Par Frédéric Rouvillois.
Cet article de toute récente actualité de Frédéric Rouvillois est paru dans le Figaro d’aujourd’hui 8 mai. On y lira un rappel finement exposé de la nature familiale ou dynastique de la royauté en tant que modèle politique singulier opposé à l’actuel modèle français. En même temps qu’il est – étant inséré dans le temps long – typiquement britannique et, en ce sens, évidemment non reproductible. Certains de nos lecteurs ont regretté que dans son tout récent entretien avec Mathieu Bock-Côté à propos de « l’oligrarchisation » du Régime français, (cf. JSF d’hier dimanche) Frédéric Rouvillois n’ait pas évoqué, en regard, le contre-modèle monarchiste, vu « sous l’angle de la durée, de la lignée et des obligations qu’elles imposent ». C’est ici chose faite. Chaque chose en son temps, faut-il admettre, sans doute.
TRIBUNE – L’écrivain et essayiste* décrypte le sens profond de la cérémonie de couronnement du roi d’Angleterre. La lenteur de celle-ci, et bien sûr, l’ancienneté immémoriale des rites rappellent qu’aux antipodes de l’individualisme contemporain, la monarchie britannique envisage les problèmes sous l’angle de la durée, de la lignée et des obligations qu’elles imposent, explique-t-il.
Dans ce régime, le pouvoir, même symbolique, passe sans discontinuité de génération en génération au sein d’une même famille, qui est à la fois l’incarnation du royaume, et la représentation des familles qui le composent.
« Et m… pour le roi d’Angleterre, qui nous a déclaré la guerre ! »
Depuis la fin du XVIIIe siècle, d’innombrables générations de Français se sont égosillés sur ce refrain, buvant un coup «à la santé des amoureux» avant de dire son fait au roi d’Angleterre. Qu’ils se rassurent: le couronnement de Charles III ne les empêchera pas de chanter «Au trente-et-un du mois d’août» à la fin des banquets: mais peut-être leur permettra-t-il de corriger les paroles et de songer, juste avant de vider leur second verre, qu’il faudrait aussi le remercier. Le remercier de nous rappeler l’importance cruciale et, osons le dire, l’urgence absolue du temps long à une époque où tout s’emballe.
L’institution qu’incarne désormais le roi Charles III a en effet pour principal intérêt, et pour caractéristique majeure, de s’inscrire dans la durée: située dans le présent et envisageant l’avenir, elle n’hésite pas à regarder vers le passé, puisque le monarque, qui en principe est appelé à être le père de ses successeurs, est par ailleurs l’héritier de ceux qui l’ont précédé. Dans ce régime, le pouvoir, même symbolique, passe sans discontinuité de génération en génération au sein d’une même famille, qui est à la fois l’incarnation du royaume, et la représentation des familles qui le composent. Selon Malraux, expliquait-on jadis en classe de philosophie, « l’art est un anti-destin »: il en va de même de la monarchie héréditaire.
Ce rapport au temps se retrouve dans le couronnement, à travers la lenteur de la cérémonie, la lenteur extravagante de la gestuelle, et bien sûr, l’ancienneté immémoriale des rites et des objets: au soir de son élection, le président élu a le choix entre le Fouquet’s, la rue du Cirque et la pyramide du Louvre ou n’importe quel autre endroit qui lui sera venu à l’esprit. Le couronnement du roi d’Angleterre, à l’inverse, a lieu là où furent couronnés ses prédécesseurs: prononçant les mêmes paroles, des ecclésiastiques vêtus des mêmes habits sacerdotaux ont posé sur sa tête la même couronne, celle de saint Édouard, refaite au XVIIe siècle après que son modèle a été détruit lors de la révolution de Cromwell, et lui-même est allé s’asseoir sur le même trône de bois au-dessus de la mythique «pierre du destin», dont le souvenir remonte à l’antiquité biblique. Là, il a écouté les mêmes hymnes et les mêmes musiques, notamment le somptueux Zadok the Priest, composé par Haendel au début du XVIIIe siècle pour le couronnement de George II. Que rien ne change pour que tout s’adapte, sans s’opposer au cours des choses ni remettre en cause l’identité du système: c’est ainsi que désormais, ce ne sont plus les pairs, mais tous les sujets britanniques qui, par leurs représentants, prêtent le (très médiéval) serment d’allégeance au souverain, et qu’à côté de l’anglais, sont utilisées les langues celtiques des autres parties du royaume.
Aux antipodes de l’individualisme contemporain, la monarchie envisage ainsi les problèmes sous l’angle de la durée, de la lignée et des obligations qu’elles imposent: même si, dans le pays, chacun fait ce qui lui plaît, le roi, sur son trône, ne peut faire que ce qu’il doit – ou bien renoncer à la couronne, comme le fit Édouard VIII pour suivre Wallis Simpson, sa Meghan Markle à lui.
Certes, rétorqueront les esprits forts, mais à quoi bon ? Quel est l’intérêt, au XXIe siècle, de se soucier encore du temps long, comme à l’époque où il fallait une semaine pour se rendre de Paris à Londres, aujourd’hui que l’instantanéité est devenue la norme universelle ?
Eh bien, précisément pour échapper à cette tyrannie de l’instant. Et pour tenter de remédier aux catastrophes qu’elle a déjà entraînées: aux problèmes mortels suscités par le refus de considérer autre chose que le profit immédiat, le bien-être ici et maintenant, le «tout, tout de suite». Une génération n’a pas le droit d’en amoindrir une autre, écrivait au XIXe siècle un conservateur aussi résolu que Balzac: or, tel est justement le message répété depuis plusieurs décennies par celui qui n’était alors que le prince de Galles.
Charles III, plus qu’aucun de ses prédécesseurs, semble en effet avoir pris précocement conscience de cette urgence, en particulier dans l’ordre environnemental, climatique et écologique. Au début des années 1990, alors que la presse ricane de celui qui ne serait que le terne époux de la lumineuse lady Di, Charles développe, dans une indifférence quasi générale, des thèses aussi audacieuses mais autrement profondes que le fameux « Notre maison brûle » prononcé par Jacques Chirac à Johannesburg dix ans plus tard. Il proclame que le développement durable n’est pas l’extension d’une industrialisation rationalisée, mais une reconnexion avec la nature, et une meilleure compréhension des soins que nous lui devons si nous voulons éviter la destruction d’ensemble de notre environnement.
L’urgence ne concerne d’ailleurs pas que la nature, et Charles d’évoquer ceux qui manquent de nourriture, d’accès à l’eau, qui vivent dans la pauvreté ou sans travail. L’écologie qu’il appelle de ses vœux est non seulement environnementale, mais aussi culturelle et identitaire: d’où le danger de la globalisation, le risque étant «que les plus pauvres, non seulement n’en tirent aucun avantage, mais qu’ils perdent à cause d’elle leur mode de vie traditionnel et leur culture propre . Enfin et très logiquement, le futur Charles III insiste sur la continuité et la transmission, rappelant que le devoir à l’égard de la nature est aussi un devoir à l’égard des générations futures: dès 1992, dans son discours devant la commission Brundtland, il souligne que, si nous n’agissons pas de façon forte et claire, «alors nous sacrifierons la survie future de nos petits-enfants et arrière-petits-enfants à des gains à court terme.»
Tout ceci confirme que le nouveau roi d’Angleterre n’a pas grand-chose à voir avec la marionnette des Guignols de Canal+, accent ridicule, oreilles d’éléphant mais tête sous-dimensionnée. Charles III, comme il a eu le temps de le comprendre mais aussi de le montrer, est un monarque qui, comme peu d’autres, a conscience de ce qu’il est, et de l’institution qu’il incarne. Conscience de la place qui doit être la sienne et, malgré le cadre contraint établi par la constitution britannique, du rôle qu’il pourrait être amené à jouer dans l’avenir. ■
* Frédéric Rouvillois est professeur agrégé de droit public à l’Université Paris Cité, il y enseigne le droit constitutionnel et le droit des libertés fondamentales. Il a publié ou dirigé une quarantaine d’ouvrages. Son dernier livre: « Le Gouvernement des juges. Histoire d’un mythe politique », Éditions Desclée De Brouwer.
Retrouvez dans JSF quelques précédents articles – ou vidéos – de Frédéric ROUVILLOIS.
Les mots sont pesés pour toucher les lecteurs du journal mondain, mondain n’est tout de même pas synonyme de royaliste. Le début : « et m… pour le roi d’Angleterre qui nous a déclaré la guerre », hors contexte d’un banquet, donne ainsi les gages qu’il faut .
En son temps, Léon Zitrone, que les moins de vingt ans n’ont pas connu et qui trônait à l’ORTF (échappant de peu à la « charrette » qui suivit mai 68) commentait avec gourmandise toutes les grandes cérémonies royales, ayant pris la précaution de dire (dans une interviouve) qu’il était républicain .
Peut-être, mais c’est ainsi qu’il touchera son public et lui fera apprécier l’idée royale. Gardons-nous de souhaiter ou de nous réjouir de la perte de prestige d’une monarchie étrangère, quand bien même elle ne serait que symbolique : le déclin d’une monarchie étrangère rend plus difficile le rétablissement de la nôtre. Nous l’avons bien vu en 1919…
Comment faire apprécier l’idée royale en présentant Elisabeth II comme une femme comme tout le monde ainsi que l’auteur de cet article le fit à l’occasion de son DC (cf publications précédentes) et maintenant , « m… au roi d’Angleterre » !
Tout ceci laisse perplexe .
En faisant ce que fait Rouvillois, en attirant l’attention sur le fait que cette femme ordinaire (ou à présent cet homme ordinaire) a reçu une charge extraordinaire. Quant à l’incise du « Trente-et-un du mois d’août », c’est une captatio benevolentiae, rien de plus.
La République royale ou république couronnée: voilà le « service » extraordinaire que rend Charles III à son peuple…Service, certes symbolique mais indispensable qui manque à la France d’aujourd’hui….Emmanuel Macron ne l’avait-il pas écrit en 2015?