ça s’arrête au bout d’une génération ou deux.
Il y a quelques exceptions comme la mafia italo-américaine, qui est liée à un phénomène culturel très profondément enfoui, mais ça s’arrête là. Les Juifs qui venaient de Pologne ou de Lituanie sont devenus médecins ou avocats au bout de la deuxième génération.
Le problème de la France, c’est qu’on a accueilli des gens que l’on n’a pas su ou pas voulu intégrer. Cette tendance criminogène a donc perduré au-delà de la première génération et dure maintenant depuis quatre générations. Les symptômes de cette non-intégration sont nombreux: ils détestent la France pour la plupart, ils sifflent le drapeau français, ils cassent tout quand leur équipe favorite – l’Algérie ou le Maroc – gagne un match de football. Ces symptômes sont constatables tous les jours.
Je tiens à souligner que la grande majorité des immigrés sont des gens parfaitement honnêtes qui sont venus parce qu’ils crevaient de faim chez eux. Et que ce sont eux qui subissent, en premier lieu, la dure réalité de leur minorité criminelle pour une raison simple: ils vivent sur place avec eux.
En réalité, le problème tient dans le manque d’autorité. Au moment où la grande vague de migration arrivait en France, après la décolonisation en Afrique, le cœur des villes françaises grouillait de policiers et la campagne profonde grouillait de gendarmes. Dans les zones situées entre les deux, qui se sont développées dans les années 1960, 1970 puis 1980, il n’y avait ni police ni gendarmes.
C’est justement dans ces zones qu’on a installé les populations migrantes. La jeunesse de ces zones-là n’a jamais été soumise à quelque autorité que ce soit. Avec des amis issus de ces quartiers, je suis allé dans des zones de la région parisienne où les adolescents avaient sans doute vu dans leur vie plus de soucoupes volantes dans le ciel que de cars de police. Au lieu de rajouter de l’autorité dans ces zones, on a rajouté en masse des services. Ça ne marche pas.
Quand on regarde les installations de la cité Mistral ou de la cité La Villeneuve, toutes deux à Grenoble, on est édifié par la qualité des équipements. Pourtant, c’est là que l’on tire à la kalachnikov sur la police ou qu’on fait des vidéos avec des gars qui exhibent leurs armes de guerre. Pourquoi? Parce qu’on n’a pas fait régner l’ordre.»
Justement, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, clame régulièrement que la criminalité baisse avec le gouvernement d’Emmanuel Macron et brandit des statistiques. Ces statistiques sont-elles fiables ?
«Non, Monsieur Darmanin est un menteur compulsif: rien de ce qu’il dit dans le domaine des chiffres n’est crédible. Je vous donne un exemple. Il dit que grâce à ses “opération de pilonnage de points de deal” [sic], ceux-ci ferment les uns après les autres. C’est totalement faux et on peut l’établir. Il faut déjà regarder si les malfaiteurs s’entre-tuent ou pas.
Jamais les malfaiteurs ne se sont autant poignardés, révolvérisés, tirés dessus à la kalachnikov que depuis que Gérald Darmanin est ministre. En comparant le premier semestre de 2022 et le premier semestre de 2021, on s’aperçoit que le nombre d’homicides et de tentatives d’homicide entre les malfaiteurs a augmenté de plus 20%. C’est énorme! À Marseille, ce chiffre monte d’ailleurs à 25%.
Pourquoi vous dis-je homicides et tentatives d’homicide? Parce que calculer à partir des seuls homicides n’a plus aucun sens: depuis que l’on a installé en France des services d’urgence tels que le SAMU, là où 7 blessés mourraient dans la rue, il n’en meurt plus que 3. La première constatation, c’est donc que ce ministre n’a pas réussi à calmer le milieu criminel.
Venons-en maintenant aux stupéfiants. Le ministre dit qu’il les pilonne. Comme toutes les marchandises, les stupéfiants sont soumis à la loi de l’offre et de la demande. Tous les experts sont d’accord là-dessus. Si dans le supermarché en bas de chez vous on vend des caramels, et qu’à clientèle égale, le nombre de caramels diminue, leur prix va augmenter. Il en est de même pour le haschich et pour la cocaïne.
Si le “pilonnage” de Monsieur Darmanin -ou de tout autre ministre de l’Intérieur- produisait l’effet désiré, il permettrait d’éliminer les endroits où l’on vend de la drogue et de raréfier la capacité qu’on les gens de trouver de la drogue, le prix du haschich et de la cocaïne augmenterait. Pendant le confinement, le prix du cannabis et de la cocaïne a augmenté d’environ 50% en quelques jours.
Or, depuis deux ans, le prix de la cocaïne diminue. Actuellement, à Lille, donc au plus près des Pays-Bas et de la Belgique, on trouve de la cocaïne à 50 euros le gramme alors qu’elle en coûtait 80 il y a trois ans. Si le travail du ministre était efficace, elle devrait coûter 120 euros le gramme.»
Vous évoquez des choses très graves. Trafiquer des chiffres, n’est-ce pas digne d’un État corrompu ?
«Oui et j’ai encore un exemple: le ministère de l’Intérieur ne publie que les chiffres des cambriolages des logements. Il oublie les locaux industriels et commerciaux, les bureaux, les mairies, etc. Si on additionne les logements à ces derniers, on passe de 290 000 cambriolages par an à plus de 400 000 par an.
Un tel trafic de chiffres, même l’Albanie n’ose pas le faire. La France est le seul pays en Europe à trafiquer les chiffres de manière aussi éhontée. Un collègue m’a dit que la manière de trafiquer les chiffres au ministère de l’Intérieur s’apprenait même à l’ENA (École Nationale de l’Administration).
C’est très grave en effet, et je vais vous dire pourquoi: dans l’histoire du mensonge d’État, l’État finit toujours par croire aux sottises qu’il raconte. Un dirigeant indique aux journalistes qu’il faut dire ceci ou cela, et ensuite le même dirigeant se persuade que c’est vrai parce qu’il l’a lu dans le journal. En prenant des décisions qui ne viennent pas d’une analyse juste mais de mensonges que vous avez-vous-même gobés, ces décisions sont fausses.»
A vous entendre, on a l’impression que la démocratie française est en danger, qu’elle pourrait basculer à cause du volet sécuritaire…
«Ce qui est sûr, c’est que la France est une monarchie ratée. On a tué le roi mais le comportement du sommet de l’État est toujours de nature un peu monarchique. Il y a une solennité, il y a les ors de la République et il y a le roi, qui est désormais élu pour cinq ans. Tout le sommet de l’appareil d’État comprend très vite ce qui l’intéresse et ce qui ne l’intéresse pas.
L’univers mental d’Emmanuel Macron se situe quelque part entre Wall Street et la City de Londres. Il s’intéresse donc à l’économie, à la fluidité ou à l’École de Chicago. Le reste, tel que les questions de sécurité, il pense que c’est quand même un peu Cro-Magnon, que ce n’est pas très intéressant. Les hauts fonctionnaires ayant compris cela très vite, ils ne lui en parlent pas trop.
Au début, Emmanuel Macron pensait qu’il fallait s’intéresser aux problèmes de la politique de la ville que nous avons évoqués. Il a donc réuni deux fois une commission pour soulever le couvercle de la marmite. En voyant ce qu’il y avait dans la marmite, il l’a aussitôt refermée. Depuis, la commission ne s’est plus jamais réunie.
La politique actuelle du gouvernement en matière de sécurité ne semble pas fatale, mais c’est une politique de gens qui sont un peu désemparés par un phénomène qu’ils ne comprennent pas. Emmanuel Macron ne savait pas qu’il ne fallait pas injurier les Français des classes populaires. En disant des expressions telles que “du travail, je vous en trouve en traversant la rue” ou “les Gaulois réfractaires”, des gens sont descendus tout casser dans la rue. C’était pour des questions de fins de mois.
Si un jour, des conditions sont réunies pour qu’il y ait une insurrection due aux problèmes de sécurité en France, ça pourrait très mal tourner. Bien entendu, personne ne le souhaite mais ça n’est pas à exclure. On a des dirigeants pour le moins maladroits.»
Comme lorsqu’Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, a décidé de rester ministre quand il a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts ?
«Un ministre de la Justice qui est mis en examen et qui reste ministre, c’est du jamais vu. Dans le cadre de mon métier, il m’arrive de fréquenter des petits lascars – qui ont plus de sujets de discussion en commun avec moi, qu’avec un docteur en physique nucléaire (sourire). Ils me disent“ t’as vu le ministre il est inculpé alors que moi si je traverse en dehors des clous je finis en taule”. Cette histoire-là enrage les malfaiteurs.»
Une dernière question. Le taux de criminalité est bien moindre au Canada qu’aux États-Unis ou même qu’en France. Comment expliquer cette différence ?
«Cela tient essentiellement à la disponibilité des armes. À la louche, les États-Unis ont 330 millions d’habitants pour 400 millions d’armes connues qui circulent. Les bébés et les vieillards de 95 ans ne représentent évidemment pas un danger de maniement d’armes. On peut donc compter environ deux armes par habitant sur 200 millions d’adultes. C’est ça qui fait que le taux d’homicide y est infiniment plus élevé qu’au Canada, quel que soit l’État du Canada.
Il y a beaucoup de drogue en Colombie-Britannique, mais les ravages sont plus de l’ordre de la santé publique que des criminels. Il y a deux familles mafieuses notoires à l’est du Canada, notamment à Montréal, qui sont en guerre depuis plusieurs années. Ça fait des dizaines de morts ces dernières années mais ça se limite entre eux. Ils ne tuent pas les civils, comme ils disent, ils se tuent uniquement entre eux.» ■
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