C’est là un document d’histoire de l’Acton Française, annonciateur et fondateur de ses succès à venir. Nous le reprenons de la page Facebook d’un étudiant d’aujourd’hui, militant et chercheur très actif en toutes matières relatives à l’histoire de l’AF et à ses idées. [Lien ci-dessous]. C’est à lui que nous devons d’avoir eu connaissance de ce long discours exemplaire austère et sérieux, qui montre surtout la profondeur et la volonté d’aboutir des hommes engagés dans cette Action Française des origines.
Ceux qui prêchent l’action sans cervelle savent qu’ils n’en embrasseront jamais que les simulacres. Cette certitude secrète est ce qui les rassure dans la peur qu’ils ont d’une action véritable.
Mesdames, Messsieurs,
En vous présentant aujourd’hui le rapport du premier semestre d’enseignement donné par l’Institut d’Action française, personne ne s’étonnera que nous marquions autant de contentement que de fierté.
Cet Institut fut décidé à la fin de l’automne dernier, et sa séance d’inauguration eut lieu le 14 février. Cinquante leçons y auront été données, imputées à cinq chaires différentes. L’enseignement y aura duré cinq mois. Premier effet palpable des projets que depuis longtemps l’Action française formait de systématiser son enseignement, et de convier à des leçons suivies tous ceux qui conçoivent l’utilité qu’il y a à rappeler en temps de crise les principes, quand tant de ceux qui en ont le dépôt ne veulent plus entendre qu’aux expédients.
Vous savez, Mesdames et Messieurs, de quelles personnes je parle. Les avertissements de leur part n’ont pas manqué à notre adresse. Quand fut mis en avant ce projet d’Institut, quand nos programmes imprimés parurent, quand furent sollicités les concours financiers, plusieurs nous répondirent que le plus pressé n’était pas là. La maison brûle, dit-on. Dans un si grand péril, il ne fallait pas perdre une minute. Le retentissant échec de gens qui se croyaient sages, met hors de discussion qu’une chose au moins presse plus que de courir au feu, c’est d’aller chercher de quoi l’éteindre.
Jamais nous ne songeâmes à médire de l’action. Elle fait partie du nom que nous portons. Une partie des critiques qu’on nous adresse vient du culte sincère que nous professons pour elle. Car nous la voulons véritable, et ce n’est pas pour une autre cause qu’on ne la sépare pas chez nous du discernement. Ceux qui prêchent l’action sans cervelle savent qu’ils n’en embrasseront jamais que les simulacres. Cette certitude secrète est ce qui les rassure dans la peur qu’ils ont d’une action véritable.
Agir, agir, pas de programme plus doux, je ne dis pas aux lâches, car pourquoi contester à ceux dont il s’agit l’éloge du courage physique, de la générosité, du sacrifice ? Mais aux pusillanimes, à ceux qui n’osent déterminer un but, affronter les idées, braver les préjugés, qui se jettent aveugles dans la première mêlée venue, autant pour se dispenser de penser que pour combattre.
Mesdames, Messieurs, aussi longtemps qu’à la raison appartiendra la conduite de l’homme, aussi longtemps que la direction des membres et leur impulsion seront remises au cerveau, un dessein sera le principe de toute entreprise, la première condition de l’action sera la science.
Voilà ce que nous eûmes à répondre à ceux qui s’étonnaient de nous voir former cet Institut, quand tout, autour de nous, nous convie à agir.
Les ruines s’amoncellent sur le sol de la France ; avec une rapidité effrayante nous voyons tomber autour de nous ce qui semblait de plus essentiel, de moins attaquable ou de plus résistant. L’Église, la défense nationale, la propriété, les mœurs publiques, attaquées sans relâche, font prévoir un abîme de maux. Courons au secours, sans doute, mais d’abord prenons garde à ce que nous appelons de ce nom. Est-ce vraiment secours ou détriment ? Est-ce poison ou remède ? Nos bonnes intentions ne suffisent pas. L’ignorance tue comme le crime. Sans sortir du rôle essentiel que le plan de ce rapport m’assigne, je puis dire, j’ai le devoir de dire que l’action des conservateurs dans les luttes politiques françaises, par la tactique qu’ils ont suivie, par les idées qu’ils ont semées, effet d’une ignorance des principes et des causes, bien loin d’avancer l’œuvre de la restauration nationale, n’a fait depuis longtemps qu’empirer le mal et contribuer à notre destruction.
Il faut donc enseigner, il faut donc instruire, il faut exposer, démontrer, réfuter, faire œuvre de maîtres, et former des disciples.
Voilà ce que nous disons, avec une évidence à laquelle les événements se sont empressés de rendre hommage. Cependant avions-nous raison de croire qu’on nous comprendrait aussitôt ? Les succès immédiats font quelques fois défaut aux entreprises les mieux conçues, les plus utiles. Vous savez d’où venait celle-ci. Le comte Eugène de Lur-Saluces, Maurras, d’autres que leur modestie fait défendre de les nommer, en conçurent le plan et le mirent en ordre. Gages éminents de succès, dont cependant il fallait voir les commencements. Mesdames, Messieurs, ces commencements ont dépassé l’attente de tous.
Depuis que les cours furent mis en train, une activité singulière commença d’en animer les leçons. Elle allait des maîtres aux auditeurs, refluait de ceux-ci avec une promptitude, un zèle, parfois un enthousiasme, dont le spectacle frappait tous nos amis. Une fois de plus, l’Action française éprouvait le bonheur que lui valent sa fidélité aux principes, et l’indifférence qu’elle professe pour les résultats sans lendemain. Pas une fois un seul des cinq cours où se poursuivait cet enseignement ne parut délaissé, ou suivi de façon tiède. Les auditoires toujours nombreux attendaient l’intérêt des matières enseignées. L’application redoublée des maîtres répondait à celle des disciples. Et ces auditoires se renouvelaient. La philosophie catholique avait le sien, le sien, la philosophie positive, l’empirisme organisateur, tradition et raison, communiquaient aux salles des physionomies parfaitement distinctes, ou la vie s’attestait par cette variété.
Des séances solennelles d’inauguration de cours, pour les trois chaires, celle du Syllabus, Auguste Comte et Rivarol, réunirent dans cette salle plus de cinq cents personnes : preuve éclatante et renouvelée de l’approbation qui venait à l’Institut d’Action française.
Dans cette affluence, comment manquer ici de remarquer avec distinction celle des dames ? Comment omettre de remercier celles-ci de la flatteuse attention qu’elles n’ont pas cessé de nous donner, de l’empressement qu’elles ont mis à nous suivre ? En surcroît des devoirs de famille, au milieu de tant d’obligations mondaines dont la saison les charge, comment ne pas admirer cette grande assiduité ? L’affection pour notre œuvre s’y montre dans un éclat qui nous enchante, d’où notre reconnaissance s’accroît, et qui double nos espérances.
Les étudiants nous sont venus en nombre, partie de l’Institut catholique, partie des écoles de l’État. Autre gage d’avenir non moins sensible, par où se trouve consacré le tour de scolarité que les inventeurs de l’Institut ont souhaité de lui donner tout de suite. On y a pris des notes, on a tenu des cahiers. Les comparaisons n’ont pas manqué avec l’enseignement officiel, et force a été de reconnaître que le plus grand empressement à suivre et à noter n’était pas toujours du côté de ce dernier.
D’autres marques de succès nous ont été données, non du côté des disciples cette fois, mais des maîtres. Le président de l’Union des Jaunes de France, M. Biétry, a souhaité de faire entendre chez nous quelques-unes des vérités sociales que l’expérience a su lui découvrir. Vous vous souvenez, Mesdames et Messieurs, de ces deux séances tenues ici même, et du grand succès qu’elles ont eu. L’occasion nous donna ce collaborateur comme pour témoigner que rien de sérieux, de fort, même préparé sur un autre terrain que le nôtre, ne serait enseigné nulle part, qui ne tendit à se faire entendre chez nous, attiré par notre corps d’enseignement comme par son centre naturel. Enseignement monarchique, centre de vérité : comme la royauté capétienne est le centre de l’intérêt français.
De grandes attaques venues de quelques catholiques, qui se prétendaient armés des intérêts de la dévotion, avaient remué l’opinion aux environs de l’époque où notre Institut se fonda. La saison ne devait pas se clore sans qu’une éclatante riposte à ces attaques fût entendue.
Dans la dernière conférence de la chaire du Syllabus, récemment donnée par M. l’abbé du Pascal, Monseigneur l’évêque de Montpellier parut. Il voulut bien prendre place près du conférencier et se faire entendre près de lui. La Gazette de France vous a fait lire les termes de l’approbation dont Monseigneur de Carbrières a daigné honorer notre œuvre. Elle empruntait aux circonstances une importance particulière. L’autorité et le caractère de l’hôte illustre qui la donnait, en font un des témoignages les plus chers dont nous puissions nous prévaloir. On s’était permis d’imprimer que de voir participer des catholiques à l’œuvre de l’Action française, est « scandaleux ». Désormais le public catholique saura quel scandale s’attache à la critique qui juge ainsi une œuvre publiquement approuvée par un prélat comme celui-là.
Mesdames, Messieurs, nous sommes ici pour vous dire : à l’année prochaine. Fort de ces premiers succès, l’Institut rouvrira avec des chaires nouvelles, un surcroît d’auditoires, une réputation agrandie.
Le concours d’intelligence et de zèle voué par nous à cette fondation est tout prêt pour de nouveaux efforts, que ne manqueront pas de suivre des conquêtes nouvelles. De votre part, que le concours financier ne fasse pas défaut à ces promesses d’avenir. À combien de tentatives d’un genre différent nous avons vu un tel discours ne pas manquer ! À combien, dis-je, que le succès ne devait pas couronner, et qu’une rigoureuse estimation des choses faisait d’avance prévoir de nul effet. Que d’enthousiasmes trompés, de générosités perdues, de ressources gaspillées dans l’aventure électorale, à laquelle quelques-uns, dit-on, s’apprêtent à courir de plus belle ! En répondant à notre appel, vous ferez voir, Mesdames et Messieurs, que les raisons par lesquelles se démontre l’urgence de notre enseignement à l’Action française possèdent votre entière adhésion. Vous témoignerez par là de leur excellence, à la façon dont d’autres témoignent de la puissance l’illusion qu’exercent les erreurs faciles.
Que l’importance d’une œuvre consacrée par un si évident succès, approuvée en principe par tout ce qui se rend capable d’envisager en France les vraies nécessités présentes, ne soit pas méconnue en fait. Avec les années nouvelles, il faut que notre enseignement se rende plus complet. Nous faisons pour l’année qui commence le projet de chaires nouvelles et non moins nécessaires. Nous souhaitons d’accroître notre publicité. Avec les auditeurs, qui viennent en abondance, il nous faut donc aussi des souscripteurs.
Ainsi l’accueil que l’Institut a reçu croîtra d’importance, et son renom d’éclat. Vous en tenez maintenant les promesses. À vous, Mesdames et Messieurs, d’en avancer l’effet. ■
Ce n’est pas sur BFM ni sur Cniouz que l’on trouverait la transmission de tel discours ; le fond est excellent en tous points mais également la forme, d’un français ne se retrouvant plus actuellement même dans ce qui est « bien écrit » et qui rend ce discours pas si austère qu’il pourrait sembler au premier abord .
Le correctif que votre commentaire apporte à notre présentation de ce beau discours nous paraît amplement justifié. (sur ce « qui rend ce discours pas si austère qu’il pourrait sembler au premier abord »).
Merci !
On parlait bien en 1906 ! et on ne parlait pas pour ne rien dire
Il y a beaucoup à apprendre de ce discours. Mais pour nous ….. vient il trop tard ?
C’est une constante de l’Action Française, réflexion et action ne sont jamais dissociées. A travers des époques et des styles différents, l’AF est un « mouvement-école » qui tente de transformer la raison en force (« notre force est d’avoir raison »).
Longtemps le militant a été symboliquement présenté avec un bon livre à la main et une canne plombée dans l’autre.
La plupart de ceux qui nous ont quitté ne parvenaient pas à supporter cette tension et préféraient plonger dans « l’activisme » ou « l’intellectualisme ».