Par Florence Kuntz.
Notre commentaire – Cette « tribune » parue dans Le Figaro d’hier 20 mars, constitue bien non seulement un rappel utile du déroulé de la guerre menée par les Etats-Unis en Irak il y a vingt ans, non seulement une évocation de la courageuse opposition française à la désastreuse invasion de ce pays alors préparée par la coalition étatsunienne, mais aussi « un bilan d’irrealpolitik » qui devrait au moins garder la France de toute velléité de participation aux actuels nouveaux préparatifs guerriers une fois encore étatsuniens.
FIGAROVOX/TRIBUNE – Le 20 mars 2003, les États-Unis envahissaient l’Irak de Saddam Hussein, accusé de détenir des armes de destruction massive et de soutenir le terrorisme. Vingt ans plus tard, la France semble avoir oublié de faire de la Méditerranée une priorité stratégique, regrette l’ex-eurodéputée Florence Kuntz.
Un bilan d’« Irrealpolitik »
Le 20 mars 2003, les forces américano-anglaises envahissaient Bagdad au nom de la guerre contre le terrorisme. L’opération «Iraqi Freedom» («Liberté irakienne»), bafouant le droit international, ravageant la capitale des Abbassides, allait selon les prédictions de la Ligue Arabe «ouvrir les portes de l’enfer au Proche Orient», et décupler un péril islamiste, dont les Occidentaux peinent encore à réaliser l’intensité et l’étendue.
Durant les mois d’avant-guerre, la France, promue chef de file des opposants à cette intervention, a porté avec courage et panache la voix de ceux qui privilégiaient la diplomatie sur le recours à la force, préférait le dialogue des civilisations au choc des cultures, et brandissait un veto à une offensive préventive, que Dominique de Villepin prophétisait à la tribune de l’ONU «lourde de conséquences sur les hommes, sur la région et sur la stabilité internationale».
Vingt ans plus tard, que reste-t-il de cette épopée glorieuse ? Signant finalement la défaite diplomatique d’une France qui n’avait pu empêcher la guerre, le printemps 2003 marque surtout la dernière manifestation d’une politique étrangère singulière, portant, dans un Orient compliqué, quelques idées simples : Indépendance face aux grandes puissances et au sein de l’Europe, et rôle d’équilibre et de médiation dans la région MENA.
Braver l’Amérique Au lendemain du11 septembre 2001, le président américain prévient : «Il est important que les nations sachent qu’elles seront tenues responsables de leur inactivité. Dans la lutte contre le terrorisme, soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous». À ses côtés, Jacques Chirac soutiendra sans réserve l’intervention en Afghanistan. Mais comme le piège néoconservateur se referme, à peine quatre jours après les attentats des Twin Towers, le n° 2 du Département de la Défense, suggère qu’une opération de représailles soit lancée conjointement contre l’Afghanistan et l’Irak, et George Bush va tenter d’utiliser l’émotion collective suscitée par les attentats d’Al Qaiada pour mener à terme l’entreprise entamée dix ans plus tôt par son père, la chute du régime irakien. La France tiendra bon…quoiqu’il en coûte ! En privilégiant la négociation comme alternative à la guerre, en prônant le désarmement pacifique de l’Irak, elle se retrouve projetée dans le camp des soutiens au Raïs. L’exécutif résistera à une vague de francophobie sans précédent, alimentée par la campagne de french bashing des medias néoconservateurs, nourrie de menaces de représailles économiques au veto, qui submergera l’Amérique de manière durable. À l’été 2004, 27% des Américains estiment encore que la France est un ennemi dans la guerre contre le terrorisme. Il faudra attendre l’élection de Sarko l’américain, «ses 100 jours» lourds de symboles – nomination au Quai d’Orsay de Bernard Kouchner l’un des rares politiques français ayant soutenu ouvertement l’invasion de l’Irak, premières vacances présidentielles dans le New Hampshire en août, pique-nique dans le Maine, à l’invitation des Bush, père et fils accompagnés de leurs épouses – pour enclencher le grand retour de la France dans la famille occidentale, consacré par la réintégration du commandement intégré de l’Otan en 2009.
Assumer les divisions entre Européens C’est la première fois depuis 1992, et la création de la PESC, que les Européens se retrouvent aussi divisés sur un sujet de politique étrangère. Mais dans la crise irakienne, jamais l’Europe n’essaiera de parler d’une seule voix ! Chacun défend d’abord ses traditions et intérêts, et choisit son camp, de fait, l’atlantisme. Si le couple franco-allemand se retrouve sur l’opposition à un usage de la force, exprimée lors de l’anniversaire du Traité de l’Élysée en janvier 2003, l’Europe des 15 est va-t-en-guerre. Aux avants postes, la Grande Bretagne où Tony Blair relaye avec zèle les positions américaines, quand il ne les devance pas ! À Madrid, le Parti Populaire au pouvoir n’est pas en reste, pourtant à rebours de son opinion publique ; la «rue ibérique» sera une des plus mobilisées contre le conflit irakien. Mais la Doctrine Bush contre le terrorisme séduit un José María Aznar, lui-même victime de l’ETA dans les années 90, et c’est Colin Powell que le premier ministre espagnol sollicitera pour dénouer le bref conflit territorial qui l’oppose au Maroc sur l’îlot Persil à l’été 2002.
Quant aux pays d’Europe centrale et orientale, qui adhéreront à l’Union après cette crise, primait la protection que leur offrait l’Otan – pour certains depuis 1999 – face à la menace russe. Ils appellent sans réserve à l’unité transatlantique dans la croisade anti Saddam. D’abord, dans la «lettre des 8» de janvier 2003, signée par la République tchèque, la Hongrie et la Pologne aux côtés de pays membres. Puis, le 5 février, les ministres des Affaires étrangères d’Albanie, de Bulgarie, de Croatie, d’Estonie, de Lettonie, de Lituanie, de Macédoine, de Roumanie, de Slovaquie et de Slovénie, réunis à Vilnius, demandent au Conseil de sécurité de «prendre les mesures nécessaires» pour faire cesser la menace irakienne. La réplique du «boomer» Chirac, leur reprochant d’avoir «manqué une bonne occasion de se taire», reste à peine dans la mémoire de « ceux de Vilnius » et de Varsovie, lesquels aujourd’hui font l’Europe, une Union européenne dont le moteur est la géographie, et le cœur l’Alliance atlantique.
La politique arabe de la France ? C’est Jobert, le natif de Meknès qui en parlait le mieux : «La France n’a pas de politique arabe, pas plus qu’elle n’a de politique chinoise, mais elle a une politique de ses intérêts en direction des pays arabes.» Dans la crise irakienne, en refusant de faire de la guerre le plus court chemin vers la sécurité collective, notre diplomatie se faisait en même temps «gardien d’un idéal» et fidèle allié des Irakiens, accompagnant leur développement depuis les années 70, premier partenaire commercial occidental de Bagdad, soutien des années de guerre contre l’Iran et protecteur des Chrétiens d’Orient…
La guerre va tout emporter – les promesses de Chirac sur la place de la France dans la reconstruction, notre intransigeance au Conseil de sécurité avec un ralliement à la résolution 1511 légitimant l’occupation de l’Irak par les forces de la coalition – et dérégler la boussole de notre politique arabe, jusqu’à nous faire perdre le Sud ! Que l’on évoque collectivement les pays riverains de la Méditerranée, et l’échec de l’Union méditerranéenne, torpillée par l’Allemagne. Que l’on pense à Tunis et au Caire à l’hiver 2011, et des printemps arabes sous-estimés par une diplomatie française qui, au bout du compte , finira par ruiner les dividendes de 2003 sur les rives de Syrte, en participant à la liquidation de Kadhafi. Que l’on se désole enfin de la relation abîmée avec le Maroc. Un bilan d’« Irrealpolitik » d’autant plus douloureux que les enjeux sécuritaires, culturels, et économiques commanderaient à la France, comme en 2003, de faire de la Méditerranée une priorité stratégique. ■
Ancien député au Parlement européen, Florence Kuntz est l’auteur de Faut-il détruire Bagdad ? (Ed. du Rocher, janvier 2003). À noter que Florence Kuntz est plusieurs fois évoquée par notre confrère Péroncel-Hugoz dans son Journal d’un Royaliste français au Maroc et ailleurs dont JSF a publié de larges extraits.