LE FIGARO. – En France, les antifas ont souvent sévi durant les manifestations liées à la réforme des retraites, ponctuant la fin de nombreux défilés par des incendies de poubelles, des déprédations de rues, des violences. On les a également vus à Sainte-Soline. Leur influence se limite-t-elle aux marges de la gauche ?
Thierry VINCENT. – Il ne s’agit pas d’antifas à proprement parler, mais d’activistes du black bloc, le black bloc étant une pratique radicale de manifestation consistant à s’anonymiser en s’habillant tous en noir, de manière identique, et à s’en prendre aux symboles du capitalisme et aux forces de l’ordre. Il y a parmi eux des antifas, mais aussi toutes les différentes tendances de l’extrême gauche anticapitaliste, y compris maintenant des écologistes radicaux.
Au départ, ce mode opératoire restait cantonné à une extrême gauche révolutionnaire très structurée idéologiquement, avec une culture politique très aiguë. Ce milieu militant a toujours existé, mais restait marginal. Mais les choses évoluent : cela commencé avec les «gilets jaunes», dont certains ont rejoint le bloc, et cela s’accentue avec le mouvement contre la réforme des retraites. Des milieux plus populaires, moins idéologisés au départ, des gens lambda, ont rejoint le bloc, ou le soutiennent. Il est à noter que malgré les violences et dégradations commises en manifestation, le soutien populaire au mouvement social ne faiblit pas. Pourtant, en général, la casse est impopulaire et suscite un phénomène de rejet. Ce n’est plus le cas actuellement. Emmanuel Macron avait probablement misé sur un pourrissement du mouvement, mais il n’a fait que radicaliser un certain nombre de gens qui, jusqu’alors, étaient légalistes.
Cette nébuleuse se propage-t-elle ou, à l’inverse, est-elle de plus en plus cornérisée ? Pourquoi ?
La radicalité infuse chez les opposants à la réforme des retraites. Le 1er mai, j’étais à côté des radicaux qui dégradaient les banques et affrontaient la police. Ils étaient 2000 selon Gérald Darmanin, ce qui est un record absolu. Mais, et c’est le plus important, ils étaient entourés d’environ 20.000 personnes composant le cortège de tête. Les gens qui défilent au sein de ce «précortège», hors syndicats, manifestent ainsi leur soutien au black bloc, ou en tout cas une certaine compréhension. La plupart ne font rien d’illégal scandent «ACAB» et «tout le monde déteste la police», ils applaudissent aux dégradations de banque ou en tout cas ne désapprouvent pas.
Parmi eux, des syndicalistes et des Français lambda. J’ai vu un quinquagénaire visage découvert lancer un projectile sur la police, ou des mères de famille en apparence paisibles faire le guet pour prévenir les black blocs de l’arrivée de la police. Ce qui s’est passé ce 1er mai dans le cortège est ni plus ni moins qu’une émeute. Il n’y a pas d’un côté 2000 fous furieux et de l’autre les gentils manifestants qui défilent tranquillement dans les cadres habituels et autorisés. À ce titre, la formule de la Revue radicale Lundi Matin, très prisée dans cette nébuleuse, me paraît pour le coup assez juste : «ce n’est pas la manifestation qui déborde, c’est le débordement qui manifeste». Il y a toute une gradation de la colère sociale, dont le black bloc n’est que la pointe émergée la plus radicale et la plus spectaculaire.
L’essor des mouvements radicaux, non-institutionnalisés, va-t-il de pair avec l’affaissement des corps intermédiaires (syndicats, partis de gauche radicale…) ?
Oui. Finalement, Emmanuel Macron est le meilleur agent recruteur des black blocs. Que disent les militants radicaux ? Que défiler d’un point A à un pont B de telle heure à telle heure avec son verre de bière et son sandwich merguez, au rythme des sonos des syndicats, ne permet pas d’obtenir quoi que ce soit, et qu’une certaine dose de radicalité, voire de violence, est nécessaire. En ignorant les corps intermédiaires classiques comme les syndicats, le pouvoir a rendu ce discours convaincant et lui a donné une grande résonance.
En déplaçant le curseur de la radicalité, les antifas sont-ils aussi un moyen pour les partis de gauche radicale de se normaliser ?
Au contraire, avec une certaine mauvaise foi, mais c’est de bonne guerre, la majorité, la droite et l’extrême droite en profitent pour diaboliser la gauche et l’assimiler à la violence émeutière. C’est totalement à côté de la plaque, les radicaux détestent cette gauche institutionnelle, et cette dernière n’a plus rien à dire. Quand elle a été au pouvoir, elle a elle aussi fait adopter des mesures libérales, comme la loi travail en 2016. C’est d’ailleurs au moment du mouvement social contre cette loi que les black blocs sont apparus massivement en France. Ils sont donc apparus en se mobilisant contre un mouvement de gauche.
Quant à Mélenchon, arrêtons de fantasmer. Il n’y a aucun lien entre LFI et les black blocs, je n’ai jamais vu un activiste du bloc membre de LFI. En 2017 par exemple, certains radicaux avaient même attaqué un meeting de Mélenchon. Contrairement au discours qu’on entend chez de nombreux politiques, ce n’est pas Mélenchon qui excite les black blocs et les manifestants, c’est plutôt l’inverse : si le discours de Mélenchon est plus radical, c’est qu’en politique avisé il suit ce qu’il pense être la radicalisation d’une partie de son électorat. Il tente de récupérer un mouvement devenu de plus en plus radical. C’est à mon avis peine perdue. ■
« La rue appartient à celui qui y descend »
Formons nos corps francs…
Je ne crois pas du tout à l’insurrection. Affaire de puissance de feu.
Le seul risque pour le Pouvoir est la désaffection de la police et de la gendarmerie. Au pis de l’armée.
Si ces forces lèvent les crosses, c’est fini. C’est 1830 et 1848.
Sinon, c’est la Commune et on sait bien qui a gagné.
Les émeutes exaspèrent , ou ravissent, selon son point de vue, mais ne servent à rien. Le lendemain, tout le monde retourne au boulot, les éboueurs nettoient, les vitriers font des affaires.
La colère qui sourd, si palpable en ce moment, n’a aucune direction, comme celles des Gilets jaunes.
Macron parti, en 2027 ou avant, il y aura une autre créature du Grand capital, de l’OMC et de tout ce que nous détestons.
L’un n’empêche pas l’autre. Les émeutes de 1830 (que je refuse d’appeler « glorieuses ») ont abouti parce qu’une partie de l’armée a rejoint les insurgés les troupes fidèles étant, pour l’essentiel, en Alger) ; mais au point de départ, il s’agissait bien d’émeutes.
Mais dans tous les cas, vous avez raison : une insurrection n’a aucune chance d’aboutir sans avoir le soutien d’une partie de l’armée ou de la police. Qui sait si cela n’arrivera pas ?
Qui a instauré et légitimé la violence?
Je crois bien me souvenir qu’en mai 1958, la police s’était mis een grève. Quant à l’armée, on sait ce qu’il en était.