Par Iris Bridier.
Ce billet intéressant et bien étayé est paru dans Boulevard Voltaire le 11 de ce mois. Nous n’avons rien à y ajouter, si ce n’est notre accord ! Comme c’est souvent le cas avec les publications de Boulevard Voltaire depuis – déjà ! – pas mal d’années.
Il était temps ! En trente pages (dans le cadre de son rapport public annuel 2023, publié ce 10 mars), la Cour des comptes s’interroge sur la gabegie financière de la politique culturelle de l’État menée depuis quarante ans. Elle dénombre ainsi « 7.282 festivals en 2021, soit près de quatre fois plus que 20 ans auparavant. […] Ce chiffre est sans commune mesure avec ce qui est constaté dans des pays voisins : il y aurait autour de 2.000 festivals en Italie, 1.000 en Allemagne et au Royaume-Uni. » Une politique culturelle qui subventionne largement le spectacle vivant et l’art contemporain, mais qui rencontre un vrai problème, et pas des moindres : ces festivals ne sont pas tournés vers le grand public ! La Cour des comptes prend pour exemple le Festival d’Avignon. À ce propos, notre ami Jean-Pierre Pélaez décrit si bien « les spectateurs maso-culturels, qui viennent tous les ans y admirer les merveilles choisies de l’art ministériel : pédagogues différenciés, cultureux divers et variés mais toujours de gauche, bobos multiples, professeurs d’art dramatique branchés, comédiens en herbe, verte ou jaunie. »
Ce festival, c’était la promesse de la démocratisation et du rajeunissement culturels. Sur son site, le Festival d’Avignon se targue de réussir « l’alliance originale d’un public populaire avec la création internationale ». Création internationale, oui ; public populaire, peut largement mieux faire, puisque le pari est raté, c’est un festival complètement gentrifié.
Ainsi, la Cour des comptes observe que sur la période 2013-2021, « les festivaliers appartiennent à des catégories sociales élevées et fortement diplômées (73 % sont au-dessus de bac+3 et 38 % au-dessus de bac+4). Les ouvriers représentent 2,4 % des festivaliers et les employés 7 %. » Son constat confirme celui de l’enquête Festivals, territoire et société qu’elle cite : « Depuis l’enquête de 2008, aucune diversification sociale des publics n’est à l’œuvre. »
Peut-être que les performances de Jan Fabre La main dans le slip. Direct et sans prévenir. Oups ! Masturbation à gogo, orgasmes à répétition et jusqu’à épuisement ou celles d’Elodie KV et sa Révolution positive du vagin ne parviennent pas à séduire un public en quête de beauté ? Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent : le rapport précise qu’en « 2021, les subventions aux festivals de spectacle vivant ont atteint 40,9 millions d’euros » et que « les aides consenties sont très concentrées : les festivals d’Aix-en-Provence et Avignon ont, à eux seuls, bénéficié de plus du quart du financement du ministère de la culture ».
Dans un jargon assez sobre, la Cour des comptes invite donc le ministère de la Culture à « reposer la question des exigences dont, en contrepartie, est assortie leur allocation ». Elle lui suggère de « poursuivre la connaissance des moyens, financiers et en nature, du fait festivalier afin d’appréhender le réel effort des collectivités territoriales et leurs retombées économiques », de « mieux formaliser les objectifs attendus de chaque festival bénéficiant de concours publics », de « mesurer les effets des mesures prises par les festivals en matière de démocratisation des publics » et, enfin, de « conditionner davantage les aides de l’État à des exigences de création, de démocratisation culturelle et de diffusion numérique (ministère de la Culture) ».
Le ministre de la Culture répond, dans ce rapport, à la Cour des comptes et se défend : « En matière de démocratisation culturelle, il [le soutien de l’État] vise des festivals qui développent des actions spécifiques en direction des populations, utilisent des outils de médiation, permettent une ouverture à un large public par une politique tarifaire adaptée, portent une attention à l’accessibilité des lieux et des propositions artistiques, ou enrichissent l’offre du Passe Culture ». De même que la Cour des comptes ne pointait que les aspects financiers sans juger de l’esthétique des créations artistiques, Rima Abdul-Malak répond sur la forme et non sur le fond…
Pour ce qui est de la culture idéologisée, le public devra encore manifestement la supporter. Sinon, il pourra aussi plébisciter le nouveau spectacle du Puy du Fou. Rappelons que ce Parc multirécompensé ne perçoit aucune subvention publique et, pourtant, rencontre le succès qu’on lui connaît, preuve que les gens ont plutôt soif de créations lyriques et épiques… ■
Iris Bridier
Sur la « gentrification » de la culture.
Avec les subventions publiques, ce qui prétend relever de l’art n’a même plus de besoin d’attirer un public. De petits cercles « bobos » sont les seuls à bénéficier de la manne publique. Et les œuvres se font de plus en plus hermétiques (non pas d’Hermès le messager des dieux qui manifeste le sens caché des choses, mais plutôt plongée dans le non sens, le dérisoire, la « déconstruction », le nihilisme… En voulant se l’approprier très exclusivement, « l’intelligentsia » ruine la culture
Jadis, avec des Jean Villar ou André Malraux, elle avait encore l’ambition de partager les grandes œuvres de l’humanité avec l’ensemble de la population. On osait jouer « les Perse » la tragédie d’Eschyle sur l’unique chaîne de la télé à 20 heures.
Aujourd’hui, que reste-t-il pour le peuple ? Les « élites » ont su le couper de sa propre production culturelle rejetée dédaigneusement comme « folklore ». Faute d’une culture du peuple, la culture « populaire », la culture PAR le peuple est devenue culture POUR le peuple fabriquée industriellement par le « soft power » américain qui lui impose ses normes de masse forcément « mondialisées » et démagogiques. Les dieux sont réduits à de ridicules « super-héros » hollywoodiens ». D’un côté la « nouvelle cuisine » avec laquelle on reste sur sa faim, cuisine de classe, cuisine de cathare, qui prétend qu’on n’a pas vraiment besoin de s’alimenter. De l’autre l’étouffe-chrétien des Mac-do…
L’Etat républicain est un mauvais mécène (comme les commissions municipales qui décident des « œuvres d’art » qui prétendent décorer nos ronds-points). Qui nous rendra nos rois qui savaient susciter un style propre à leur règne ? Quand retrouverons nous des communautés dont les traditions sauront formaliser les mythes et le génie de notre peuple ? Comment l’un et l’autre, le mécénat ( des élites, de l’Eglise et de l’Etat) et les coutumes populaires parvenaient ils à se féconder mutuellement ?
Pour ce qui est des subventions publiques , il n’y a pas que les festivals dont JSF nous donne un échantillon des « audaces » dont il n’est pas certain qu’elles correspondent aux attentes du public allant à de telles manifestations ; il y a aussi ce que l’on peut trouver au « Pompidoléum ». Sans se prononcer sur l’ architecture, discutable, (il faudra voir pour les prochaines générations – comme déjà relevé dans un commentaire- mais, reconnaissons
toutefois le bon choix de l’emplacement : ça ne se voit pas de loin !) L’extérieur mis donc à part, l’on y peut voir quelques « installations » (visite d’il y a quelques décennies) amas hétéroclites, du genre sceaux avec serpillières et balais ou encore contenu de poubelles mis sous boites de plexiglas avec affichettes ( ce qui scandalise le plus : « achat de l’ Etat ou encore « achat de la ville de Paris » ; le prix n’était pas indiqué, le quidam pouvait cependant se demander s’il fallait que le contribuable, en fin de compte, nourrisse de tels artistes.)
Dès les années 70 les Avignonais avaient déserté le Festival. Pour eux c’étaient des hippies sales et des fadas et ils regardaient cette foule debraillee avec amusement au début et mépris rapidement alors pour le côté populaire ce n’était que de l’incantation, ce que les Anglais nomment » wishful thinking » mais quel merveilleux fonds de commerce pour les thuriferaires de la culture officielle colonisée des les années soixante par les petits enfants de Bertold Brecht auxquels on avait offert des maisons de la culture dont aucune création n’est jamais sortie
Pour dire incantation, les Anglais, comme nous, disent (avec leur drôle de prononciation) « incantation ». Le très snob -et pas très français- « wishful machin », n’est que leur version de nos « désirs pris pour la réalité ». Outre son incongruité, cette expression étrangère, prononcée à la française (« sinking ») se traduirait plutôt par « sabordage espéré » ! Loin donc d’un progrès dans l’expression.
Il en va de même de l’inutile, très snob -et pas très français – « thinktank ». Prononcé « sink tank » par ses adeptes francophones, il devient grotesque (« caisson noyé » ?) et les rend ridicules aux yeux de nos voisins. Si je suis français je cherche à rendre l’idée au lieu de faire le singe : cénacle, cercle, laboratoire, fondation… seraient, il me semble, de meilleurs débuts, quitte à préciser avec pertinence.
Juste après les hommes dérangeants, c’est la culture que la Modernité entreprend d’assassiner.
Le cas de Robert Brasillach est illustre sur ce plan, parce qu’il fait effectivement entrer en confusion les deux aspects que la Modernité abhorre : l’honnête homme et ce qu’il porte avec lui – l’homme véritable et ce qu’il chante.
Le bien élevé garde des Sceaux, Pierre-Henri Teitgen, nommé à la Justice 3 mois après l’exécution de Brasillach, formule sophistiquement la crapulerie meurtrière. Selon lui – je le cite d’après un entretien –, aux yeux de De Gaulle, «Brasillach n’avait pas seulement prostitué sa plume et puis sa conscience mais les lettres françaises. Pour le général de Gaulle, [Brasillach] était un représentant, et un haut représentant des lettres françaises et de l’humanisme français. Et il ne lui a pas pardonné d’avoir mis non seulement sa personne mais ce qu’il incarnait au service des Allemands.» Sur quoi son interlocuteur le relance : « — Il fallait un châtiment exemplaire au talent exemplaire ?» Et Teitgen d’abonder : « — … au talent exemplaire.»
D’après tel raisonnement, il convient de trier tout «haut représentant», de juger et, en cas de faute supposée, de châtier exemplairement, et en priorité, le «talent exemplaire»… Pareille «vertu» me saisi d’horreur.
Indulgence plénière, donc, aux malfrats et se montrer impitoyable avec les beaux et les grands…
Teitgen se trahit et trahit ses semblables sans en prendre conscience. Pour ceux-là – les «politiques», comme on dit –, il y a lieu de s’attaquer aux terreaux et ferments de culture : le «talent exemplaire», c’est là leur cible, rien d’autre ne les obsède davantage. Et ce, parce qu’ils savent que leur croissance dépend de l’impératif de diminution de ce sur quoi ils s’appuient, nommément désigné par Teitgen, ici, comme étant «les lettres françaises», auxquelles on sait que de Gaulle et Mitterrand entendaient prétendre…
Et puis, il leur faut concocter une «politique culturelle» – en l’occurrence mise entre les mains des communistes et, plus précisément, du communiste Malraux. Celle-ci se chargera de rendre les terroirs stériles, par la pulvérisation de l’herbicide sélectif des subventions gouvernementales.
Michel Michel se rappelle la dramatique télévisée d’après Eschyle ; il se languit de ce temps où l’on diffusait de telles productions. Je me languis aussi, par la même comparaison, cependant il faut gader à l’esprit que ces entreprises, bien élevées pour commencer, ne sont faites que pour subvertir, et ce, par l’exercice du pied d’égalité, en quelque sorte, pied sur lequel on va installer tout uniment, par exemple, «Les Perses» et «L’étoile devient rouge», de Sean O’Casey. Exactement à la même époque (1961), le frais émoulu Théâtre de la Commune d’Aubervilliers de Gabriel Garran montait la pièce d’O’Casey… Quelques jours après sa création dans un gymnase au festival d’Aubervillers, reprises au Théâtre Récamier , où je l’ai vue ; je me rappelle la représentation avec dégoût : ce final abject, durant lequel la troupe au complet montait à l’avant-scène, des trémolos dans la mine exaltée, les yeux rivés vers un ciel d’hypothèses socialistes dans lequel, par tous les diables, l’étoile était manifestement portée au rouge soviétique. Il s’agissait, s’il vous plaît ! de frémir épidermiquement à l’idée de ces lendemains qui chantent au firmament.
Dès après 1945, ce sont ces gens-là (je les ai bien connus et fréquentés toute mon enfance, je les connais!) qui ont réglementé et enrégimenté, sous une météo culturelle virée au rouge sang, et ils sont victorieux…
Pour y parer peut-être encore, s’il était possible d’y parer, il est impératif d’opposer la plus véhémente contrariété, la plus intransigeante, la plus intolérante et, pour commencer, en cessant définitivement de lénifier (c’est bien le terme) en survalorisant certains des plus vils agents de cette subversion – y en eût-il de talentueux, sans les passer trop par les armes, ignorons-les, tout simplement.
Je fais allusion aux boutoirs culturels assenés à tout bout de champ par les Jean d’Ormesson, Éric Zemmour et consort pseudo-néo-droiteux qui ont constamment le nom d’Aragon à la boutonnière au lieu de celui du sublime Paul Claudel, que je ne les ai guère entendus louer…
Loin de ces sombres nuées, voici une superbe production de FR3 (avec la Comédie Française), datant d’il y a 6 ans. Outre les téléspectateurs, cette merveille aurait été, si l’on en croit les chiffres affichés, vue par 146 000 internautes. Un vrai succès populaire, dans la meilleure tradition. Un festival, au sens propre !
https://www.youtube.com/watch?v=dVfgYodFh0s
De quoi s’agit-il ? Il suffit de cliquer pour le savoir. Vous m’en direz des nouvelles.
Merci à Marc Vergier de nous avoir indiqué le lien pour voir cette superbe production des » Femmes savantes ». La pièce n’ a pas pris une ride depuis six ans ( ou trois cent ans) ; au contraire, elle est plus actuelle que jamais avec le déferlement du wokisme, ses débordements : son refus du mariage, en réalité de la sexualité derrière ses provocations devenues folles et ses tristes Trissotins ou Trissotines!. Dans une langue superbe, une diction où chaque vers est mis en valeur,une mise en scène vivante et soignée, Molière nous met en face de nos ridicules, le bon sens nous délivrant des chimères, et creusant notre destin et notre liberté.. Bravo!(étonnant que cette pièce ne soit pas censurée, mais cela va venir d’une certaine mmanière, toujours la même : l’hypocrisie)