Par Yves MOREL.
De 1905 à 2023, le Parti socialiste n’a été que la réunion opportuniste de révolutionnaires en mie de pain, surtout attachés à l’ordre bourgeois. Désormais cantonné à la défense de toutes les lubies progressistes, quand bien même elles détruisent le peuple, le PS ne se remet pas du gouvernement Fabius et encore moins du quinquennat Hollande.
Le ventre de la bête est encore fécond. Sans doute, ordinairement réservé à l’extrême droite, supposée tout entière fille légitime du fascisme sous sa pire forme (celle du nazisme et de ses complices français de la Collaboration), ce propos semble excessif, appliqué au PS. Il n’est cependant pas tout à fait dénué de pertinence. Il convient, en effet, non sans quelque exagération, redisons-le, à l’état présent de ce parti, dévasté depuis les élections présidentielle et législatives de 2017, déserté par ses adhérents (lesquels ne furent jamais légion) passés dans le camp macroniste ou à La France insoumise ou encore on ne sait où, moribond, devenu un acteur mineur de la vie politique, doté d’un premier secrétaire falot (Olivier Faure), presque oublié, parti qui se croit toujours un avenir et trouve encore le moyen de se fragmenter en tendances rivales animées par des hommes qui s’affrontent dans une dérisoire guerre des chefs.
Un parti hétéroclite fondé historiquement sur l’ambiguïté.
Si, dans notre pays, il existe un parti politique caractérisé par l’équivoque permanente, l’imposture et l’hypocrisie, c’est bien le parti socialiste, et ce depuis ses lointaines origines au début du XXe siècle. Ce parti fut fondé en avril 1905 à Paris, lors du Congrès du Globe, sous le nom de Parti socialiste unifié. Section française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) grâce à la fusion des divers partis socialistes de l’époque : Fédération des Travailleurs Socialistes de France (modérée, possibiliste) de Paul Brousse, Parti ouvrier socialiste révolutionnaire de Jean Allemane, Parti Ouvrier (marxiste) de Jules Guesde, Parti socialiste révolutionnaire (blanquiste), « socialistes indépendants » (proches des possibilistes et des radicaux-socialistes) et autres groupes minoritaires. Cette union des socialistes n’allait pas de soi au départ : un abîme séparait les modérés possibilistes et les socialistes indépendants, prêts à soutenir tout ministère progressiste, voire à y participer, des guesdistes, marxistes arc-boutés sur la lutte des classes et hostiles à tout compromis et à toute alliance avec la bourgeoisie eût-elle été favorable à certaines réformes ; et les allemanistes étaient révolutionnaires sans être marxistes. Le maître d’œuvre de l’union fut Jean Jaurès, intellectuel brillantissime, dialecticien et doctrinaire hors normes, qui sut intégrer le marxisme, l’ouvriérisme et autres aspirations révolutionnaires à une stratégie réformiste et légaliste consistant à combattre le conservatisme et la réaction et à promouvoir des réformes par la voie parlementaire. Jaurès s’employa, de tout son talent de philosophe, d’historien, de congressiste et d’orateur, de par ses livres, ses articles, ses discours, à présenter le socialisme marxiste et ouvrier comme le prolongement logique et inéluctable de la Révolution française, l’ère des réformes sociales les plus hardies, graduellement réalisées par voie parlementaire venant compléter l’œuvre politique et juridique de 1789-1794, du Consulat, de 1848 et de la IIIe République des débuts. Cette « synthèse jaurésienne », comme on l’appela plus tard, fut à l’origine de la plus extraordinaire ambivalence qui affecta un parti politique, jusqu’à devenir partie intégrante de son identité, de son ADN.
Conséquence de cette ambiguïté : embourgeoisement et abandon rapide de l’idéal socialiste affiché
Cette fatale ambiguïté se manifesta dès les années 1900. Les députés socialistes, de plus en plus nombreux, s’installèrent dans des positions de notables tout en se réclamant de la conception marxiste de l’histoire (mâtinée de jacobinisme et de culte de la Révolution française), et d’idéalisme démocratique égalitaire et ouvriériste. Embourgeoisés, nantis de mandats de parlementaires et de maires, critiques d’une société dont ils profitaient et qu’ils ne voulaient au fond pas changer, devenus, en somme, des radicaux théoriquement marxistes, ils rejoignirent, en 1914, l’union sacrée en faveur de la guerre contre l’Allemagne et votèrent les crédits militaires, tout comme leurs frères sociaux-démocrates d’outre-Rhin, devenus les soutiens patriotiques du Reich monarchique et antidémocratique et de l’armée des Junkers prussiens contre la France, l’ennemie héréditaire de leur pays. En France, les socialistes participèrent aux gouvernements de guerre, tels Marcel Sembat et même Jules Guesde, apôtre intransigeant de la lutte des classes. L’universitaire germaniste Charles Andler, lui-même longtemps socialiste, devait dire plus tard de la social-démocratie allemande : « C’était une énorme façade cachant une énorme impuissance ». En effet : impuissance à s’opposer au nationalisme et à faire prévaloir l’idéal socialiste pacifiste sur le patriotisme belliciste, et ce en Allemagne comme en France ; impuissance de ces notables bourgeois, parlementaires et, au fond, conservateurs, à devenir d’authentiques socialistes décidés à changer la société, le cours des choses et l’homme lui-même. Cette impuissance, sous la forme d’un renoncement de fait à l’idéal socialiste, au marxisme et à la préférence à accorder à la lutte des classes contre le nationalisme qui unissait ces dernières, révélait la vanité et l’échec politique total du socialisme, celui des marxistes purs et durs comme celui des jaurésiens, au marxisme enrobé de patriotisme et de jacobinisme républicain.
Prenant conscience de cet échec, dû à l’ambiguïté jaurésienne fondatrice de la SFIO, la majorité des socialistes décida de créer un parti ouvertement et exclusivement marxiste et révolutionnaire lors du congrès de Tours de décembre 1920. Devenue un parti sans militants (mais non sans députés, loin de là), la SFIO resta avec son ambiguïté congénitale et fut plus divisée que jamais entre révolutionnaires (Marceau Pivert), représentants d’un ouvriérisme vieilli (Paul Faure), post-guesdistes (Jean Zyromski), « reconstructeurs » post-jaurésiens (Léon Blum) et néo-socialistes planistes (Marcel Déat), les « fauristes » et les « blumistes » réussissant, grâce à leur entente stratégique, à exclure les autres tendances en 1935… pour engager leur parti dans l’aventure désastreuse du Front populaire. Car son l’échec tint lourdement à l’incapacité du ministère Blum à opter en faveur d’un dirigisme économique fort et à son obstination à introduire des réformes économiques et sociales dans un système libéral où elles ne pouvaient qu’avoir des conséquences néfastes.
Divisions et dérive conservatrice de la SFIO
L’Occupation ne fut guère favorable aux socialistes. Les fauristes rallièrent aussitôt Vichy. Blum fut arrêté, Dormoy fut assassiné, tous les autres subirent les persécutions ou la prison. Sous la IVe République, la SFIO refusa le réformisme avoué de Daniel Mayer au nom de la fidélité à l’idée marxiste de lutte des classes, que ses dirigeants ignoraient pourtant délibérément : ils défendaient ou pratiquaient (avec Guy Mollet) une politique très modérément réformiste, dépourvue de toute velléité d’initiative anti-capitaliste, conservatrice à maints égards, colonialiste et résolument atlantiste, européenne et anticommuniste. Et aucun d’eux, en réalité, ne souscrivait à la doctrine marxiste, ni ne souhaitait changer la société. En vérité, seul leur attachement à la laïcité et à l’école républicaine les ancrait à gauche, et ils devenaient un avatar du radicalisme. Ayant perdu tout crédit à gauche tout en demeurant opposés à la droite sur l’échiquier politique, la SFIO, replâtrée et rebaptisée « parti socialiste » en juillet 1969, vit son candidat à la présidentielle du printemps 1969 (Defferre) se traîner à un score de 5 % des voix.
L’évolution fatale du parti socialiste vers le libéralisme économique et la subversion morale au nom des « valeurs de la République »
Elle dut se fondre dans le nouveau Parti socialiste de François Mitterrand, grossi de la Convention des Institutions républicaines et des clubs, en juin 1971, à l’issue du congrès d’Épinay. Regroupant les mouvances les plus diverses et les plus mutuellement opposées (vieux socialistes SFIO, sociaux-démocrates, technocrates de style mendésiste, jacobins marxisants du CERES), ce parti fut, en fait, l’instrument de la conquête de l’Élysée par Mitterrand en 1981, puis de son maintien au pouvoir. Passées les folies socialisantes des nationalisations en nombre, de l’économie dirigée et de la démagogie dépensière, les socialistes au pouvoir entrèrent, à partir de 1984, dans la voie du réalisme, rejoignant la droite dans l’austérité – renommée « rigueur » et « maintien des grands équilibres » – avec Fabius, puis Rocard, Cresson et Bérégovoy, et, ultérieurement, Jospin, puis Hollande et Valls. Et, de socialisme, il ne fut désormais plus question. Les socialistes se recentrèrent sur « les valeurs de la République », dont on nous rebat les oreilles. Ils devenaient des jacobins new look, intégrant à l’idéal républicain le plus traditionnel et à la vieille morale de l’école ferryste, le laxisme en matière d’immigration (au nom de l’anti-racisme, de l’universalisme des droits de l’homme et de la solidarité avec le tiers-monde), le féminisme extrémiste (impliquant le droit inconditionnel à la contraception et à l’avortement, l’institution de la PMA, et bientôt de la GPA, celle de l’écriture inclusive et des discriminations positives fondées sur le critère de l’identité sexuelle), la défense active et promotionnelle des minorités LGBT, le « mariage pour tous », la culture de toc à la Jack Lang et, dans une moindre mesure, la défense de l’environnement. Et, comme la droite « républicaine » qui s’alignait, intimidée et servile, sur ces « valeurs », était d’un implacable « politiquement correct », il devint impossible de discerner ce qui distinguait nettement la gauche socialiste de la droite puisque toutes deux pratiquaient en gros la même politique économique et sociale, leurs différences en ce domaine n’étant perceptibles que par les économistes, les politologues et les journalistes spécialistes de l’analyse minutieuse des programmes et des choix politiques de l’une et de l’autre.
Les électeurs finirent par se lasser de cette fausse dichotomie et de ce semblant d’alternance entre une gauche socialiste libérale et une droite acquise aux « valeurs » de la gauche, dont elle se refusait à remettre en question les « conquêtes » et les « acquis », et finirent par les récuser l’une et l’autre, en 2017, en faveur de la mouvance macronienne (qui en mêlait les éléments, du reste), lorsqu’ils n’étaient pas trop mécontents de la situation actuelle, ou, pour ceux qui, au contraire, désespéraient du système et aspiraient à un véritable changement, de La France insoumise (LFI) ou du Rassemblement national mariniste.
Le rejet électoral d’un parti désormais privé de sa raison d’être
Le PS et Les Républicains (LR) ont tous deux pâti de la désaffection des Français à leur égard, mais le premier a particulièrement souffert en raison de l’immense déception suscitée par sa politique sociale, lorsqu’il était au pouvoir, depuis le tournant « réaliste » du premier septennat de François Mitterrand, sous la conduite de Fabius, tournant confirmé ultérieurement par les ministères Rocard, Cresson, Bérégovoy, Jospin, Ayrault et Valls, et la présidence de Hollande. Rappelons le score désastreux de sa candidate, Anne Hidalgo, à la dernière présidentielle : arrivée en 10e position (sur 12 candidats, et derrière des concurrents aussi insignifiants que Lassalle, Roussel ou Dupont-Aignan), avec 1,7 % des suffrages exprimés. Aujourd’hui, le PS ne dispose plus que de 31 députés (sur un total de 577), 62 sénateurs (sur 348), 4 présidents de région (sur 18), et 3 députés au Parlement européen (sur 79), et il est plus divisé que jamais, au bord de la scission. « On sent combien manque une gauche de gouvernement », soupirait Olivier Faure, chef du PS, quelques mois après son désastre historique du printemps 2017. Erreur : cette « gauche de gouvernement » existe ; elle s’appelle Renaissance (ex-LREM), et elle a supplanté le PS et LR, lesquels ont perdu toute raison d’être. Le parti socialiste paie au prix fort son ambiguïté constitutive. On ne pardonne pas à une gauche qui entendait changer la société suivant des postulats révolutionnaires longtemps marxistes, et même de « changer la vie » (slogan de Mitterrand et du PS en 1981) de pratiquer, sous prétexte de pragmatisme, d’efficacité ou de « rigueur », une politique conservatrice mâtinée de gauchisme exacerbé, de modernité tapageuse, de terrorisme intellectuel et moral et de subversion des valeurs fondatrices de la civilisation, tout cela au bénéfice d’une bourgeoisie hédoniste, sur fond d’inégalités criantes et de détresse du gros de la population. L’ambivalence, l’équivoque, le double langage, le double jeu finissent toujours par recevoir leur juste sanction. La formation créée par Mitterrand en 1981 pour la prise du pouvoir reposait sur l’hypocrisie. Elle en est morte (pratiquement). La seule épitaphe lui convenant est celle que Gobineau, en son temps, écrivit pour la France post-révolutionnaire qui venait, en 1870-1871, de se fracasser, avec Napoléon III, contre la Prusse de Bismarck : « De profundis, et qu’elle aille à toutes les poussières du diable ». ■