Par Gilles Cosson.
Commentaire – Le fond de cet article paru le 21 avril dans Causeur, c’est de pointer deux vices essentiels de toute démocratie : le verbiage et l’étalage, l’un et l’autre inconsidérés, immodérés. Ce ne sont pas des vices de notre invention : Shakespeare, au pays d’Anne Hathaway, au centre de la plus vieille démocratie du monde, en avait pointé tous les mécanismes dans son Coriolan, écrit il y a cinq siècles. Gilles Cosson signale fort à propos quelques grands noms, ou grands hommes, qui, sans rupture avouée avec ladite démocratie, se sont néanmoins affranchis de ses mécanismes pervers. Le parler bref et simple fut pour eux le moyen le plus efficace pour conduire un peuple, s’adresser à lui. Sans oublier cette aptitude à donner à leur comportement, à leur propos eux-mêmes, cette réserve de secret, de non-dit perceptible qui fondait mieux que tout étalage verbeux, leur autorité suprême. Inutile de dire que ces qualités de commandement illustrées dans cet article y apparaissent en creux comme celles qui précisément manquent le plus aux actuels politiciens français ou autres, tous amateurs, et, au premier chef, au président de la République accidentel censé nous gouverner.
S’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. À bon entendeur…
Lorsque l’on s’adresse à un peuple et plus encore à un peuple indiscipliné, il vaut mieux s’interrompre à temps si l’on ne veut pas perdre la face…
Il y a ceux qui, comme Clemenceau et ses célèbres formules : « On les aura » ou « il est plus facile de faire la guerre que la paix », ont un ton naturellement martial. Il y a ceux qui s’inspirent des ordres du jour de Napoléon : « De ces pyramides, cinquante siècles vous contemplent… » ou « Un chef n’est rien sans ses hommes »… Ils pensent que la force d’une idée est d’autant plus grande qu’elle est exprimée brièvement. Plus récemment, on peut citer aussi le général de Gaulle disant « La France a perdu une bataille, mais elle n’a pas perdu la guerre ». Ce genre de phrases crée un choc, c’est pour cela qu’elles frappent ; c’est aussi pour cela que la postérité les retient… Il me semble que s’agissant des hommes qui ont laissé un nom dans l’histoire, on trouve presque toujours des êtres qui disent l’essentiel en peu de mots. Pensons aussi à Churchill résumant sa pensée dans sa célèbre déclaration à la chambre des Communes, après les accords de Munich : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. » Bref, et c’est le cas de le dire, la grandeur apprécie les symboles et aime la brièveté. La discrète croix de Lorraine voisine avec les modestes deux étoiles d’un chef qui, se confiant à André Malraux, ajoute: « Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples »…
Tout est dit !
Il me semble qu’avec toutes ces formules, tout est dit sans qu’il soit besoin de disserter longuement, alors que nous sommes aujourd’hui incapables de régler nos problèmes, malgré d’interminables discours… sur les questions de société… ou sur les grands enjeux géopolitiques. Trouver une solution pour 55 pays africains relève du discours sans effet, et l’inscription de l’IVG dans la constitution procède de la manœuvre de diversion.
On l’a compris : s’il est un conseil à donner à ceux que guette le verbiage, c’est d’aller à l’essentiel en quelques mots, ce qu’avait aussi bien su faire la reine d’Angleterre malgré ses 93 ans. Notre époque est celle du bavardage, pour ne pas dire de la parlotte. Pourtant les Français aiment le langage viril, car c’est le fond de leur caractère. Un président trop souvent bavard, la répétition sans fin des mêmes idées fatigue. On écoute les 10 premières phrases, puis on baisse le son et enfin, on éteint le poste.
Gaulois réfractaires
Il convient de choisir sa cible. Si l’on est devant un parterre de penseurs ou de philosophes, l’on peut se permettre d’être disert, mais lorsque l’on s’adresse à un peuple et plus encore à un peuple indiscipliné par nature, il vaut mieux s’interrompre à temps si l’on ne veut pas perdre la face.
Et, pour revenir à Clemenceau: « Les journalistes ne doivent pas oublier qu’une phrase se compose d’un sujet, d’un verbe et d’un complément. Ceux qui voudront user d’un adjectif passeront me voir dans mon bureau. Ceux qui emploieront un adverbe seront foutus à la porte. » Il est curieux de constater que dans la triste affaire du coronavirus comme face à la réforme des retraites, c’est le contraire qui semble avoir été fait : longues explications de texte, discours fumeux, rencontres aussi nombreuses qu’inutiles…
Ah ! j’oubliais un dernier point : les grands hommes aiment le secret, ce qui leur permet de garder toujours quelques armes au feu. À trop dire, le chef se prive de tout ce qu’il aurait pu dire, ou de ce qu’il dira le jour venu lorsque les circonstances auront changé. Il n’est jamais bon d’abattre toutes ses cartes d’un coup… Nous y sommes. Et comme dit la sagesse populaire, le reste n’est que… littérature ! ■
Gilles CossonEntre deux mondes : 15,00 €