PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Commentaire – Cette « chronique » est parue dans Le Figaro de ce samedi 22 avril. Nous n’avons rien à y ajouter ni à objecter tant l’analyse nous paraît pertinente. Sauf peut-être ceci : ceux qui croient utile de modérer ou modifier ou camoufler leurs idées de fond pour devenir plus acceptables, se conformer à la doxa, pour mettre fin aux accusations d’infamie portées contre eux, et soigner leurs petits complexes, ceux-là sont, dans l’action politique, des débutants ou des naïfs. Rien n’empêchera au moment opportun leurs adversaires de les clouer au pilori dont ils croyaient s’être libérés. Nous ne vivons pas, bien sûr, dans un système d’honnête débat, mais de survivance toujours renaissante de l’esprit de Terreur, expérimenté chez nous dans les années 1790 et répandu depuis sur la planète entière. La politique des concessions est, presque toujours, une duperie au détriment de celui qui concède.
CHRONIQUE – C’est dans la mesure où elle conserve le pouvoir d’accoler une étiquette à ceux qui pensent mal que la gauche conserve son hégémonie médiatique.
C’est une étrange polémique qui secoue le milieu médiatique et la gauche mondaine depuis un peu plus d’une semaine. J’en rappelle les termes : Hugo Clément, le journaliste vedette de France Inter, bien connu pour son engagement écologiste, s’est retrouvé en débat avec Jordan Bardella lors d’une soirée organisée par l’excellent hebdomadaire Valeurs actuelles.
La question environnementale était justement au cœur de leur échange. Rien de plus banal : un militant débat avec un leader politique à propos de l’avenir de la planète, en cherchant à convaincre un public qui n’est pas reconnu pour être le sien d’embrasser ses préoccupations.
Mais la gauche mondaine s’est étranglée d’indignation devant ce débat. « On ne débat pas avec le RN », ont répété les commissaires politiques, et on accepte encore moins les invitations de Valeurs actuelles. Pour la gauche, le RN demeure un parti « d’extrême droite ».
N’hésitant pas à distribuer plus que généreusement cette étiquette, elle l’associe aussi, aussi absurde que cela puisse paraître, à Valeurs actuelles. Dès lors, il faudrait tendre contre eux un cordon sanitaire et faire preuve de la plus grande vigilance pour que personne ne le traverse. Ceux qui oseront le faire devront voir leur réputation détruite. Des « journalistes de gauche » sont là pour ça.
L’exorcisme politique
Les plus «modérés» ont amendé l’argument. Certes, il serait possible de débattre avec le RN, mais il ne serait pas possible de débattre avec lui dans un média ne participant pas à sa diabolisation, et ne jugeant pas qu’elle va de soi. Sur le service public, toute une émission a posé avec gravité l’essentielle question. « Écologie : faut-il en débattre avec l’extrême droite ? »
C’est ainsi qu’elle était présentée sur le compte Twitter de la chaîne. Sachant que du point de vue de l’émission, 42 % des Français ont voté pour « l’extrême droite » à l’élection présidentielle, on se demandait donc si plus de 2 Français sur 5 étaient dignes d’être intégrés dans le débat public. Sur le service public.
On le sait, ou on devrait le savoir, la catégorie « extrême droite », à peu près indéfinissable intellectuellement, relève davantage de la démonologie que de la politologie. Et que faire avec le diable, lorsqu’il hante la cité, et se fait passer pour un parti démocratique ? Il suffit de coller cette étiquette à un parti ou un journal pour qu’il soit d’un coup entouré d’un halo inquiétant, radioactif. La politique vire alors à l’exorcisme.
C’est dans la mesure où elle conserve le pouvoir de l’accoler à ceux qui pensent mal que la gauche conserve son hégémonie médiatique, d’autant qu’ils sont nombreux, encore aujourd’hui, à la redouter, comme on redouterait la marque du diable. La diabolisation demeure plus efficace qu’on ne le dit.
Il existe une véritable sociologie de l’étiquetage idéologique. Car qui parvient à étiqueter de sale manière un adversaire peut ainsi l’infréquentabiliser, ce qui revient à réinventer l’ostracisme. On entre là au cœur de la question du monopole du récit public légitime. Ce que la gauche reproche à tel journal, à tel hebdo, à telle chaîne info, est de se soustraire à son système de catégorisation de la vie politique, et de proposer une autre narration des événements, de hiérarchiser l’information, de nommer les éléments qui composent la vie démocratique.
Elle se sent alors fragilisée dans son magistère, et elle panique et accuse de complicité avec la bête ceux qui ne respectent pas ses interdits. Ce sont, dit-elle, les nouveaux collabos. C’est le procès mené depuis plus d’une semaine contre Hugo Clément.
La diabolisation continue
La gauche idéologique ne tolère pas l’existence d’autres espaces de débat, accusés de produire systématiquement de la «désinformation» et des «discours haineux» – ces derniers se définissant par leur remise en question des fondements du discours diversitaire fondant les revendications « minoritaires ». Cela ne date pas d’hier, comme le rappelait Jean Sévillia dans Le Terrorisme intellectuel, il y a vingt ans. Sans surprise, qui reprend la formule de l’historien est accusé de verser à son tour dans « l’extrême droite ». La gauche idéologique cherche à diaboliser ceux qui nomment ses méthodes.
La gauche idéologique, dans la modernité, n’est pas une catégorie politique mais une catégorie théologique. Elle se distingue par sa prétention à incarner l’avant-garde de l’histoire en marche et traite ceux qui n’avancent pas à son rythme à la manière du bois mort de l’humanité. Le sectarisme, chez elle, n’est pas une dérive, mais un rapport au monde: c’est dans la mesure où on se veut éclairé par la même révélation qu’elle qu’on est en droit de participer à la vie politique.
Elle ne se frotte pas aux autres, de peur d’être contaminée, et ne veut pas les entendre dans l’espace public, car ils risqueraient alors d’hypnotiser les simples mortels qui peuvent se laisser enchanter par les sorciers de «l’extrême droite», qu’il faudra bien éradiquer pour rendre l’humanité meilleure. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Il y a une volonté évidente de la part de la Gauche de ne pas vouloir admettre la Verite